Je sais, je sais, la troisième, voire peut-être bientôt la quatrième dose – les fameux boosts –, augmente le taux de protection après un certain temps et constitue la meilleure arme pour affronter le très contagieux Omicron.
C’est en tout cas l’avis des dirigeants de BioNTech et de Moderna – dont les jupons dépassent peut-être un tantinet –, mais aussi d’études britanniques, qui ont calculé qu’une troisième dose permet de rehausser à 88 % l’efficacité du vaccin contre les hospitalisations après une chute de protection observée quelques semaines après une seconde injection.
Je sais aussi que le débat se poursuit entourant la pertinence d’une dose de rappel ou non après avoir contracté le virus (ce qui n’est pas mon cas à ma connaissance, même si ma gastro du temps des Fêtes était louche en svp).
Je sais sinon que des voix – et non les moindres – s’élèvent pour affirmer que la victoire sur la pandémie ne se fera pas en administrant des doses de rappel. Ce n’est pas moi qui le dis ni Steeve L’Artiss Charland et ses farfadass, mais plutôt le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé.
« Aucun pays ne pourra se sortir de la pandémie à coups de doses de rappel », a martelé plusieurs fois le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus.
tant qu’on N’aura pas vacciné la planète, eh bien on ne viendra pas à bout du virus.
À ses yeux, tant qu’on ne règle pas le problème de manière globale, on vivra un éternel recommencement. La clé selon lui : mettre un terme à l’inégalité médicale à l’échelle mondiale. « Si nous permettons à cette inégalité de persister, nous permettons à la pandémie de perdurer », a-t-il prévenu.
Le combat pour venir à bout de cette inégalité est pas mal déjà perdu, j’y reviendrai plus bas.
Mais en gros, on a beau être rendu à trois doses, tant qu’on n’aura pas vacciné la planète, eh bien on ne viendra pas à bout du virus. Si on bombe le torse en constatant qu’au Québec, près de 80 % de la population est déjà double-dosée, on devrait en même temps être préoccupé par la situation dans certaines régions du monde comme l’Afrique, où seulement 8,1 % des habitant.e.s ont reçu au moins une dose selon des données fournies par Our World in Data. La prolifération du virus ne se traitera donc pas de manière locale par la santé publique. La COVID voyage sans passeport vaccinal avec l’enthousiasme d’un influenceur sur un vol Sunwing. Multiplier les doses, c’est un peu comme couper la mauvaise herbe sans jamais s’attaquer aux racines.
C’est un peu pour militer contre cette injustice et parce que trop d’incertitude flotte encore autour de la dernière dose recommandée que j’irai pas me retrousser tout de suite la manche une troisième fois au Stade olympique.
Oh, un militantisme assez mou, je vous rassure. Si jamais on m’oblige à avoir trois doses pour sortir du pays, aller manger chez Fu Lam ou chanter au Normandie, vous pouvez être certain que je vais me garrocher sur Clic santé comme Horacio Arruda sur une tartelette portugaise.
Bèèèè Bèèèè.
Mais bon, tant qu’à publier des affaires avec des titres crunchy, vous méritez au moins d’entendre ma réflexion et celles de deux experts… qui ne sont pas nécessairement d’accord avec moi.
D’emblée, les statistiques jouent en ma faveur et je n’ai pas l’impression de mettre ma vie dans la balance en m’en tenant à deux doses et en portant mon masque là où il est exigé.
Selon les données de l’INSPQ, je serais aussi badlucké qu’une victime de la foudre d’aller engorger les hôpitaux avec mes deux vaccins. Sur les 3085 personnes hospitalisées – dont 275 aux soins intensifs – environ 2550 (82 %) sont âgées de plus de 50 ans.
Les 0-50 ans sont pour leur part responsables de 346 hospitalisations pour l’ensemble de la province, dont 38 aux soins intensifs. L’histoire ne dit pas si ces derniers souffrent de comorbidités ou s’ils sont non vaccinés (surreprésentés dans les hospitalisations selon le ministère de la Santé).
Je rappelle ici au passage que selon cet article éclairant du Devoir, entre 30 et 50 % seulement des personnes hospitalisées atteintes de la COVID ont été admises spécifiquement à cause du virus.
C’est donc dans ce contexte que je me questionne sur ce qui commence à ressembler à du zèle vaccinal. Pas pour des personnes vulnérables, bien sûr, mais pour quelqu’un comme moi. Mon père dit souvent : « Si le chapeau te fait, mets-le. »
Il me fait moyen, je trouve.
Je ne suis pas la personne la plus top shape en ville, pas besoin d’être baveux. La pandémie m’a fait passer de Han Solo à Jabba the Hutt, surtout que je ne peux plus aller faire mes vingt minutes d’elliptique trois fois par semaine depuis la énième fermeture de mon Énergie Cardio.
Mais j’ai 43 ans, je suis un grand garçon et j’accepte cette prise de risque que j’estime être minime, avec la même candeur sans doute ticounesque me permettant de croire que t’as beau manger du kale et faire des Ironman à Tremblant, tu peux quand même te faire frapper par un bus au coin de la rue où recevoir un piano à queue sur la tomate en marchant sur la Promenade Masson.
J’ai frôlé la mort assez souvent pour avoir développé une approche fataliste à saveur « yolo » dans la vie.
Protéger mes proches et la communauté? Je considère qu’avec mes deux doses, plus celles de mes parents qui habitent au-dessus de chez nous (trois doses x deux personnes = six), celles de ma blonde et mes enfants (six) et en suivant les mesures de distanciation physique, on devrait être bon pour éviter l’intubation.
Oh, je ne suis pas le seul sur les breaks on dirait, à en juger par cette enquête du JDM où l’on apprend que l’administration de la troisième dose progresse à pas de tortue au Québec, avec un taux oscillant autour de 25 %.
enjeu moral
Ce qui nous amène donc à une question morale, là où tout se joue à mon sens avec cette troisième dose pour un grand pan de la population (j’en suis).
Toujours dans l’optique où la TRÈS forte majorité des gens double vaccinés ne se rendent pas à l’hôpital et que tous ceux et celles qu’on s’efforçait de protéger durant la première vague en attendant le vaccin ont reçu trois doses (une bonne chose), se précipiter devant une aiguille pour recevoir le boost relève purement de l’effort de guerre.
Sans oublier le fait que votre fil Facebook au complet a pogné le variant durant le temps des Fêtes en écoutant la nouvelle saison de Cobra Kaï, faisant là aussi office d’une troisième dose.
Je ne peux pas m’empêcher de rigoler dans ma barbe hirsute en vous voyant publier vos photos de troisième dose, le regard fier de participer à l’effort collectif au nom de la liberté, de l’altruisme et du retour à la normale. Breaking news : le Québec vient à peine de lever un couvre-feu, les restaurants/bars/cinémas/théâtres/etc. sont toujours fermés, le CH joue dans un aréna vide (la seule équipe de la ligue, il me semble) et vous n’êtes toujours pas supposé.e.s voir d’autre monde que votre bulle immédiate, bande de tricheurs.
Et puis en ce qui concerne le proverbial « retour à la normale », ma boule de cristal indique que les gens seront encore masqués à vos funérailles. Donc on me comprendra de me garder une retenue devant l’idée de célébrer façon Tom Cruise amoureux sur le sofa d’Oprah en allant chercher une autre dose de vaccin. Une dose dont l’efficacité divise encore la littérature scientifique.
enjeu éthique
Nous reste donc l’enjeu éthique. J’ai, pour ma part, vraiment un malaise à l’idée de me faire injecter une troisième dose à l’heure où plusieurs pays peinent à obtenir la première.
« Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 41 pays n’ont toujours pas été en mesure de vacciner 10 % de leur population, tandis que 98 pays n’ont pas atteint les 40 % de vaccinés, un fort contraste avec les pays occidentaux où la couverture vaccinale atteint parfois les 80 % », rapporte ici Le Télégramme.
J’en ai parlé avec François Audet, travailleur humanitaire d’expérience aujourd’hui directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal à l’UQAM.
S’il comprend mes réticences à recevoir une troisième dose au nom de la solidarité mondiale, il les qualifie d’un peu simpliste.
En gros, m’explique François Audet, ce n’est pas parce que je boude mon boost que celui-ci sera envoyé par avion au Burundi.
L’enjeu éthique n’est donc pas incompatible avec le fait de prendre sa troisième dose sans feeler cheap. « Ça ne devrait pas être un facteur de ralentissement », affirme M. Audet.
Mais contrairement à ce que je pensais, l’approvisionnement n’est pas un problème à l’heure actuelle. « C’était le cas l’été dernier, mais là, la production dépasse nos besoins. On a surtout un problème de distribution. Si on avait un bouton magique, on pourrait vacciner la planète en quelques mois », révèle-t-il. Intéressant.
François Audet me raconte qu’à l’origine, l’OMS avait créé COVAX, une entité dont le but était de piloter une campagne de vaccination apolitique à l’échelle planétaire.
Les choses ne se sont pas exactement déroulées ainsi.
« Les pays riches ont mis d’abord la main sur les vaccins pour protéger nos populations en premier. Un réflexe normal et humain. COVAX s’est alors retrouvé sans soutien politique réel. Bref, ça n’a pas levé pantoute », résume François Audet.
Et pendant qu’on était confiné.e.s et ébranlé.e.s par les morts qui s’empilaient dans nos CHSLD, la Chine et la Russie passaient des deals avec des pays africains pour leur acheminer des vaccins en échange d’influence politique. « On a perdu la cause de l’équité vaccinale à peu près à ce moment », souligne l’expert.
Autre élément important à noter aux yeux de François Audet : le fait que l’urgence vaccinale et la crise sanitaire soient d’abord des problèmes de riches. « Je suis en contact avec vingt ou trente pays par an. Pour la majorité des pays pauvres, la pandémie n’est pas un problème urgent. Ils ne sont pas là du tout, ils se sauvent des tirs de mortier à Gaza ou des djihadistes en Syrie », explique le professeur, ajoutant que la vaccination n’est carrément pas à l’ordre du jour à plusieurs endroits sur le globe. « Ils trouvent ça important aussi, mais ils ont d’autres chats à fouetter, genre nourrir leurs enfants. Où mets-tu tes énergies quand ton pays est en déplacement, dans des camps de réfugiés ou que tes écoles ne sont pas fermées à cause de la pandémie, mais parce qu’elles n’existent carrément pas? », demande François Audet, sans attendre la réponse.
À l’entendre, on devrait se soucier davantage du sort du monde at large que de l’inégalité vaccinale mondiale. D’autant plus que le travailleur humanitaire note qu’aucune surmortalité n’a été observée en Afrique à cause du virus. C’est peut-être normal quand ta population meurt encore de la rougeole et que ton espérance de vie frôle les 50 ans…
Mais bon, mon idée de passer mon tour pour une troisième dose n’est pas complètement folle non plus, m’encourage François Audet. « Notre troisième ou quatrième dose (Israël est rendu là) devrait servir à faire une pression politique pour être solidaire par contre. La fin de la pandémie ne se fera pas par le vaccin parce que l’équité sanitaire ne se fera pas », tranche François Audet, à l’instar de l’OMS.
Il ajoute que si on a l’impression que certains pays où les mesures sont moins restrictives sont un brin inconscients (allô les États-Unis), c’est plutôt un symptôme de notre propre seuil de tolérance au risque qui frotte au ras les pâquerettes. « C’est sûr qu’on veut protéger nos aînés, mais on fait des enquêtes publiques dès que les gens meurent. Ce n’est pourtant rien comparé à ce qui se passe ailleurs. Mais on évacue le risque, la mortalité de masse n’est pas acceptable ici. »
«Des médecins et des épidémiologistes influencent actuellement le gouvernement, mais ça prendrait des éthiciens. Il faut normaliser la crise.»
François Audet prône carrément un changement de stratégie pour aborder la pandémie. « Une crise durable, ce n’est pas une crise, c’est devenu la norme. C’est un nouveau paradigme. La COVID, on va vivre avec. On ne peut plus tout fermer à chaque vague », estime François Audet, d’avis qu’il serait grand temps que le gouvernement tende l’oreille vers d’autres points de vue. « Des médecins et des épidémiologistes influencent actuellement le gouvernement, mais ça prendrait des éthiciens. Il faut normaliser la crise », insiste-t-il.
enjeu du terrain
Fascinant, tout ça. Mais pour éviter de trop me lucielauriertiser, je passe un coup de fil à l’urgentologue bien connu Alain Vadeboncoeur.
Très engagé dans la crise actuelle, je compte sur lui pour trouver que mon projet de refuser une troisième dose par solidarité mondiale (et parce que je me sens moyennement concerné par les risques) est une idée de marde. Le connaissant un peu et à voir sa fougue sur les réseaux sociaux contre les récalcitrant.e.s, il risque de me ramener dans le droit chemin avec une taloche en arrière de la tête.
Surprise! Il ne porte pas de lunettes roses sur les succès de la troisième dose. « Le problème avec ce variant-là [Omicron], c’est [que le vaccin] est moins efficace [pour en freiner] la transmission. L’angle principal des doses, c’est la protection des hospitalisations plus graves », explique d’entrée de jeu Alain Vadeboncoeur, qui a sondé ses abonné.e.s Twitter pour palper leur intention de prendre rendez-vous, et si elle était existante, pour quels motifs.
Sur les milliers de répondant.e.s (5000 environ), 80 % ont invoqué leur volonté d’assurer d’abord leur propre protection. Compte tenu des faibles risques extérieurs (la forte majorité de la population est vaccinée), la troisième dose est une protection individuelle supplémentaire.
«La crise est l’incapacité de soigner les masses. La troisième dose a encore du sens dans la mesure où il y a cette surcharge.»
Le docteur Vadeboncoeur demeure convaincu que si les troisièmes doses avaient été distribuées plus tôt, les hôpitaux seraient présentement moins dans le trouble. « La crise est l’incapacité de soigner les masses. La troisième dose a encore du sens dans la mesure où il y a cette surcharge », simplifie-t-il.
Quant aux statistiques, le médecin croit qu’il ne faut pas trop banaliser le nombre de gens âgés de moins de 60 ans qui se ramassent à l’hôpital, soulignant qu’en haut de 30 ans, il y a malgré tout des risques.
Il comprend pourquoi des gens comme moi peuvent se montrer déçus à l’idée de s’injecter une nouvelle dose. « Mes deux enfants ont eu la COVID malgré leurs deux doses, alors ça fait réaliser que le vaccin n’est pas efficace à 100 %, mais aussi que ça serait pire sans les vaccins, parce qu’ils ont trouvé ça intense », nuance-t-il.
Il impute la responsabilité de cette impression de pédaler dans le beurre à quelques erreurs de communication de la part du gouvernement, qui a fait preuve de jovialisme à l’arrivée des premiers vaccins. Il cite ces publicités où l’on vendait la liberté et le retour à une vie normale entouré d’ami.e.s. « J’ai toujours dit qu’il faut tempérer l’enthousiasme quand ça va mieux et éviter de voir tout noir quand ça va mal », philosophe Alain Vadeboncoeur.
Quant aux critiques de François Audet sur la gestion de la crise du point de vue presque essentiellement médical et épidémiologique, Alain Vadeboncoeur estime que pour gérer une crise dans un système de santé en train de sauter, ce n’est pas le temps de philosopher.
Il reconnaît tout de même qu’il faudra ouvrir le débat quand la situation deviendra permanente et façonnera la société à plus long terme. « La logique médicale serait de fermer tout et ne rien faire, mais je suis 100 % d’accord qu’il faut voir d’autres angles », affirme-t-il.
À suivre…
Fort de ces avis éclairés, je maintiens le cap. Pour l’instant. Si je sens que cette décision met qui que ce soit en danger ou menace le réseau de la santé déjà sur le respirateur artificiel, j’évaluerai.
Je retiens de mes échanges avec François et Alain que tout est parfois une question de perceptions. Celle de voir la COVID comme la fin du monde ici alors qu’elle n’est même pas à l’ordre du jour ailleurs. Celle, en contrepartie, de banaliser l’importance du vaccin alors qu’il fait ses preuves (le nouveau directeur de la santé publique a évalué que sans la vaccination, le Québec aurait enregistré 900 nouvelles hospitalisations et plus de 3000 morts la semaine dernière).
La perception aussi de haïr les non-vacciné.e.s en les accusant de tous les maux alors que nos élu.e.s dorment au gaz depuis trente ans pour redresser notre réseau de la santé.
Bien sûr, ça serait simple d’abattre les 4,2 kilomètres qui me séparent du stade. Et peut-être que j’irai plus tôt que tard. Mais si ma troisième dose, elle, pouvait voyager, je la préfèrerais dans le bras d’une personne qui aurait bien besoin de sa première. Une question d’équité.