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La fois où on s’est fait voler en voyage

Après le Chili, l’beau temps, mais l’orage peut durer longtemps.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Inutile de tourner autour du pot : on s’est fait voler à Pucón, sorte de village à la Mont-Tremblant situé au sud du Chili (mais avec des volcans dans le décor au lieu d’Américains fendants).

J’avais conclu mon dernier reportage là-dessus, puisque le larcin a été commis quelques heures avant sa publication.

Un vol qui a eu le mérite d’avoir du style, attendez que je vous raconte.

Parce que tant qu’à se faire dérober, autant que ce soit fait avec classe et par des pros, non des margoulins à la petite semaine. Que nenni.

Rien de clinquant de type L’inconnu de Las Vegas non plus, mais dans les règles de l’art et avec dextérité.

Même le rationnel Luc Langevin (comparé au patibulaire Mesmer) se serait exclamé : « Oubliez la magie, tout n’est qu’illusion… illusion…usion… sion… ion… », (oui, il parle en écho fade out).

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Le larcin s’est produit dans un restaurant familial traditionnel du modeste centre-ville, où la décoration rappelait ce chalet que vous louez parfois dans Lanaudière, celui où – une fois chaudaille – vous fumez en d’sour de la hotte en sachant que l’odeur bizarre qui flotte en permanence dans la place va finir par avoir le dessus.

Nous étions les seuls clients de l’endroit et Martine voulait vivre son baptême de pastel de choclo, sorte de pâté chinois local.

Eh oui, cette sacrée gourmande est toujours partante pour expérimenter de nouvelles choses (ar ar).

Notez que ce n’était pas surprenant de se retrouver dans un restaurant désert, ce soir-là.

D’abord parce qu’on est les seuls touristes en Amérique du Sud à ce moment de l’année, si bien qu’on nous croit perdus.

– ¡La Playa del Carmen está por allá! Apresúrate, la clase de zumba es a las 3 p.m!

Paraît toutefois que c’est le meilleur moment pour visiter, puisque le sud du Chili, l’été, c’est comme la Gaspésie pendant des vacances de la construction en pandémie.

Ensuite, le prix des restos est tellement exorbitant que les gens se sustentent à la maison ou s’offrent des menu del dia (beau/bon/pas cher) en après-midi.

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Je l’ignorais le soir du vol, mais j’allais sous peu abandonner cette frustrante quête de repas à prix modiques au profit d’un festival de soupers charcuteries/fromages/pains et de pâtes/sauce en pot.

Jamais je ne me suis senti aussi culinairement proche de mon premier appart.

Heureusement, le calvaire tire à sa faim (ho-ho). Au moment où vous lirez ces lignes, nous serons en bus vers l’Argentine, cet eldorado du steak (ou Mordor du végan).

Comme je suis un apôtre de la transparence, vous comprenez que je n’ai pas connu l’extase gastronomique, au Chili.

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Ok, calmez-vous, j’avais sûrement pas les bonnes adresses, ni profité assez de l’expertise des locaux, je sais, je sais, mais bon, j’aurais quand même fait des 360 dans ma future tombe si le légendaire curanto (sorte de ragoût de viande et de fruits de mer qui fait l’orgueil de la Patagonie) avait été mon dernier repas avant el gran viaje. C’est sans compter cette surdose de papas fritas.

À notre arrivée à Santiago, le mois dernier, je m’extasiais comme une collégienne du Kansas se faisant demander en mariage sur le jumbotron d’un stade de football universitaire devant ces étals de palettes de chocolat éparpillés un peu partout dans les lieux publics.

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« Ahhhh, ils ont la dent sucrée les snoros, hihihi », que je me disais en gloussant comme une abonnée du TNM avec des lunettes funky et un coton ouaté « Différent comme toi » à la première du Misanthrope.

Plus tard, lorsqu’on s’est mis à consommer chaque soir l’équivalent de l’Halloween 2020 (pas celles qui avaient été cancelled à cause de la pluie et la pandémie, l’autre avant), j’ai compris qu’on mangeait un peu nos émotions.

Tout ça pour dire que les Chiliens sont au sucre ce que les pirates sont à l’abordage (gawrrr).

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Étendre du dulce de leche sur mes toasts trônait ici au sommet de ma routine bonheur matinale.

En lisant (en retard) l’émouvant roman Là où je me terre de Caroline Dawson (dont le récit s’amorce d’ailleurs au Chili), l’autrice raconte qu’on la raillait avec ses tartinades de manjar (aka dulce de leche) à la petite école, à son arrivée au Québec.

« J’avais huit ans et j’avais déjà interdit à ma mère de mettre des trucs pouvant être perçus comme exotiques dans mes lunchs, m’aliénant ainsi de ma culture d’origine », écrit-elle.

Fort d’un mois d’expertise, je me vois dans l’obligation de clamer haut et fort qu’en comparaison avec le manjar, le beurre d’arachides peut s’exiler au royaume des aliments fades, rejoindre les huîtres et (TW) la poutine Ashton.

Bâtons de marche & feu de foyer

J’avais commandé une sorte d’escalope de veau, Victor, un steak louche, et les filles essayaient la spécialité locale mentionnée plus haut.

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Les enfants ont sorti leur cahier pour dessiner (sont très doués) et moi je suis sorti fumer une clope.

Sur la petite terrasse, je contemplais au bout de la rue un volcan se perdre dans les nuages en me disant que c’était finalement grandiose, le Chili.

Je radote, je vous ai déjà dit que ça n’avait pas été un coup de cœur instantané, comme la Colombie. Mais le nord et le sud sont deux mondes distincts (comme le Québec…UN PAYS!) et force est d’admettre qu’on est plus genre « sud ».

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L’ambiance y est très « je vais planter des arbres dans l’Ouest canadien et dépenser mon salaire de marde en weed », une perception exacerbée par la cordillère des Andes majestueuse du crisse toujours dans le portrait.

Les paysages sont d’une beauté rarement vue dans mes périples et je commence quand même à cumuler une couple d’estampes dans mon passeport.

À ce temps-ci de l’année en plus, c’est brumeux en permanence, ce qui insuffle une petite dimension mystique à l’endroit. Ce côté « bâtons de marche et feu de foyer » me rappelle un peu la Roumanie que j’avais visitée il y a une vingtaine d’années.

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Parlant de bâton de marche, on nous en fournissait le lendemain du vol, lors d’une ascension sur le volcan que j’observais la veille depuis la terrasse du restaurant.

Une super expédition qui valait largement les 220 $ allongés (130 000 pesos).

Quelle sensation de grimper la paroi d’un volcan encore en train de fumer!

Le volcan Villarrica boucane sans arrêt, mais contrairement au film Pompéi, il ne devrait pas entrer en éruption prochainement pour me momifier live pendant que je suis en train de me mast… euh, distribuer de la nourriture aux plus infortunés.

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Par contre, le volcan était en alerte jaune, ce qui nous empêchait de grimper trop haut, au cas où…

Le voir de loin était ben correct et nécessitait suffisamment de cardio pour dormir sans pisco sour le soir venu (j’en ai bu pareil pour fêter CETTE VICTOIRE SUR LES ÉLÉMENTS, HIC HIC).

Mais bon, à part le fait que passer plusieurs heures devant une chose immobile en train de fumer me rappelait mes visites chez feu grand-maman, nous sommes tombés sous le charme de nos guides, Stéphanie et Christian (des prénoms plus Saint-Eustache en 1989 que Chili en 2023).

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On est d’ordinaire trop snobs pour se laisser guider, mais là, ça en valait la peine.

De toute façon, avec mon karma habituel, si on s’était aventurés seuls, j’aurais certainement fini la journée comme Gollum dans Lordeovederingue.

Christian et Stéphanie étaient deux amants de la nature (et dans la vie, awww), très émerveillés par la faune et la flore, particulièrement les feuilles colorées de l’automne qu’ils retrouvaient avec extase.

En plus de leur métier de guide, ils faisaient de l’escalade et du ski sur le volcan pendant leur temps libre.

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Bref, une maudite belle journée. « À ce temps-ci de l’année, on a quatre saisons en une seule journée », résumait Stéphanie, devant notre incrédulité à voir la météo alterner entre les vents violents, la pluie et le soleil tapant.

Ça donne beaucoup d’arcs-en-ciel, en plus.

Les meilleurs humains de la terre

On avait même pas encore reçu nos assiettes qu’un couple dans la trentaine s’est assis à la table voisine.

Le gars était habillé comme la chienne à Jacques avec un chapeau bizarre, la fille était en mou.

Spontanément, Martine avait trouvé ça weird qu’ils prennent place à un postillon de distance de notre table alors que le restaurant était complètement vide.

Moi, je n’ai pas pensé à ça, habitué de voir des gens se rassembler autour de moi pour m’entendre tirer le monde vers le haut, une vérité à la fois.

Toujours est-il qu’on trimballait ce jour-là nos deux sacs à dos, comme d’habitude. On laisse toujours les passeports à la maison, mais on transporte de l’ argent, quelques gadgets électroniques et un peu de cocaï…euh, des cahiers pour dessiner.

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Depuis notre arrivée en Amérique du Sud, on s’enfarge dans du monde qui vient nous voir pour nous dire de faire attention aux pickpockets, d’éviter tel endroit muy peligroso, de porter notre sac à dos par en avant, etc.

C’était encore plus fréquent au Chili. On trouvait ça normal à Santiago, la capitale, où on faisait preuve de vigilance, avant de graduellement baisser la garde plus on descendait, tellement le mood est relaxe et les gens sont merveilleux.

Parce qu’il faut le crier haut et fort en lettres ballon : les Chiliens sont les meilleurs humains de la Terre (ex aequo avec les Balinais et les fans de Pearl Jam).

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Souvent, ils nous arrêtent dans la rue ou au supermarché juste pour placoter, poser des questions sur le Canada ou pratiquer leur anglais.

Ils volent spontanément à notre secours dès qu’on se gratte un peu la tête au coin d’une rue, en plus de nous proposer des lifts quand on débarque dans une nouvelle ville.

Le coût de la vie étant ce qu’il est au Chili, plusieurs veulent savoir s’il y a de l’ouvrage au Canada.

Je leur réponds que le Québec particulièrement est une bonne terre d’accueil, toujours prête à ouvrir grandes ses portes aux richesses du monde extérieur, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre… NOT!

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Je repense à ce chauffeur de bus, Daniel, qui posait mille questions sur notre pays. Comme les inégalités sont très importantes dans le sien, il faut de très bons salaires pour s’en sortir. En plus de la nourriture, l’essence coûte très cher et plusieurs traversent la frontière pour aller faire le plein en Argentine, m’expliquait Daniel.

Solidaire, je l’ai au moins rassuré en lui disant que les loyers n’avaient pas de crisse de bon sens chez nous non plus.

De toute façon, dès qu’on parle de notre température hivernale, les fantasmes d’émigration se refroidissent vite.

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« Bon, j’ai un bus à conduire, moi », m’a dit Daniel, avant de retourner derrière le volant en me traitant presque de freak de vivre dans un congélateur.

Aparté : personne ou presque n’a entendu parler du Québec, ici. Tout le monde pense qu’on est des Français anormalement humbles et agréables.

Chiloé : paradis des chiens errants

Bref, on avait baissé la garde à force de trébucher dans du bon monde.

D’ordinaire, Martine enroule toujours une sangle de son sac à dos autour de sa jambe en le posant par terre au resto. Moi, je la trouve toujours parano quand elle fait ça.

Le couple qui s’était assis à côté de nous au resto a finalement décidé de partir sans rien commander. Il a dû réaliser à quel point ça coûte cher.

Moi, j’étais encore dehors, en train de chainsmoker en réservant notre Airbnb pour Puerto Varas, prochain arrêt après Pucón.

Quelques jours de vacances, surtout.

Je m’y suis enfermé trois jours dans un café pour poursuivre l’écriture d’un recueil de nouvelles qui risque de se vendre à peu près autant que Kukum.

C’est drainant parfois, le voyage en huis clos, alors c’était surtout l’occasion de respirer un peu chacun de notre bord.

Je revenais à notre logement pour manger, dormir et me baigner dans notre piscine chauffée.

Seul bémol : casque de bain obligatoire.

On s’est au moins offert une escapade à Petrohué, où nous attendaient des paysages parmi les plus magiques.

Cascades, saumons qui fraient, eau turquoise, volcans à l’horizon, forêts luxuriantes : de quoi conforter tous les climatosceptiques dans leur idée débile que la nature se porte à merveille.

Et on n’était pas au bout de nos orgasmes bucoliques. Après Puerto Varas, on allait prendre un traversier pour un séjour sur l’île de Chiloé.

Dans la catégorie « les enfants vont s’en rappeler le jour de leurs noces », il y aura ce dôme qui nous servait de gîte au village de Castro, à l’ombre des maisons sur pilotis colorées.

Nos balades sur l’île allaient nous graver des souvenirs impérissables, au son des chiens errants qui prennent contrôle de la ville le soir venu.

Voyage au bout de la terre

Martine est sortie en courant du restaurant, talonnée par Simone.

« Les gens qui étaient à côté de nous?!? Ils ont mélangé notre sac à dos avec le leur! »

Comme mon père était policier, j’ai vite trouvé ça bizarre.

Encore plus en voyant que le sac « confondu » du couple était plus petit pas mal et en apparence vide (il contenait un paquet de gommes).

Naïvement convaincus de la bonne foi des gens, on s’est mis à courir dans les rues de Pucón pour retrouver le petit couple, qui devait avoir bien hâte de retrouver son sac à dos…

Victor est resté seul au restaurant, puisque les assiettes ont été servies à ce moment. À l’adolescence, la solidarité familiale fait la grasse matinée.

Nous courrions comme des poules pas de tête, Martine était dans tous ses états à mesure que s’emboîtaient les morceaux du puzzle : le couple avait swipé son sac à dos vide avec le nôtre, avant de déguerpir.

La thèse de la malencontreuse confusion s’est évanouie dans son regard.

J’aurais aimé lui dire que dans une petite semaine, elle allait s’extasier en voyant par la fenêtre embuée de notre bus des lamas et des autruches dans une sorte de toundra patagonienne sur la route de Puerto Natales.

Qu’elle allait plutôt stresser à cause du vol intérieur qu’on ferait de Puerta Varas à Punta Arenas, en direction de la Terre de Feu.

Martine n’aime plus voler, bizarrement. Pas plus qu’elle n’aime se faire voler, à en juger ses larmes, ce jour-là, suivies de celles de ma pauvre Simone qui s’en voulait sans raison.

Banal, mais fâchant

Les employés du restaurant se confondaient en excuses et les policiers ont ensuite débarqué. Tout ce beau monde s’échangeait des versions de faits autour d’une caméra de surveillance, où le crime sautait aux yeux. On voyait le petit couple sortir avec notre sac avant de s’engouffrer dans une voiture qui attendait en face. Facile de même.

Bilan des pertes: le portefeuille de ma blonde avec toutes ses cartes (et 80 $ en cash), le beau coton ouaté manga de mon fils acheté à Salento pour sa fête, un paquet de cochonneries (kleenex souillés, monnaies, etc.), mais surtout l’appareil dentaire de ma fille.

C’est la seule chose qui nous a vraiment fait chier, puisque ça coûte une fortune, ces cossins-là.

Les policiers nous ont demandé si on voulait porter plainte.

À quoi bon, on partait le lendemain pour ne jamais revenir. On a placoté un peu avec les flics et la discussion a vite dévié sur le Canada. Un des policiers semblait assez à jour.

– ¿Es cierto que Guy A. Lepage dejó Twitter?

– Sí.

– El país debe estar en llamas y sangre…

Les employés du restaurant nous ont offert le repas gratis (on n’avait plus faim), se sentant mal pour rien. Sont fins à ce point-là.

Nous quittons le Chili dans deux jours, bien qu’on dirait que ça fait dix ans qu’on y est.

Ici, à Puerto Natales, ça ressemble à l’image que je me fais de Salluit ou du Grand Nord québécois.

Plus on approche la Terre de feu, plus on gèle. On voit des sommets enneigés au loin, devant de petites bourgades exposées aux grands vents.

Notre vol au restaurant semble déjà si loin.

À bien y penser, il était plutôt banal.

Banal, mais fâchant.

Comme ce passager de bus qui écoute ses vidéos le son dans le tapis devant moi.

Comme les enfants qui s’obstinent pour des niaiseries, sans comprendre qu’on est parfois à boutte.

Comme le retrait d’un documentaire d’intérêt hautement public en catimini pour des raisons bidons qui dissimulent un manque de courage.

Comme le temps qui passe trop vite et nous rend déjà nostalgiques avant même de traverser la frontière.

Chili, t’auras pas été reposante, mais t’auras été marquante.

Pis tu nous dois un appareil dentaire.

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