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15 avril 2019, un incendie défigure une bonne partie de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Rapidement, les internautes manifestent leur solidarité en inondant Facebook ou Instagram d’archives d’eux-mêmes flanqués de la vieille église (coupable aussi).
Le parallèle semble boiteux, mais difficile de ne pas observer le même stratagème depuis quelques jours, avec des êtres humains cette fois.
Vous avez probablement aussi remarqué voire alimenté cette nouvelle tendance apparue en marge du meurtre de George Floyd et du mouvement Black Lives Matter qui se répand dans le monde comme une trainée de poudre : namedropper un « ami » noir dont vous n’avez pas pris de nouvelles depuis des lustres, ressortir de vieilles photos d’un séjour de coopération internationale ou y aller d’un statut #blm en identifiant une connaissance racisée avec qui vous avez vaguement échangé 2-3 mots dans une dégustation de bières de micro en 2013.
Qu’en pensent celles et ceux qui sont de l’autre côté du tag?
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Une façon de se déculpabiliser
Pour l’animateur Philippe Fehmiu, le fait de faire l’apanage de ses accointances avec des personnes racisées constitue une bonne façon de se déculpabiliser. Il cite l’avocat et entrepreneur social Fabrice Vil, qui écrivait récemment qu’il fallait arrêter de penser à sa propre identité à travers le racisme et plutôt se livrer à un examen de conscience.
«Il y a une tendance, mais ça a toujours été. Les gens veulent se justifier. Mais la meilleure chose à faire serait de montrer de l’empathie et être prêt à entendre la réalité. »
Philippe Fehmiu érige même un parallèle intéressant avec le mouvement #metoo. « J’étais le premier à étaler ma solidarité, affirmer que je ne suis pas sexiste, mais on m’a vite fait réaliser que j’ai sans doute eu des comportements qui ont rendu des femmes mal à l’aise dans le passé », raconte l’animateur, à la barre des émissions Vi@Fehmiu et Plus qu’un hit avec Philippe sur les ondes d’Ici Musique.
Il ajoute qu’en voulant dénoncer le racisme, des gens réalisent probablement l’avoir été dans le passé et cherchent peut-être à se refaire une forme de virginité. « Il y a une tendance, mais ça a toujours été. Les gens veulent se justifier. Mais la meilleure chose à faire serait de montrer de l’empathie et être prêt à entendre la réalité », croit Fehmiu, d’avis que la pire erreur de François Legault est de continuer à nier l’existence du racisme systémique, qui a cours selon lui au Québec. « Il y a des avancements, Trudeau l’a reconnu, Legault n’aura pas le choix de faire un move. Le vent tourne et même si je suis très fâché présentement, je me nourris d’espoir », résume-t-il.
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Il faut écouter
Écouter.
Voilà ce que prescrit la stratège en communication et fondatrice de Milagro Atelier de relations publiques Martine St-Victor. « Ça ne suffit pas d’avoir un ami noir aujourd’hui si on ne fait rien pour faire partie de la solution ni aucun effort pour changer les mentalités », estime celle qui vient justement de publier dans La Presse + une lettre sur l’urgence d’aller plus loin que des hashtags.
« Dire qu’on a des amis noirs c’est aussi se dédouaner de la responsabilité qu’on a et ça c’est pas nouveau », ajoute Martine, évoquant au passage les références de Trump à son « african-american friend » ou même les propriétaires américains qui désignaient autrefois leurs esclaves comme leurs « amis ».
«La semaine prochaine, les médias parleront d’autre chose. Mon souci est de poursuivre la conversation.»
Évidemment, Martine n’accuse pas les gens d’être des sympathisants esclavagistes, mais elle se demande quand même ce qu’ils font concrètement pour faire une différence. « La semaine prochaine, les médias parleront d’autre chose. Mon souci est de poursuivre la conversation », admet-elle, observant toutefois une sorte d’éveil porteur d’espoir ces derniers jours. « On donne la voix à des gens qui ne l’avaient pas, c’est ça la différence », se réjouit-elle, citant son amie, l’animatrice Isabelle Racicot, qui a pu parler de racisme sur les ondes de la populaire émission Salut Bonjour, qui n’a pourtant pas la réputation d’offrir la tribune la plus woke en ville.
Martine St-Victor ajoute que c’est correct aussi de résister à la tentation de s’épancher et de choisir de se taire. « Je me surprends depuis hier à citer Georges Bush, qui a déclaré que c’était pas le temps de donner des leçons, c’était le temps d’écouter. »
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La cause à la mode
Le chroniqueur culturel bien connu Herby Moreau pouffe de rire lorsqu’on lui explique l’angle de ce reportage. Il avoue d’emblée «profiter» lui-même de cet intérêt soudain pour sa petite personne. « Hier surtout, c’était le festival des appels, textos et «like» sur Instragram, souvent de la part de gens que j’ai perdu de vue », énumère l’animateur, qui s’est aussi fait taguer dans des publications.
«Je le vis toujours quand j’entre à Radio-Canada et que les seuls Noirs que je vois sont à la sécurité, même chose dans la période de Noël où il y a plus de Noirs que de Blancs parce qu’on n’est pas permanents.»
Même si ces manifestations d’amour soudaines sont probablement pavées de bonnes intentions, Herby admet néanmoins tomber un peu en bas de sa chaise. « Ça fait 25 ans que vous me connaissez, pourquoi c’est seulement aujourd’hui qu’on a cette conversation », soupire-t-il, ajoutant subir le racisme depuis son arrivée au Québec à l’âge de cinq ans. « Je le vis toujours quand j’entre à Radio-Canada et que les seuls Noirs que je vois sont à la sécurité, même chose dans la période de Noël où il y a plus de Noirs que de Blancs parce qu’on n’est pas permanents », déplore-t-il.
Sans se bercer d’illusions, Herby Moreau espère que la conversation ira au-delà du partage de carré noir et cette idée d’appuyer une cause à la mode, lui rappelant vaguement le buzz environnemental observé lors de la marche monstre avec Greta Thunberg dans les rues de Montréal l’an dernier. « Les tournages vont recommencer dans les prochaines semaines et j’ai l’impression qu’on verra un peu plus de noirs dans District 31…», résume un peu cynique Herby Moreau.
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Des maladresses
«Personne n’est mal intentionné en posant un geste même raciste. Je ne pense pas que tu te lèves un matin en te demandant comment faire chier des Noirs.»
De son côté, l’animatrice et chroniqueuse radio-canadienne (et soeur de Philippe) Myriam Femhiu martèle que le fait d’avoir un.e. ami.e/blonde/chum issu des communautés noires ne constitue pas un passeport de wokeness. « C’est par contre un outil précieux pour réaliser les privilèges blancs, poser des questions et réfléchir à la façon de se positionner clairement comme antiraciste », nuance Myriam, qui concède néanmoins que le soudain activisme virtuel de certains relève surtout de la maladresse. « Personne n’est mal intentionné en posant un geste même raciste. Je ne pense pas que tu te lèves un matin en te demandant comment faire chier des Noirs », estime l’animatrice à la barre de l’émission Rapophonie, d’avis que l’heure est à l’introspection. « Je suis moi-même silencieuse depuis quelques jours. J’ai grandi là-dedans et je ne suis même pas sûre encore d’avoir une réflexion là-dessus. J’ai besoin d’un pas de recul », avoue Myriam avec franchise, qui retient toutefois l’importance d’amorcer un dialogue.
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Garder les yeux ouverts
Dans un texte d’une lucidité désarmante, notre collaborateur Billy Eff Williams s’est aussi exprimé dans ses mots sur le racisme ambiant, qui remonte dans sa vie bien avant la mort de Georges Floyd.
«J’ai quand même une grosse peur que ça ne soit qu’une tempête dans un verre d’eau et qu’on n’en parle plus dans deux semaines.»
Contrairement aux intervenants précédents, il ne remarque pas cette tendance à vouloir maladroitement appuyer la cause des personnes racisées. Au contraire en fait. « Les gens se tournent plutôt vers moi pour savoir comment aider, contribuer, mais je ne sais pas vraiment où les orienter », raconte le musicien membre du groupe québécois Ragers, ajoutant que le racisme qui s’exprime au Québec est différent de celui vécu de l’autre côté de la frontière. « Il est rarement malicieux, délibéré et relève davantage de l’ignorance », constate Billy, qui suggère aux gens de simplement garder les yeux grands ouverts. « Regardez les vidéos qui passent, informez-vous jusqu’à ce que ça devienne aussi accablant pour vous que pour une personne racisée! », lance Billy, qui souhaite que la lutte contre le racisme soit intégrée à notre vie par de petites actions de manière permanente et durable… comme le recyclage ou le compostage. « J’ai quand même une grosse peur que ça ne soit qu’une tempête dans un verre d’eau et qu’on n’en parle plus dans deux semaines », avoue-t-il toutefois.
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Un moment s’est créé
Devant cette tendance virtuelle à se montrer soudainement solidaire à la cause des personnes racisées, la journaliste Isabelle Massé dresse un parallèle inusité avec la mort de David Bowie. « Tout le monde essayait alors de s’approprier sa mort, rappelant son interview avec lui, son souvenir associé à tel disque, etc. et ça, ça m’énerve », admet la reporter de La Presse, qui a été nommée « journaliste presse écrite » de l’année lors du dernier Pré-Gala Dynastie, dont la mission est d’honorer l’excellence Black.
«Il y a peut-être des maladresses, mais aucune mauvaise intention. Avec les réseaux sociaux, les gens aiment être dans la gang.»
Mais Isabelle a néanmoins senti qu’un véritable mouvement était en train de se créer en apercevant des policiers américains blancs poser le genou à terre en guise de solidarité récemment. « Il y a peut-être des maladresses, mais aucune mauvaise intention. Avec les réseaux sociaux, les gens aiment être dans la gang », ajoute Isabelle, citant par exemple le Ice Bucket Challenge. Isabelle serait tout de même intéressée à entendre concrètement ce qui incite les gens à partager un carré noir, leurs réelles motivations. « C’est pas parce que tu t’impliques sur les réseaux sociaux que la cause va avancer », tranche la journaliste, qui croit toutefois que ces maladresses et nobles intentions sont souvent attribuées à des gens plus âgés. « J’ai l’impression que la génération de nos enfants – à Montréal en tout cas- ne vivra pas ça, ne voit pas les couleurs », constate Isabelle.
Et si je peux me permettre une anecdote lui donnant raison pour terminer ce texte, jamais je n’oublierai ce jour où mon fils d’alors six ans m’a dit que son éducatrice voulait me parler en allant le chercher à l’école.
Je lui ai alors demandé laquelle, en voyant deux femmes assises côte à côte sur un banc dans le gymnase. Une femme à la peau blanche et l’autre à la peau noire.
« Celle avec des lunettes », m’avait-il répondu spontanément.