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La COOP Les Valoristes en péril

L’élargissement de la consigne fait mal à l’organisme.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Dès mon arrivée, je remarque une pancarte à la porte de l’organisme qui annonce la réduction des heures d’opération. « Attention: fermé tous les jeudis à partir du 23 novembre ».

Une tente est érigée près de l’entrée de la COOP Les Valoristes, qui loge depuis une décennie à l’arrière de la gare d’autobus de Montréal, au cœur du centre-ville.

Il n’est pas encore neuf heures que l’organisme d’inclusion sociale œuvrant pour la récupération de contenants consignés par une clientèle souvent marginale grouille de monde.

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Il faut dire que dans l’élargissement de la consigne survenu le 1er novembre dernier, le petit univers des valoristes (un mot désignant ces personnes qui ramassent des contenants/canettes/bouteilles en échange d’argent) est fortement ébranlé.

Ce changement soudain amplifie les difficultés financières de l’OBNL, qui se voit soudainement refuser le paiement de deux sous par item auxquels ont droit les épiceries. La coop doit payer davantage ses valoristes pour respecter la nouvelle consigne, sans avoir obtenu davantage de subventions pour le faire, ce qui la met en situation de précarité.

Parce que si les changements dans les consignes* font le bonheur des valoristes, elles compromettent du même coup les activités-mêmes de la Coopérative de solidarité, un organisme survivant uniquement à l’aide de subventions et qui ne reçoit pas un sou de l’Association québécoise de récupération des contenants de boissons (AQRCMB), qui remet pourtant une ristourne de deux sous par contenant à tous les détaillants (supermarchés, commerces de détail) qui récupèrent les bouteilles et cannettes.

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*En gros, le prix pour le retour des petites canettes est passé de cinq à dix cents. Les grosses canettes de bière passent toutefois de vingt à dix sous. Les canettes de V8, d’eau gazeuse et deux litres en aluminium sont dorénavant consignées. Il s’agit d’une première phase, puisqu’à compter de mars 2025, tous les contenants de verre, plastique, bouteilles de vin et cartons de lait seront consignés.

La vocation sociale d’une entreprise d’économie à but non lucratif comme la COOP Les Valoristes l’empêche à l’heure actuelle de toucher des redevances, en plus de la priver de revenus qui lui permettraient de maintenir ses opérations, voire d’embaucher du personnel.

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La situation inquiète grandement la cofondatrice Marica Vasquez Tagliero, que je suis allé rencontrer.

En poussant la porte de l’organisme, je croise Pierre derrière un immense chariot bien rempli. Il évalue sa récolte du jour à 120$.

« Pas pire, hein, pour cinq heures de collecte! Pour moi, la nouvelle consigne, c’est le jour et la nuit, par rapport à avant. Je fais deux fois et demie plus d’argent!», calcule le gaillard, qui fait sa run depuis maintenant trois ans.

« C’est une des plus belles jobs que j’ai eu de ma vie. En plus, j’ai pas de boss! », s’exclame Pierre, qui ajoute compter sur 200 clients fidèles qui lui remettent leurs bouteilles et canettes directement de leur domicile.

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La fierté de ramasser

L’enthousiasme de Pierre détonne un peu avec l’inquiétude de la coordinatrice et cofondatrice Marica, qui fait des pieds et des mains pour maintenir son organisme à flot. « On a créé cette coopérative pour désengorger les épiceries. On ne veut pas les remplacer, on veut être complémentaires », explique-t-elle, dans le brouhaha ambiant.

Derrière, des bénévoles s’affairent à trier les récoltes que les valoristes déposent dans de grands récipients.

C’est encore l’heure du café, mais l’odeur du houblon prend au nez et le plancher est déjà un peu collant. Rien pour réfreiner l’entrain des employés et bénévoles, qui remettent des factures aux valoristes pour leur permettre d’encaisser à un petit guichet le fruit de leur labeur matinal. Au milieu du staff qui s’affaire autour des cannettes, je reconnais la bénévole et valoriste au grand cœur Thérèse Duval, 66 ans, qui ramasse des bouteilles depuis six ans pour remettre la totalité de l’argent à des organismes de bienfaisance.

Marica explique que sa clientèle est souvent mal accueillie chez les détaillants, entre autres en raison des préjugés, ce qui rend essentiel la poursuite des opérations de la coop.

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Mais, avec une journée de moins à partir de cette semaine, on sent déjà une panique gagner les valoristes qui ramassent de grandes quantités, et pour qui cette collecte est avant tout une question de subsistance.

« On offre un milieu de réseautage, les gens se connaissent, ça aide à briser l’isolement. On est plus dans la collaboration et moins dans la compétition, on perçoit une fierté alors qu’avant, les gens avaient honte de ramasser des bouteilles », affirme Marica, ajoutant la dimension écologique de retirer de l’espace publique des contenants recyclables abandonnés.

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Des pertes de 80 000$ par année

Le statut particulier du premier et plus gros centre communautaire de dépôt des consignes québécois l’empêche donc de toucher le deux sous par contenant que perçoivent à l’heure actuelle les détaillants.

Malgré plusieurs cris du cœur auprès de l’industrie et l’AQRCB, la coopérative se retrouve privée d’une somme colossale, en plus de continuer à s’enliser dans l’instabilité financière.

« Juste la semaine dernière, on a retourné 330 000 contenants, ce qui représenterait pour nous 8000$ si on avait droit aux mêmes remboursements que les autres. On aimerait avoir notre part! », martèle Marica Vazquez Tagliero.

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Elle calcule perdre ainsi 80 000$ par année*. Cet argent ferait toute la différence, surtout dans le contexte actuel où l’inflation et la pauvreté grimpent en flèche. « On veut plus de staff, on veut pouvoir leur donner un salaire décent et ouvrir chaque jour de la semaine. Là, on revient en arrière alors que, pourtant, la consigne est élargie », déplore la coordonnatrice.

*Fun fact: ce montant représente 37 fois moins que le budget octroyé à l’Office de consultation publique de Montréal présentement sous tutelle après le scandale des dépenses.

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Pour l’heure, Marica fait son gros possible avec deux employés et demi, avec des salaires avoisinant les 25$ et 17$ de l’heure. Et ça, c’est sans compter la difficulté à obtenir des subventions anémiques, un travail acharné à recommencer chaque année.

« On demande à l’industrie de nous payer une rétroaction depuis le 1er novembre (date de l’élargissement de la consigne) et on veut la même chose que les détaillants (deux sous du contenant) », résume Marica.

De son côté, l’AQRBC a indiqué par écrit ne pas vouloir accorder d’entrevue, sous prétexte d’être en train de finaliser une politique à l’égard des entreprises d’économie sociale et autres organismes à but non lucratif. L’association ajoute que le dossier des entreprises comme la Coop les valoristes lui « tient à cœur », et qu’elle compte maintenir le service de collecte gratuit des contenants offert depuis le début.

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Une réponse laconique qui contraste avec le vent de panique qui souffle présentement à la COOP Les Valoristes, forcée de réduire ses opérations.

Du saumon au lieu du beurre d’arachide

Il y a quelque chose de choquant à voir Marica essayer de survivre avec les moyens du bord, alors que son entrepôt est une véritable fourmilière. Suffit de parler avec quelques membres pour comprendre l’impasse dans laquelle ils se trouvent.

D’un côté, le changement des consignes leur permet de gagner plus, de l’autre la diminution des heures de la coop leur complique la vie.

Quatre ou cinq jours par semaine, Michel doit se lever à quatre ou cinq heures du matin pour faire sa tournée. S’il attend trop, d’autres valoristes seront passés avant lui.

« Le gros du problème, c’est que quand c’est fermé, ici, on doit aller à l’épicerie. Mais quand ils nous voient arriver avec de grosses quantités de marchandise, ils ferment les machines. J’étais client depuis neuf ans de mon Métro, mais la journée où ils m’ont vu arriver avec des canettes, ils ne m’ont plus regardé de la même façon », confie Michel, 63 ans, qui combat les préjugés, une canette à la fois. « J’ai vécu l’itinérance quelques temps, et ça m’a aidé à ne plus être dans le jugement. On est tous égaux ici, peu importe les raisons pour lesquelles tu consignes des canettes », affirme Michel, qui louange la coopérative où l’on accueille les valoristes dans la bienveillance.

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Après avoir livré des circulaires pendant plusieurs années, Michel fait depuis quatre ans sa run de bouteilles et de canettes. Avec la diminution de la valeur des grosses canettes de bière de vingt à dix sous (très prisées par les valoristes), il calcule que son revenu est demeuré plutôt stable, contrairement à Pierre et d’autres qui ont vu leurs revenus grimper. « Je ne considère pas que je suis un gros ramasseux, je fais entre 100 et 150$ en quatre jours. Je fais environ 6 000$ par an, et ça a un impact sur ma qualité de vie. Parfois, je peux acheter du saumon, au lieu du beurre d’arachides », illustre-t-il. « On mesure mal l’impact que ça a sur certaines personnes, la fierté de considérer avoir un travail ».

Faire sa part pour l’environnement

Denise non plus ne se considère pas « une grosse ramasseuse ». Depuis trois ans, elle ramasse ce qu’elle croise sur sa route, davantage par souci écologique que pour faire de l’argent. « Je suis à la retraite et ça me donne l’impression de faire ma part », souligne la dame de 68 ans.

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Elle ne cache pas son désespoir devant l’ampleur du gaspillage. « La plupart des gens se fichent des cinq ou dix sous et jettent énormément de contenants consignés au recyclage, sans se demander où ça se ramasse », peste Denise, convaincue que plusieurs contenants recyclables se retrouvent carrément à la poubelle. « Au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues, ça prend plus de dépôts comme ici. Je suis tannée de la société. Je veux voir du concret avant de mourir! », lance Denise, qui redistribue l’argent de ses collectes à la coop ou d’autres valoristes.

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En quittant la coopérative, on a du mal à comprendre pourquoi ne pas verser à l’organisme la même redevance que dans les supermarchés, encore plus dans la mesure où ces détaillants entravent souvent l’accès aux valoristes.

Mais, comme c’est trop souvent le cas, on s’en prend aux personnes les plus vulnérables de notre société en se disant que tout le monde s’en fout, que ça ne fera pas trop de vagues.

Les vraies priorités.