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« J’ai toujours eu le vent dans la face »

Valérie Plante en entrevue avec URBANIA.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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À l’occasion de la campagne municipale, nous avons tendu la main aux chefs des deux principaux partis en lice pour leur permettre de s’adresser à notre lectorat. La cheffe de Projet Montréal Valérie Plante a accepté notre invitation.

J’emprunte le REV rue Saint-Denis en croisant sur ma route plusieurs pancartes de Valérie Plante. Le soleil est aveuglant et j’ai rendez-vous avec la mairesse sortante dans un café du Vieux-Montréal. À destination, plusieurs rues sont bloquées et une haute présence policière encadre les funérailles en grande pompe du pompier Pierre Lacroix, prévues en matinée à la basilique Notre-Dame.

Youssef Amane, le directeur des communications de Mme Plante, se pointe seul dans la petite section réservée pour nous au deuxième étage du Tommy Café. La mairesse est pognée dans le bouchon et a dû abandonner sa voiture sur la route. Elle s’en vient à pied, explique Youssef.

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Je suis avec Marjorie, une stagiaire d’URBANIA qui va s’improviser photographe pour la rencontre. Une famille de touristes français petit-déjeune à la table voisine, un couple d’anglophones sirote un espresso à l’autre extrémité. Une toune de Safia Nolin joue dans le café. La scène est résolument montréalaise.

La mairesse s’amène, flanquée de son imposant garde du corps. Après les salutations d’usage, elle se donne un coup de peigne devant le mur en miroir. « Ça marche pu! », soupire au sujet de ses cheveux la principale intéressée, en se laissant tomber sur le canapé avec une moue, devant des plantes suspendues au plafond.

Valérie Plante devant un background de plantes : gros concept.

« Vos cheveux sont ben corrects », qu’on lui dit parce qu’on est bien élevé.e.s et parce qu’ils sont ben corrects pour vrai.

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Un café l’attend, maintenant tiède. Elle commande un jus pressé à la serveuse puis demande quelques coussins à Youssef pour une posture plus confortable dans le sofa.

Tout est beau, il est temps de s’y mettre parce que justement le temps file et est compté.

Ne rien tenir pour acquis

D’emblée, la cheffe de Montréal affirme mener une « super bonne campagne », une de ses forces, précise-t-elle. « J’ai toujours adoré ça, contre Louise Harel (pour le poste de conseillère du district Sainte-Marie en 2013) et contre Denis Coderre (en 2016 et maintenant). C’est encore plus l’fun de voir des gens en sortant de la COVID », constate-t-elle, heureuse de reprendre le porte à porte. « On m’a dit que c’est assez rare, une mairesse de Montréal qui fait ça. Les gens sont d’abord très surpris, mais ça ne prend pas de temps que les gens sont comme :Écoutez j’ai des choses à vous dire!” »

Pas le choix d’aborder avec elle les plus récents sondages où elle est au coude à coude avec Denis Coderre, à une semaine du scrutin. Valérie Plante assure ne rien tenir pour acquis, mais vante le travail de son équipe, à commencer par celui de son jeune directeur de campagne, Philippe Dubeau. « Ce dont on est extrêmement fière comme équipe, c’est qu’on est parti avec un retard de 12 points et qu’on est en progression constante depuis mars. Denis Coderre a perdu 19 points durant la même période. Si on se fie à la tendance, les gens sont ouverts à notre programme et mon opposant est sur une pente descendante », analyse Valérie Plante entre deux gorgées de jus d’orange.

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Elle ajoute ne l’avoir jamais eu facile en politique. « J’ai toujours eu le vent dans la face. Et même dans mon mandat, c’est quand même impressionnant : j’ai géré deux inondations, une période de chaleur meurtrière puis une pandémie. Mais, you know, it’s part of the job! », résume-t-elle avec aplomb.

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La propriétaire du café vient nous interrompre pour s’assurer in english que la mairesse est une cliente satisfaite. Elle réclame un égoportrait aussi, en plus d’avoir ramassé notre facture. « C’est la deuxième fois que je viens ici et j’adore ça! », souligne gentiment Valérie Plante à la propriétaire ravie.

Les bons coups du premier mandat

Ce dont elle est le plus fière de son premier mandat? « Le leg du Grand parc de l’Ouest », répond spontanément la première mairesse de Montréal, ajoutant qu’il s’agit d’un sauvetage majeur. « Ces terrains étaient voués à être développés pour faire des monster houses sous l’administration précédente, et moi, j’ai dit non. La logique de détruire des derniers espaces verts pour construire dessus, c’est une logique de fou », peste-t-elle.

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Les travaux d’envergure pour revitaliser la rue Sainte-Catherine sont aussi au nombre de ses bons coups, sans oublier le polarisant REV, qui fait le bonheur des cyclistes mais a aussi fait grincer les dents des commerçant.e.s. Valérie Plante l’avait prévu. « On savait que ça allait venter, la pandémie n’a pas aidé, les gens étaient à bout pis je comprends, mais à moment donné, faut avancer et la question de la sécurité sur Saint-Denis était cruciale. Et là, on a une piste utilisée par un million de cyclistes un an plus tard et 30 nouveaux commerces sur Saint-Denis », se targue Valérie Plante, raillant l’attitude de son adversaire qui prophétisait la mort de l’artère commerciale.

Valérie Plante est heureuse d’avoir mené ce chantier en pleine pandémie, au risque de bousculer les gens qui avaient la tête ailleurs. « Je suis contente de l’avoir fait, parce que là, c’est réglé à temps pour la relance économique », croit Valérie Plante, ajoutant que Montréal peut se targuer d’avoir une des meilleures relances au pays.

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Camilien-Houde : un projet mal présenté à la population

Si elle pouvait revenir en arrière, Valérie Plante aurait « mieux amené dans l’espace public » le projet d’aménagement du tronçon Camilien-Houde sur le mont Royal, en marge du décès d’un jeune cycliste en octobre 2017 à cause d’une manœuvre illégale d’un automobiliste. L’administration Plante voulait interdire les voitures, mais a finalement fait volte-face en optant pour un « chemin de plaisance » après une virulente levée de boucliers.

« On n’a pas assez bien travaillé pour présenter la séquence proposée par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) pour rassurer les gens. C’est parti dans tous les sens, mais ça nous a permis de voir à quel point les gens étaient attachés au mont Royal », reconnaît la mairesse sortante.

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À celles et ceux qui pourraient être déçu.e.s par son premier mandat mais qui seraient tenté.e.s de lui donner une seconde chance, Valérie Plante prêche pour la continuité. « Mes valeurs sont claires et j’ai besoin d’un deuxième mandat, parce qu’un dix-huit mois a disparu parce qu’il fallait s’occuper du monde », plaide Valérie Plante, soulignant que Montréal va bien malgré tout.

Remember la ligne rose?

Promesse électorale phare de la campagne de 2016, la ligne rose a été considérablement reléguée aux oubliettes depuis à cause de la pandémie. Valérie Plante avoue ne pas en avoir parlé depuis un moment et se lance dans une longue mise à jour un brin compliquée.

En gros, le projet de ligne rose doit relier Montréal-Nord à Lachine, en passant par le centre-ville. Si le financement du tronçon ouest est assuré par Québec (centre-ville/Lachine), tout reste à faire dans l’est, où le projet semble sur la glace. Valérie Plante évoque quelques alternatives intéressantes comme le SRB (Service rapide par bus) sur le boulevard Pie-IX et le méga-chantier du REM pour améliorer le transport collectif dans des quartiers mal desservis de la métropole.

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« C’est intéressant pour Saint-Léonard, Montréal-Nord, et on veut que ça se rende à Rivière-des-Prairies. Est-ce que j’abandonne la ligne rose dans ce tronçon-là? Non, mais c’est sûr que ça vient répondre à certains besoins en attendant », admet Valérie Plante, qui dit avoir aussi commandé des études pour désengorger la ligne orange.

Elle ajoute que si la ligne rose était sa promesse phare de la dernière campagne électorale, celle de construire 60 000 logements abordables sur 40 ans est l’équivalent de l’actuelle. Dans les deux cas, l’objectif est à ses yeux le même : transformer Montréal.

La pandémie dans le chemin

À l’instar de François Legault qui l’a maintes fois évoquée, la mairesse sortante a aussi vu son premier mandat marqué par la pandémie. Valérie Plante revient sur son plus gros défi, « l’applicabilité », ce qui signifie s’adapter continuellement aux décisions prises par Québec et la santé publique. « Je comprends très bien pourquoi, mais c’est pas toujours facile quand t’es au bout de la ligne et que tu dois implanter ça dans une ville comme Montréal, qui est la locomotive du Québec, avec des enjeux sociaux plus importants », admet Mme Plante.

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Elle souligne ne pas avoir eu le choix de mettre son pied à terre à deux reprises : d’abord pour dénoncer l’inaction du fédéral avec l’aéroport au début de la pandémie, ensuite lors de l’imposition du couvre-feu pour tous, sans exemption pour les itinérants. « Ça ne marchait pas (obliger les sans-abri à trouver un toit). C’était pas connecté à la réalité humaine de ce qui s’passe à Montréal. Sinon, il fallait travailler ensemble, se serrer les coudes. C’était pas le temps de faire des chicanes de clocher », résume Valérie Plante.

Évidemment, la pandémie a retardé la mise en place de son programme, à commencer par son plan climat, qu’elle qualifie de « plus ambitieux du pays ». Son dévoilement est relativement passé dans le beurre, regrette la mairesse sortante. « On ne voulait pas présenter ça en élection. J’aurais aimé en parler plus fort, mais ce n’est que partie remise », espère Valérie Plante.

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Plusieurs chantiers ont aussi pris du retard à cause de la pandémie. La cheffe de Projet Montréal calcule que 75 % d’entre eux appartiennent au privé ou à de grandes sociétés comme Énergir ou Hydro-Québec. « J’ai diminué de 40 % mes travaux pour permettre aux gens de souffler, mais en même temps, on est content de voir des grues partout, parce qu’au-delà des critiques contre les maudits cônes orange, ça veut dire que l’économie roule à Montréal. »

Une deuxième chance méritée

Lors de l’annonce gouvernementale d’un ambitieux plan en itinérance de 280 millions de dollars étalé sur cinq ans, l’administration Plante a annoncé son intention de doubler (de trois à six millions) sa contribution annuelle. Lorsqu’on lui demande pourquoi avoir attendu, alors que les besoins étaient déjà criants et bien visibles (ex. : campement Notre-Dame), la mairesse sortante impute le contexte. « Avec la pandémie, ça a craqué. Certains refuges ont doublé leur achalandage. Depuis le début de notre mandat, on veut sortir l’itinérance d’une logique saisonnière », assure-t-elle, heureuse de voir que le plan de Québec va dans ce sens.

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Pour ce qui est du sentiment de sécurité des Montréalais.es, le cheval de bataille de son adversaire Denis Coderre, Valérie Plante propose un plan sur trois axes : contrer le trafic d’armes (450 armes saisies depuis janvier, mentionne-t-elle), lutter contre le crime organisé et doubler le financement des organismes communautaires pour de la prévention dans les milieux plus vulnérables.

Puisque ça joue du gun surtout dans le nord de la ville, la mairesse sortante en profite pour réitérer sa confiance envers le candidat à la mairie de Montréal-Nord, Will Prosper. Ce dernier a fait les manchettes en août dernier pour ses démêlées avec la GRC menant ensuite à sa démission il y a 22 ans. Une fois encore, Valérie Plante martèle que M. Prosper a droit à une deuxième chance.

« Je suis extrêmement fière de sa candidature. Le geste qu’il a fait, je l’ai dit, est inacceptable, répréhensible, pas digne de la posture qu’il avait. Mais il a payé pour, a perdu sa job, s’est soumis au polygraphe. Alors, à un moment donné, tu fais quoi, ça fait 25 ans, t’as commis une erreur pour laquelle t’as payé et t’as plus jamais de chance? », demande Valérie Plante, vantant le travail abattu depuis par son candidat au sein de sa communauté.

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Et les jeunes dans tout ça?

L’entrevue achève. Quelques minutes encore, indique Youssef. La journée ne fait que commencer pour la mairesse sortante, attendue ensuite à la Basilique pour la cérémonie en mémoire du pompier tombé au combat.

Quand je demande ce qu’elle a en tête pour les plus jeunes, Valérie Plante raconte que son aîné de 18 ans s’apprête à voter pour la première fois. « C’est un garçon bien politisé et j’ai tenu pour acquis qu’il va voter pour moi, mais il m’a dit : “Ça va dépendre de ta plateforme maman” », raconte-t-elle en riant.

Sans surprise, elle constate que les jeunes sont très concerné.e.s par l’environnement et les changements climatiques, ce qui est en phase avec l’existence même de Projet Montréal. Même inquiétude du côté de l’accès aux logements, devenus hors de prix pour pas mal tout le monde, à commencer par les jeunes. « L’abordabilité est tellement essentielle, à l’heure où toutes les villes compétitionnent pour attirer de la main-d’œuvre. Il faut miser sur le logement abordable pour les jeunes afin de garder une main-d’œuvre qualifiée et attirer les investisseurs », tranche Valérie Plante, mentionnant un projet de 2000 logements destinés aux étudiant.e.s.

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Avant de partir, elle se soumet à quelques questions en rafale (que vous trouverez pour un temps limité en stories sur notre fabuleux compte Instagram), talonnée par son garde du corps.

Elle prend le temps de faire quelques égoportraits avec des client.e.s et employé.e.s du café qui le désirent, les yeux pétillants et un grand sourire estampé au visage.

Je comprends mieux ses détracteurs et détractrices d’être agacés par ce sourire contagieux et ces éclats de rire spontanés. C’est une arme redoutable en campagne, un atout qu’on ne peut pas feindre.

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À voir aller Valérie Plante, faire de la politique, ç’a presque l’air l’fun.