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Racisme, privilège et mémoire au Québec

Un sujet qui mériterait plusieurs encyclopédies.

Par
Billy Eff
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Comme beaucoup de mes amis racisés, les derniers jours ont été très éprouvants pour moi. Regarder des vidéos, lire des articles, constamment rechercher de la nouvelle information pour être à jour sur une situation aussi injuste, ça fait remonter plusieurs sentiments, dont beaucoup que je croyais cachés, enterrés, que je ne reverrai plus jamais. Et soudainement, la mémoire nous revient. On se souvient de cette situation : on l’a vécue l’an dernier, et avant aussi : c’est un cycle. Ils tuent un des nôtres, nous rappellent qu’ils ont suffisamment d’équipement de pointe pour tous nous réserver le même sort, et n’éprouveront pas une miette de remords.

On l’a vécue l’an dernier, et avant aussi : c’est un cycle. Ils tuent un des nôtres, nous rappellent qu’ils ont suffisamment d’équipement de pointe pour tous nous réserver le même sort, et n’éprouveront pas une miette de remords.

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Ce n’est pas automatiquement évident, étant donné à quel point ma peau est foncée, mais j’ai un père blanc. La couleur de peau et le statut socio-économique de mon père m’ont conféré ce qu’on appelle le White Privilege, le «privilège blanc». Peu importe la situation, je peux vous assurer que dès que le nom de mon père était mentionné, sans même qu’il ne le sache, beaucoup de choses étaient pardonnées, oubliées, les choses devenaient plus simples. Ça m’a pris des années à me rendre compte que non seulement ce privilège existe, mais que j’en ai bénéficié toute ma vie. Mon père et sa blancheur auront toujours été un bouclier contre l’injustice que j’aurais pu vivre. Après tout, je suis né à Madagascar, l’un des pays les plus pauvres du monde. Si mon père avait décidé de renier sa paternité, je serais resté là toute ma vie, je n’aurais pas eu la citoyenneté canadienne, et presque aucun de vous ne me connaitrait. Je n’aurais jamais eu le loisir d’étudier ce que je voulais, je ne ferais probablement pas de musique. Je n’aurais pas eu droit à mon enfance paisible.

Bref, ma vie a longtemps tenu au seul fil de ma paternité, dans un système blanc, catho, patriarcal, dont j’ai fait ma mission de vie très tôt d’apprendre tous les codes, pour ne jamais être la cible des blagues racistes que j’entendais. Le fait que je comprenais les choses différemment, que les codes sociaux blancs m’étaient familiers, m’a aussi servi de bouclier. Je n’étais soudainement plus un immigrant noir lambda, mais bien un garçon qu’on décrivait comme étant « très intelligent », avec « beaucoup de potentiel ».

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J’ai toujours eu un tel bouclier dans mon privilège blanc que j’ai toujours senti comme une différence entre moi et les autres personnes de couleur. J’ai souvent manqué de courage pour dénoncer le racisme duquel étaient victimes des gens à l’entour de moi, et vous avez toutes mes excuses. Je vous promets, je vais faire mieux.

Le simple fait de dire que je suis Québécois ne semble jamais suffire ici.

Par contre, vers mes 12 ans, lorsque ma connaissance s’est radicalisée, quand j’ai commencé à creuser dans les recoins du racisme mou du Québec, ma vision a changé. J’ai perdu tous mes repères, une fois, lorsque j’ai rejoint des gens que j’avais rencontrés sur un forum de jeunes souverainistes. Le « oh, t’es noir! » se lisait sur leurs visages. Ç’a dégénéré, c’est devenu le festival du « mais tu viens d’où, pour vrai? », parce que le simple fait de dire que je suis Québécois ne semble jamais suffire ici.

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J’ai tellement été dégoûté que toutes mes aspirations souverainistes ont disparu en un instant. Retrouver mon amour profond pour le Québec, mon pays et ma patrie que j’aime et que j’adore aujourd’hui, ça m’a prit un crisse de bout. Mais je le clame haut et fort aujourd’hui. Mes ancêtres ont traversé l’Atlantique pour s’installer ici et ont été parmi les premiers arrivants. Un de mes ancêtres serait même celui qui a donné son nom aux Plaines d’Abraham. Mais tout ça ne semble souvent pas être assez, ma couleur de peau était un obstacle à une appartenance véritable.

Je n’oublierais jamais les premiers commentaires racistes que l’on m’a faits, quand j’ai découvert pour la première fois que la couleur de ma peau pouvait être utilisée comme arme contre moi. Je n’oublierai pas le nombre de fois où l’on m’a pull over, parce que j’étais un jeune noir qui conduisait une voiture qui semblait trop belle pour lui (celle de mon père, évidemment), le nombre de rires nerveux, de « Oh, excusez-nous, c’est qu’on voyait la photo d’un homme blanc associé avec la plaque…Vous comprenez? Hihi ».

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Il y a trois ans, un jeune blanc à Québec a commis une tuerie ignoble, terroriste et raciste, et a eu droit à des applaudissements d’une belle poignée de débiles populistes. Il y a deux ans, un groupe néonazi est rentré par effraction dans mon lieu de travail pour nous intimider et nous menacer. Ces gens sont bien connus des policiers, mais s’en sortiront probablement indemnes. Ils ont aussi droit à une vague de gros love raciste. Une fois, alors qu’on jouait avec Ragers à La Tuque, des gars sont sortis du bar en criant des injures racistes. J’aime penser que ces gens sont une minorité, mais lorsque je consomme les médias québécois, que je me perds pendant des heures à lire des commentaires sur Facebook, que je regarde qui on a élu comme premier ministre et grâce à quelle plateforme, je perds beaucoup d’espoir. Comme beaucoup de gens racisés, je refuse d’oublier ça.

Une fois, alors qu’on jouait avec Ragers à La Tuque, des gars sont sortis du bar en criant des injures racistes. J’aime penser que ces gens sont une minorité, mais lorsque je consomme les médias québécois, que je me perds pendant des heures à lire des commentaires sur Facebook, que je regarde qui on a élu comme premier ministre et grâce à quelle plateforme, je perds beaucoup d’espoir.

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Le Québec, en tant qu’entité géopolitique semi-autonome, est relativement nouveau. Mais ses codes, ses systèmes bureaucratiques, et son standard d’appartenance propre découlent directement d’un catholicisme blanc et Franco, fermement en opposition au protestantisme anglo. Nos vraies grandes vagues d’immigration ont surtout eu lieu dans l’après-guerre, alors que nous nous définissions en tant que pays, moderne et souverain. Ces immigrations sont venues changer la donne : comment faire une pression salariale sur son employeur anglo pour avoir accès à de meilleures conditions de vie lorsqu’une vague d’immigrants qualifiés, qui dans plusieurs cas parlent français, acceptent de faire le même travail pour moins cher. Je comprends, l’immigration au Québec aura été vue comme un bâton dans la roue vers un vrai respect vis-à-vis la Couronne, les autres provinces et le reste du monde. Ce sentiment sera solidifié par les paroles de Pariseau, après la défaite en 1995, paroles que je crois qu’aucun Québécois issu de l’immigration ne peut oublier.

Le Québec a beaucoup changé, depuis que j’y suis arrivé. Montréal est aujourd’hui une ville vibrante, multiculturelle, qui n’est plus vue comme étant simplement une bizarrerie géopolitique sur le continent, définie par son catholicisme francophone et ses vagues airs de « Paris de l’Ouest ». On a même une scène rap propre à nous qui se construit devant nos yeux, et à laquelle je me sens choyé de me rattacher. Et ça, on le doit en grande majorité à la communauté haïtienne, à qui on a pillé l’argot pour s’en moquer, avant de le réintroduire dans notre propre vernaculaire. Donc si nous, parce que je m’inclus là-dedans, avons vraiment appris notre leçon durant les derniers jours, on va commencer à démontrer à nos frères et sœurs d’Haïti le respect qu’ils méritent, et on va leur donner leur place, parce que c’est eux qui ont posé les bases de notre culture.

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Pour une fois, en tant que société, je nous souhaite de porter un projet à terme. Je crois que c’est le bon moment. Le Québec ne serait nulle part sans ses immigrants, et c’est notre job de le rappeler aux racistes. C’est notre job de leur faire peur. De leur faire comprendre que le Québec qu’ils voulaient était un non-sens, on est rendus trop loin. C’est le temps de progresser, d’être braves face à tous les problèmes dont on a hérité en tant que génération. On a un million de problèmes auxquels faire face, et on n’y arrivera pas si on travaille en silos. Il faut complètement défaire la structure politique, sociale et académique qui encourage un nationalisme blanc, patriarcal et capitaliste. Jusqu’à ce que nous nous sentions chez nous en sécurité, et qu’on n’ait pas peur du système policier qui est censé nous SERVIR ET PROTÉGER, le Québec restera perdant. On a tant cherché à être une grande nation, à se prouver par rapport à nos alliés coloniaux qu’on a perpétué les pires ignominies, à commencer par notre traitement inhumain des Premières Nations, à qui on a volé le territoire et décimé la culture.

C’est notre diversité qui fait la beauté et le rayonnement de notre patrie à l’international. So keep that energy, keep fighting against racist structures.

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C’est notre diversité qui fait la beauté et le rayonnement de notre patrie à l’international. So keep that energy, keep fighting against racist structures. Parce que si vous avez utilisé cette situation comme outil de promotion, on va s’en souvenir, et on va vous le faire savoir. Parce que Dieu sait qu’on a des rats dans la scène.

Amis blancs, on a une faveur à vous demander. On le ferait bien nous-mêmes, mais la structure tait trop souvent notre voix: challengez vos amis, votre famille, toute la structure qui permet votre inaction tout en étouffant ceux qui contribuent à la culture dont vous profitez. Préparez-vous à devoir le faire à chaque occasion, pour le restant de votre vie. C’est une grosse responsabilité, mais c’en est une avec laquelle doit composer chaque personne issue d’une minorité dès sa naissance. Je vous le garantis, vous serez du bon côté de l’Histoire.