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Chères personnes blanches

Par
Fabrice Vil
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Fabrice Vil est bien connu pour avoir fondé l’organisme Pour 3 points. C’est aussi lui qui est derrière le projet Je me souviendrai réalisé en collaboration avec le réalisateur Jorge Camarotti. À la suite des manifestations dénonçant le racisme et la brutalité policière en lien avec le décès brutal de George Floyd mort sous le genou d’un policier blanc, il a publié sur sa page Facebook un message adressé aux personnes blanches pour les inviter à réfléchir à la manière dont elles contribuent au racisme. Avec sa permission, nous reproduisons ici ses propos.

Chères personnes blanches,

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Je m’adresse à vous particulièrement aujourd’hui dans un esprit de connexion. Parce que je reçois des dizaines de messages d’ami.e.s blanc.he.s qui reconnaissent leur privilège et se questionnent sur leur posture en ce moment. Nous avons une occasion à saisir ici ensemble pour une monde plus juste, et même si la suite nous concerne tous et toutes, je crois que le contexte justifie que je m’adresse plus explicitement à vous.

D’abord, j’écris ici en mon nom personnel, et non en tant que représentant de quelque communauté. Je reconnais toutefois que mon expérience de négritude apporte une texture particulière à mes propos.

Je prends la plume à nouveau ce matin, au milieu de toutes les communications qui circulent, sachant que les réseaux sociaux ne prennent pas de pause. Et peuvent être en ce sens épuisants. Mais savez-vous ce qui ne prend pas de pause non plus, depuis des siècles? Le racisme. Qu’est-ce que le racisme?

Après des années de réflexions, de lectures et de conversations sur le sujet, je tiens à avancer le paragraphe suivant, qui pourrait être difficile à comprendre, parce qu’il choque la compréhension commune du racisme. Une compréhension erronée qui bloque le passage au progrès.

Le racisme se reconnaît par une chose: l’oppression que subissent les personnes racisées à travers un ensemble de phénomènes tangibles et intangibles.

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Alors voici: il n’existe pas de personnes «racistes», d’autres qui sont «pas racistes». Personne n’est «raciste». Absolument personne. C’est une erreur fondamentale de catégoriser le monde qui nous entoure de cette façon. Le racisme n’est pas une identité. Une attitude, un propos, un geste, un phénomène peut avoir des conséquences racistes.

Le racisme se reconnaît par une chose: l’oppression que subissent les personnes racisées à travers un ensemble de phénomènes tangibles et intangibles. Notre défi est de voir ces phénomènes.

Le racisme se reconnaît par un policier qui s’agenouille sans merci sur le cou d’un homme. Le geste est facile à voir dans ce contexte. Et c’est pour ça qu’il devient si facile à dénoncer pour vous. Mais à nous arrêter là, on place le racisme entre les mains d’un individu. “Le policier raciste”. Et je questionne la possibilité de progrès dans ce scénario.

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On dit souvent que le racisme n’a pas augmenté ces derniers temps. Il est simplement filmé. On a là cette vidéo qui prouve comment une personne ordinaire contribue au racisme. En connaissance de cause des inégalités affectant les personnes noires.

Et si on rapproche le racisme de nous, la question pertinente me semble: comment est-ce que vous et moi contribuez au racisme, consciemment et inconsciemment?

Vous avez toutes et tous l’histoire de la fois où vous n’avez rien dit suite à un commentaire raciste, où vous n’avez pas voulu écouter un.e ami.e qui dénonçait le racisme, ou encore où vous avez émis un préjugé à l’endroit d’une personne en raison de la couleur de sa peau.

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Voilà une occasion idéale de considérer cette question: vous avez toutes et tous l’histoire de la fois où vous n’avez rien dit suite à un commentaire raciste, où vous n’avez pas voulu écouter un.e ami.e qui dénonçait le racisme, ou encore où vous avez émis un préjugé à l’endroit d’une personne en raison de la couleur de sa peau. Le racisme peut aussi être internalisé et des personnes racisées peuvent aussi contribuer au racisme. Ça nous concerne tous et toutes.

L’occasion est belle de considérer pour vous-mêmes ce qui s’est passé en vous à ces moments-là. Une manière de Briser le code. Si vous le souhaitez, vous pouvez partager ces anecdotes sur les réseaux sociaux; ce serait un bel acte de vulnérabilité selon moi, qui contribuerait à rendre le racisme moins tabou. Mais il me semble plus pertinent que l’exercice soit fait d’abord pour vous mêmes.

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Nous avons aussi une occasion unique de lucidité face à nos institutions. En quoi contribuent-elles au racisme?

Que veut dire l’inexistence de plans de lutte contre la pauvreté et l’exclusion à Montréal, quand le rapport du coroner André Perreault ayant fait suite à au décès de Freddy Villanueva a recommandé, en 2013, l’élaboration de tels plans?

Que veut dire le tweet du SPVM de hier par rapport à ce qui s’est produit aux États-Unis, s’il n’est pas accompagné d’une reconnaissance du profilage racial et de la brutalité policière ici? Le problème n’est pas «out there». Il est «in here».

Que veut dire le fossé énorme entre l’affirmation de François Legault nous dit «continuons le combat pour enrayer le racisme», alors que son gouvernement n’a encore aucun plan en ce sens?

Que veut dire la une du Journal de Montréal, qui se concentre sur un «saccage au centre-ville», sans faire de mention du fait qu’il s’agissait hier d’une manifestation largement pacifique visant à lutter contre le racisme (nombre de témoignages vidéos illustrent que seulement quelques casseurs, blancs sur toutes les images que j’ai vues, sont venus perturber)?

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Nous sommes toutes et tous privilégié.e.s à certains égards, opprimé.e.s à d’autres. Et quelles sont nos responsabilités face à nos privilèges? Chacun a son libre arbitre, ici. J’ai choisi d’utiliser mes privilèges, dont ma tribune, pour m’exprimer sans réserve au service d’un monde plus juste.

Quelle sera votre responsabilité?