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J.D. Vance : le colistier chaotique que Donald Trump regrette déjà

Un accident de voiture fait homme (et divan).

Par
Malia Kounkou
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Tout ce que j’apprends sur James David Vance – dit « J.D. » Vance – me pousse aussitôt à chercher les caméras cachées.

Pourtant, deux semaines se sont à peine écoulées depuis que ce sénateur républicain de l’Ohio âgé de 39 ans a été adoubé comme colistier de Donald Trump, alors que l’ancien président poursuit sa course vers la Maison-Blanche, un micro-cartilage d’oreille en moins.

Donc, s’il bat Kamala Harris, sa nouvelle adversaire démocrate, aux élections de novembre, J.D. Vance sera son vice-président, faisant souffler un vent de terreur sur tous les sofas d’Amérique.

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Et pour vous, qui ignorez peut-être encore tout de cette conspiration virale menaçant la victoire de Trump, un divan IKEA à la fois, j’ai presque envie de m’excuser pour les paragraphes qui vont suivre.

« Presque », car nul ne peut saisir l’essence de J.D. Vance sans prendre acte du chaos constant qui l’environne.

ANGUILLE SOUS SOFA

Non, le colistier de Trump n’a pas confessé avoir eu des rapports sexuels avec un canapé dans son autobiographie de 2016 intitulée Hillbilly Elegy (ou, en français, Hillbilly élégie – livre sur lequel on reviendra, car cela fait déjà beaucoup d’informations à absorber en une seule phrase).

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Le mercredi 24 juillet, un article publié par Associated Press, sommité médiatique du fact checking, prenait de son précieux temps pour réfuter cette rumeur virale et tenace, recensant même toutes les apparitions des mots « canapé » et « canapés » dans le mémoire de Vance (10 fois, si vous vous demandiez).

Vingt-quatre heures plus tard, l’article était silencieusement supprimé, ce qui n’a pas empêché pas Internet d’en rire encore aux larmes, percevant dans ce papier un gâchis de temps et d’URL plutôt que la conséquence évidente d’une rumeur si absurdement puérile qu’elle en frôle le génie; car comment la démentir sans y sacrifier un peu de sa dignité?

Vance le découvrira lui-même ce mercredi, lors d’un rassemblement de campagne au Nevada où il partagera à la blague ne pas vouloir inviter sa femme à parler sur scène, de peur qu’elle ne le fasse ensuite « dormir sur le canapé ».

Sur scène, treize éclats de rire.

Et sur Internet, des milliers de bouches virtuellement bées.

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« Donc, il l’admet? », écrit un utilisateur stupéfait sur X, tandis qu’un peu plus loin dans les commentaires, une journaliste émet l’hypothèse que J.D. Vance est en fait un agent double envoyé par un camp politique adverse, et qu’un usager conservateur s’émerveille quant à lui du fait que « les blagues s’écrivent d’elles-mêmes », à présent.

De quoi faire surchauffer la machine à memes, qui ne bénéficiait déjà d’aucun répit depuis l’annonce officielle du choix de colistier de Donald Trump, alimentée par des internautes de tout horizon politique et professionnel – y compris Tommy Siegel, caricaturiste officiel du New Yorkers.

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À ce stade, il peut sembler presque anecdotique qu’on le précise à notre tour, mais : non, il n’existe aucune mention, entre les pages 179 et 181 de Hillbilly Elegy, de pulsions charnelles entre le colistier trumpiste James David Vance, son divan et « un gant en latex à l’envers glissé entre deux coussins de canapé », contrairement à ce que clame @rickrudescalves, soit l’utilisateur X à qui l’on attribue le début de cette saga.

Interrogé par Business Insider, celui-ci ne semble pas tant préoccupé par l’idée d’avoir accidentellement créé un monstre – bon nombre de personnes ayant effectivement pris son ajout précis et académique des numéros de pages fictifs comme un gage de vérité.

Il paraît même assez amusé qu’une blague rédigée entre deux courses à l’épicerie continue probablement d’être à l’origine de cauchemars et de réunions de crise au QG de Vance.

Sur une échelle plus globale, ce détachement narquois se comprend.

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Car le vrai problème n’est pas tant la création d’une rumeur ayant permis l’existence de fanfictions érotiques dans lesquelles J.D. Vance grogne « you filthy whore » au canapé en cuir de ses parents – non.

Il est dans les bourdes, les contresens et l’identité floue d’un politicien qui finit par incarner sa propre caricature.

CAMÉLÉON JUSQU’AU NOM

Délaissons un instant les rumeurs dans les craques du sofa pour se concentrer sur les faits.

Qui est réellement J.D. Vance? Que doit-on substantiellement retenir de lui? Car même son nom n’est pas son vrai nom.

À l’origine, il est le « James Donald Bowman » de son père biologique à sa naissance, devenu le « James David Hamel » de son beau-père adoptif. Puis, il se métamorphose en « James Hamel » durant sa scolarité, adopte le sobriquet « J.D. » Hamel jusqu’à son entrée à l’armée, « caporal James D. Hamel » sur le front irakien, « JD Hamel » sur son blog-slash-journal-intime, et « Jimmy Hamel » selon la rumeur (oui, encore une).

Puis, « James David Vance », en hommage à sa grand-mère.

Puis « J. D. Vance » (avec points et espaces).

Puis « JD » Vance (sans points et sans espaces).

Puis « J.D. Vance » (avec points et sans espaces).

Puis – écoutez, c’est flou.

Le site du Sénat américain les enlève, celui du Congrès les remet, Politico les enlève, Vance les alterne selon l’angle du soleil. Statuons sur l’usage le plus commun : « J.D. ».

J.D. Vance, donc, est une personnalité politique plurielle.

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Diplômé de Yale, avocat, homme d’affaires, père de famille, écrivain, sénateur, chroniqueur; par téléphone, la politologue Valérie Baudouin met la fête de sa mère sur pause pour me déballer la biographie du candidat d’une traite, habituée à parler des élections américaines dans le trafic, comme dans sa piscine.

« C’est quelqu’un qui vient d’un milieu ouvrier assez défavorisé, où il y avait beaucoup de dépendance, mais qui a réussi à incarner un peu le rêve américain. »

Notamment grâce au succès fulgurant de son mémoire de 2016, Hillbilly Elegy, dans lequel Vance raconte son quotidien marqué par la violence, les disparités économiques et la résilience post-industrielle de la Rust Belt appalachienne, qui l’a vu naître, grandir, partir, puis voir le récit de sa vie être adapté sur Netflix.

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Quant à savoir si ce récit de rédemption est véridique, ou si J.D. Vance vivait plutôt « dans la banlieue résidentielle de Cincinnati », ne côtoyant la Rust Belt que le temps d’un été, juste assez pour s’imprégner d’un mépris de classe apparemment palpable un mot sur six, c’est un autre mystère.

En 2021, il entre d’un pied ferme et républicain dans le monde de la politique, et devient sénateur républicain.

Trois ans plus tard, Donald Trump voit en lui un potentiel vice-président qui pourrait l’aider à sécuriser le vote pivot de l’Ohio pendant les élections présidentielles, tout en soufflant un vent de fraîcheur-mais-pas-trop-mais-quand-même.

« Vance est l’avenir du mouvement Make America Great Again. En le choisissant, Donald Trump pense maintenant à sa succession », explique Valérie Baudouin.

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Enfin, en-fin, Trump a trouvé une âme sœur plus jeune et maléfique avec laquelle cocher le plus de cases possible sur sa bucket list d’offenses.

En premier, la misogynie.

Invité en 2021 sur Fox News, Vance dira donc de Harris – et de toutes les autres femmes démocrates lui tapant un peu trop sur le système – qu’elles sont des « femmes à chats sans enfants et malheureuses dans leur propre vie, qui projettent leur misère sur le reste du globe ». Questionné sur ses propos en 2024, il en remettra une nouvelle couche.

En second, le racisme.

« Je ne savais pas que [Harris] était noire jusqu’à ce qu’elle devienne noire, il y a quelques années », a lancé mercredi un Trump plein d’audace sur l’estrade d’une convention rassemblant des journalistes noirs.

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Quelques heures plus tard, Vance se joint à la mêlée sur Truth social, soit le réseau social implanté par son nouveau boss, soupçonnant ouvertement « Crazy Kamala » d’instrumentaliser ses origines afro-indiennes pour gagner des votes ici et là.

Alors que le J.D. Vance de 2016 aurait plutôt qualifié Trump « D’HITLER DE L’AMÉRIQUE » et de « CONNARD CYNIQUE à la NIXON ».

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À l’époque, il se présentait effectivement comme un conservateur de la trempe « Never Trump ».

Il employait aussi toute plateforme à portée de main – entrevues radio, micros de podcast, compte X ou chronique du New York Times – pour qualifier l’ancien président de personne idiote, frauduleuse, qui ne devrait pas être vue à moins de 13 kilomètres de la Maison-Blanche.

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En 2021, il aurait cependant vu la lumière. Et, comme beaucoup de néo-trumpistes, il s’en est allé, tête baissée, faire une tournée médiatique d’excuses accompagné d’un petit violon.

« Comme beaucoup de gens, j’ai critiqué Trump en 2016, et je demande aux gens de ne pas me juger […]. Je regrette d’avoir eu tort à propos de ce type. Je pense qu’il était un bon président », plaide-t-il en 2021 chez Fox News.

« J’ai adhéré aux mensonges et aux distorsions des médias [sur Trump] », réitère-t-il sur Fox News en 2024, se présentant comme un bon argument pour les sceptiques.

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De la poudre aux yeux, selon Valérie Baudoin. Elle voit toutefois comment ces regrets publics et répétés ont pu lentement séduire son ancien ennemi – « Donald Trump aime quand les gens changent d’idée, je pense que ça flatte son égo. »

Mais a-t-il véritablement et intrinsèquement changé d’idée au sujet de Trump? Tout comme son degré d”amour véritable des sofas, c’est franchement impossible à savoir.

Reste que, de l’extérieur, ce revirement de situation a tout d’un réflexe de survie politique somme toute assez fréquent – l’ancienne candidate républicaine Nikki Haley étant d’ailleurs un autre exemple flagrant.

En 2024, pas le choix de kiss the ring, comme me l’explique en bon français Valérie Baudoin.

« Si tu veux être membre du Parti républicain, tu ne peux pas être contre Trump. Soit tu te fais tasser, soit tu passes un mauvais quart d’heure. »

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À QUEL PRIX?

Reste à savoir qui, exactement, passe le plus mauvais quart d’heure, en ce moment.

Donald Trump, pour être presque devenu l’attaché de presse de son propre colistier dont il doit justifier les faux pas à répétition?

Vance, ce vent nouveau du mouvement MAGA censé s’étendre jusqu’à des populations politiquement plus lointaines, finit même par vexer celle déjà conquise – surtout celle qui possède des chats.

« Si tu souhaites défendre les valeurs familiales, tu dois quand même prendre en compte l’infertilité, qui peut frapper les femmes républicaines comme celles démocrates », rappelle Valérie Baudouin en revenant sur son tacle à Kamala Harris, qui ne cesse de faire des vagues.

« Il flotte même des rumeurs de remplacement de vice-président, même si je serais très surprise que ça arrive. Mais c’est pour dire l’état de panique », ajoute-t-elle.

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Mais peut-être que la médaille d’or du mauvais quart d’heure revient à J.D. Vance lui-même, sa crédibilité politique et humaine enterrée sous ses propres contradictions, alors qu’Internet n’attend que de le voir photographié à proximité d’un magasin IKEA, un sourire en coin.

Ou bien revient-elle aux proches passés et actuels de J.D. Vance, qui essuient les dommages collatéraux d’un virage politique un peu trop près du ravin ?

À commencer par sa femme, Usha Chilukuri Vance, qu’il rencontre en 2011, sur les bancs de Yale. Américaine, d’origine indienne, hindouiste pratiquante, fille d’enseignants immigrés, végétarienne, électrice démocrate; le coup de foudre transcendera tout cela.

Il l’épouse en 2014, dans une cérémonie interconfessionnelle mélangeant sa foi catholique à la sienne, et tous deux ont aujourd’hui trois enfants : Ewan, Vivek et Mirabel.

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Du pain béni pour l’extrême droite, qui ne cesse de prendre sa famille comme un exemple vivant de la théorie du Grand Remplacement, une conspiration alléguant que l’immigration, ou encore le mariage interracial accélèreraient le déclin des populations caucasiennes.

« Il y a, en ce moment, un génocide blanc », martelait récemment le commentateur fasciste Nick Fuentes dans son émission America First, en évoquant J.D. Vance.

« Ce gars a une femme non blanche et un gamin nommé “Vivek”. […] Comment peux-tu soutenir l’identité américaine avec une famille mélangée de la sorte? »

Malgré ces attaques répétées, Chilukuri continue de soutenir son mari colistier dans une robe aussi bleue que sa carte d’électrice avant sa conversion républicaine.

D’ailleurs, fun fact macabre : celle-ci a même remis sa démission au cabinet d’avocats « radicalement progressiste » Munger, Tolles and Olson où elle travaillait comme juriste depuis 2015, et qui s’est aussi mérité le titre de « cool, woke » par The American Lawyer. Après tout, en 1989, il veillait déjà activement au maintien de la loi Roe c. Wade légalisant l’avortement.

Un immense conflit d’intérêts pour Chilukuri, si l’on considère que, depuis 2021, J.D. Vance milite publiquement contre ce droit et souhaite idéalement le voir criminalisé à l’échelle nationale, même en cas d’inceste ou de viol.

L’ironie est telle qu’on la croirait fabriquée en laboratoire, ou tout droit sortie d’un épisode de South Park.

Mais il n’y a pas de malaise s’il n’y a plus d’incohérences, n’est-ce pas?

C’est pourquoi, trois jours après la consécration colistière de Vance, Chilukuri donnera son premier discours officiel devant un parterre républicain en liesse, baigné de pancartes appelant à la déportation massive des immigrants.

Puis, elle mentionnera que ses deux parents sont eux-mêmes des immigrants venus s’installer aux États-Unis dans les années 80.

Silence général.

Le plus violent? L’extrême tiédeur avec laquelle Vance la défendra, sans pour autant condamner les attaques racistes à son égard.

« De toute évidence [ma femme] n’est pas une personne blanche, et nous avons été accusés, attaqués par certains suprémacistes blancs à ce sujet. Mais c’est juste… que j’aime Usha », énonce-t-il comme de simples évidences au micro de la radio SiriusXM.

Juste avant de lister les qualités de sa femme – « bonne mère », puis « avocate brillante » –, comme pour lui décrocher un nouveau poste ou mettre ses bons côtés de l’avant pour qu’on lui pardonne de ne pas être sortie des entrailles de l’Oncle Sam.

De la part d’un politicien n’ayant eu aucun mal à suggérer que divorcer n’est qu’un prétexte pour « changer de conjoint comme de sous-vêtements », même en cas de mariages violents, de telles précautions peuvent surprendre.

Mais être surpris par les multiples facettes de J.D. Vance est contre-productif : à ce stade, il nous faudra simplement accepter qu’il est toujours tout et son contraire.

Et, en ce sens, les récentes révélations du New York Times, après avoir épluché 90 messages d’échange entre J.D. Vance et Sofia Nelson, un.e avocat.e transgenre avec qui il se liera d’amitié sur les bancs de Yale jusqu’en 2021, sont une bien triste mine d’or de dissonances cognitives.

On y découvre un Vance qui craignait que « les personnes noires souffrent plus » et que les citoyennes musulmanes portant le hijab soient en danger « dans leur propre pays » avec la montée de Trump, ou qui se répandait en excuses à l’idée d’avoir maladroitement abordé l’identité de genre de Sofia dans Hillbilly Elegy.

« Je reconnais maintenant que cela ne reflète peut-être pas fidèlement la personne que tu penses être, et j’en suis vraiment désolé », écrivait-il, suivi d’un « love you ».

En 2021, J.D. Vance s’oppose publiquement aux services d’affirmation de genre pour personnes mineures dans l’État d’Arkansas, signant l’arrêt de mort de leur amitié.

En 2024, celui qui dénonçait les biais implicites d’un Donald Trump liant les « immigrants mexicains » à « des violeurs et des criminels » utilise désormais le même vocabulaire et promet « la plus grande opération d’expulsion de l’histoire américaine pour rétablir l’ordre public », sous le regard fier de Trump.

Puis moqueur, car l’ancien président n’a finalement pas tant besoin de celui qu’il surnomme déjà « lèche-cul » en 2022 et estime très publiquement n’avoir « aucun impact » sur sa possible victoire; même après ses 34 chefs d’accusation, son électorat lui restera loyal.

« Le choix d’un vice-président ne fait aucune différence. […] Si vous m’aimez, je vais gagner », AFFIRMAIT-IL MÊME MERCREDI, confiant.

Est-ce donc un exercice d’humiliation gratuite? Si oui, J.D. Vance pourra au moins compter sur l’une de ses neuf vies restantes pour y survivre.

Ou en voler une au chat de Kamala Harris; il dort en boule sur le sofa.