Logo

« La petite vie » vue par quelqu’un qui n’a jamais écouté l’émission

Une façon comme une autre de vous annoncer que la famille Paré revient.

Par
Malia Kounkou
Publicité

« Est-ce que ça ressemble à Friends? », tentais-je de comprendre tant bien que mal. La réponse à cette question n’est ni un oui et ni un non, mais plutôt un très large sourire jubilatoire sur le visage de ma collègue Laïma. Une poignée de minutes plus tard, elle me transfère par courriel l’invitation Radio-Canada à une rencontre de presse autour du programme en question. Et avant même qu’elle ne soit épelée, ma mission m’apparaît comme limpide : deviner l’essence de La petite vie sans jamais avoir écouté un seul épisode de ma vie.

Mais je ne suis pas laissée dans le néant. À deux jours de la rencontre, Laïma me lance un os, m’indiquant que « c’est plus dans la vibe du film français Les bronzés ». Ah, ce référent-ci, mon côté Oui-Oui-Baguette le connaît. Mais je n’en suis pas plus avancée pour autant, l’esprit à présent envahi par de nouvelles questions : est-ce que c’est drôle? Est-ce que c’est kitsch? Sont-ils bronzés?

Publicité

Le Jour J

« Il s’est passé quelque chose… c’est sûr qu’il s’est passé quelque chose », spécule une consœur à voix basse.

Nous sommes une cohorte de journalistes dans l’ascenseur de Radio-Canada en direction de la salle de conférence, située cinq étages plus haut. Autour de moi, ça chuchote et ça se questionne : je comprends alors qu’en dépit de l’invitation, personne ne connaît l’objet réel de cette réunion.

Ma voisine demande ensuite à son collègue si cette potentielle nouvelle saison contient huit épisodes — « Non, six », nous apprend-il en même temps — et, debout devant les portes de la cabine, je me sens comme un Mario Kart secret, à collecter toutes sortes d’indices sur mon chemin.

Comme une imposture aussi, disons-le honnêtement. La salle est petite, mais absolument pleine à craquer de personnes murmurant entre elles avec une même excitation palpable. Toutes les tranches d’âges sont représentées; pour vous donner un ordre d’idée, la plus jeune journaliste a 17 ans et regarde La petite vie depuis sa plus tendre enfance. Je pianote rapidement dans mes notes : « émission populaire et rassembleuse ».

Publicité

La conférence commence lorsque, luminosité d’écran honteusement baissée, j’enfreins ma propre règle — rechercher quoi que ce soit sur La petite vie dans les eaux profondes d’internet. Cette incartade me permet toutefois de comprendre que pas moins de neuf grands noms de la distribution sont attablés face à moi. Cela dit, mon œil reconnaît instantanément Marc Labrèche, entraîné par de longues et lointaines heures de rires devant Le cœur a ses raisons.

« Je sais que vous n’avez aucune idée de pourquoi on est tous ici réunis aujourd’hui », inaugure sous les rires Dany Meloul, directrice générale de la Télévision de Radio-Canada. Peu de temps après, la nouvelle que tout le monde soupçonnait tombe : à l’occasion du 30e anniversaire de la série, l’émission revient pour six épisodes exclusifs. Revient, donc elle était partie depuis un petit moment déjà — « 1998 », me chuchote Google.

Oh, wow. Quand même.

« C’est un cadeau qu’on fait et qu’on se fait », explique Claude Meunier, le créateur de La petite vie que 8 millions de Québécois connaissent probablement. Plus il s’exprime, plus son rôle de pierre d’angle au sein de l’émission est mis en évidence. Il faut dire qu’il en parle avec une camaraderie si enthousiaste qu’un vent d’optimisme finit par traverser la salle comble : peut-on espérer ici un renouveau télévisuel de longue durée?

Publicité

Cet espoir, Claude le tue malheureusement dans l’oeuf. « Après [ces épisodes], ça va être fini-fini. »

Lever de rideaux

En une heure, « famille » sera prononcé 36 fois — oui, j’ai compté, non, ne vérifiez pas. Difficile, en même temps, de décrire autrement que par ce qu’elle est cette folklorique dynamique généalogique partant des parents pour s’étendre vers les petits-enfants en passant par les gendres. Un autre grand favori de la conférence est le mot « moment », sans qu’il ne soit toutefois précisé lequel en particulier. Vous vous doutez qu’on y reviendra.

Pour l’heure, la table est posée en ces termes : « C’est un gars qui aime ses vidanges et qui est marié avec un homme ». Très sérieuse, je prends des notes, avant d’entendre les rires de connivence tout autour de moi. Oh. C’était donc une blague. Sagement, j’efface mon début de dissertation argumentée.

Sur le tas, j’apprends aussi le nom des personnages ainsi que leurs nouveaux destins. Ti-Mé (le père) est un peu morose, Thérèse (la fille) est tombée dans la spiritualité, Rénald (le fils) profite tranquillement de sa retraite, Lison (sa femme) est devenue « plus influençable qu’influenceuse », selon ce qu’en dit Josée Deschênes, son interprète.

Publicité

Il y a Caro (leur fille) qui a été « dehors très longtemps », une précision de Claude qui, pour une raison absente de ma culture générale, provoque de francs esclaffements dans la salle. Il poursuit en comparant Rod (leur fils) au chanteur britannique Rod Stewart. Crise d’hilarité générale. Sans toujours rien comprendre, je m’y joins, prise d’un FOMO plus brutal que celui de Michael Scott dans The Office

Ce n’est d’ailleurs pas une série, mais une sitcom. Quatre caméras, deux perches, un public qui rit en direct et « à cause de l’âge des acteurs, il y aura des télés souffleurs », ajoute Bernard Fortin qui, manifestement, maîtrise l’art de la punch. Il y aura aussi un lit debout et ce détail provoque une énième hilarité tout autour de moi. Sous mon pouce, l’icône Safari n’a jamais été aussi tentante. J’y résiste.

Publicité

Et 2023 oblige : certains ajustements ont dû être faits, notamment au niveau de l’humour, maintenant que les sensibilités ont évolué. À titre d’exemples, Claude cite une scène entre son personnage et celui d’un certain Jean-Lou — « Je ne peux même pas la répéter », s’interrompt-il, rictus faussement penaud aux lèvres — et d’une autre encore avec une chanson d’église entonnée par un curé. « C’est sûr que ça, on fait plus ça », classe-t-il l’affaire.

Ti-Mé aurait-il été cancelled si La petite vie originale avait été diffusée en 2023? Encore une question existentielle pour ma barre de recherche.

Un saut dans le temps, mais aucune petite progéniture en vue dans cette nouvelle version de La petite vie. « C’est pas drôle, les enfants », explique Claude en riant. Fair enough. Pas de moment non plus, et là, toute la salle retient son souffle. Voulant joindre cette asphyxie générale, je google en toute hâte de quoi éclairer ma lanterne pour me rendre enfin compte que, oh. « Môman » est un nom propre. Et son acteur, Serge Thériault, n’est vraiment pas commun.

Môman (Serge Thériault) et Pôpa (Claude Meunier).
Môman (Serge Thériault) et Pôpa (Claude Meunier).
Publicité

L’éléphant dans la pièce

Dès que le sujet est abordé, un voile tombe sur la pièce. Serait-ce de la gêne? De la tristesse? Un brin de résignation? Je ne saurais mettre le doigt sur le sentiment exact. Mais lorsque Claude reprend la parole, un sérieux solennel a remplacé son entrain habituel. « Serge ne peut pas être là, ne sera pas là et répondra à ses propres questions, déclare-t-il au sujet de celui qui joue sa moitié à l’écran. On trouve ça triste qu’il ne soit pas là, mais la vie continue. »

Elle ne sera pas interprétée par quelqu’un d’autre », précise Claude, tout en accueillant les diverses théories autour de ladite absente.

Ne pas s’en cacher et en parler, tel est le slogan énoncé par l’équipe de La petite vie. Ne pas remplacer également; même en n’étant plus là, le premier épisode intitulé « L’Absence » lui sera tout entier consacré. « Môman est présent dans nos cœurs. Elle ne sera pas interprétée par quelqu’un d’autre », précise Claude, tout en accueillant les diverses théories autour de ladite absente, y compris celle d’être partie à l’épicerie sans jamais revenir. « On peut se perdre dans un Costco », blague Bernard Fortin qui porte le personnage de Rod.

Publicité

Du reste, lorsque les journalistes creusent pour en savoir plus au sujet de l’acteur en lui-même, la retenue de Claude reste grande et ses quelques mots de réponses, soigneusement vagues. J’apprends malgré tout entre deux questions que Serge Thériault souffre d’une grave dépression qui le cloître chez lui depuis longtemps et qu’il a également fait l’objet d’un documentaire.

Deux sentiments concrets se révèlent alors : la pudeur protectrice d’un camp et la curiosité inquiète de l’autre, tous deux finalement motivés par un même fond de bienveillance.

Une histoire de famille

« Ça fait 30 ans qu’on me dit : “Veux-tu que je te fasse ton lavage?” Je me suis acheté une laveuse! », s’exclame Bernard Fortin. Son personnage, Rod, ne peut être que deux choses : soit un éternel adolescent qui a de la difficulté avec la vie d’adulte, soit un homme allergique au détergent.

Publicité

L’heure tire à sa fin, réinvitant dans la salle amusements et histoires légères. Celle de Josée Deschênes, dont le personnage répond au surnom « Creton », est que ce mot a donné naissance au verbe « cretonner », soit le fait de « s’habiller toute de la même couleur ». Claude rapporte pour sa part qu’il se disait entre 1993 et 1998 qu’aller aux urgences les lundis soirs était le meilleur moyen de les trouver vides, tout le Québec scotché devant La petite vie à ce même horaire. De petites bribes anecdotiques qui, mises bout à bout, dépeignent un phénomène culturel d’importance.

La conférence s’achève dans une ambiance joyeuse. Touchante, même, si l’on en croit l’attaché de presse surpris par la convivialité réelle de cet événement. Manifestement, La petite vie était tout aussi attendue du côté de la presse. Pendant que se joue le jeu des chaises musicales entre casting et journalistes, j’observe les interprètes partager entre deux entrevues éclats de rire et accolades naturelles. Comme une vraie famille, finalement – et de 37.

Crédit : ICI Télé.
Crédit : ICI Télé.
Publicité