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« Cat lady » : comment le terme est-il devenu une insulte?

Qu’y a-t-il de mal à vouloir partager sa vie avec un félin?

Par
Audrey Boutin
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Enfant, perchée sur le sofa gris du salon de mes parents, j’ai aperçu une femme qui a pour toujours changé ma vision de ce que je voulais être, plus tard. Dotée d’une élégance qui n’avait d’égal que son indépendance, cette femme est devenue pour moi un modèle de réussite, de fierté et de tout ce que j’aspirais à devenir, en tant que petite femme encore en gestation.

Mais qui était-elle, vous demandez-vous sans doute en haleine au bord de votre chaise? Cette #girlboss, c’était madame Adélaïde de Bonnefamille du film Les Aristochats, de loin mon favori de la bibliothèque Disney. Baissez-moi ces sourcils, je vous prie, et prenez un moment pour considérer ce personnage cruellement underrated de l’univers des films-que-les-parents-mettent-pour-avoir-deux-secondes-de-paix : madame de Bonnefamille est une millionnaire excentrique qui vit sa #bestlife dans un appartement parisien au tout début du vingtième siècle entourée de ses quatre chats dont les noms évoquent des artistes de la Belle Époque. Chaque jour, elle enfile ses plus belles robes, supervise les leçons de piano de ses rejetons à quatre pattes et traîne dans des cafés peuplés d’artistes et autres personnes fascinantes.

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Par contre, si j’ai longtemps pensé qu’habiter un appartement somptueux avec des êtres qui ne me textent pas à longueur de journée pour me demander ce qu’il y a pour souper, c’était le summum de la réussite, j’ai été forcée de constater que l’appellation cat lady en était plutôt une qui évoquait le ridicule, le mépris et la condescendance. De madame Abernathy qui balance des chats en hurlant dans les Simpsons à une attaque de 2021 ayant récemment refait surface de J.D. Vance à l’endroit de Kamala Harris, une adéquation semble avoir été faite entre le sentiment d’accomplissement des femmes et les êtres avec qui elles partagent leur vie.

Mais d’où provient cette, et vous me pardonnerez l’expression, idée de marde? Est-ce un complot fomenté par le lobby des propriétaires de chiens, ou pire, des propriétaires d’estis de perroquets (pourquoi?)?

Eh bien figurez-vous donc que ça remonte à beaucoup plus loin qu’on ne le pense. Décortiquons donc ensemble l’origine de l’insulte de l’heure proférée à l’endroit de la peut-être première femme à devenir présidente des États-Unis.

De déesse à suppôt de Satan

Si, comme moi, vous étiez obsédé avec l’Égypte antique quand vous étiez enfant (sinon, vous faisiez quoi, au juste?), vous savez qu’à cette époque, les chats étaient vénérés, car considérés comme étant les représentants de la déesse Bastet arborant une tête, vous l’aurez deviné, de chat. C’est d’ailleurs à cette association que l’on devrait une certaine tendance à considérer les chats comme étant un symbole lié à la féminité puisque Bastet était la déesse protectrice des femmes enceintes et des enfants. Un non-sens, donc, lorsqu’on considère qu’aujourd’hui, les chats seraient plutôt l’apanage des femmes sans enfants.

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La réputation des chats aurait toutefois reçu un coup de griffes en pleine face pendant l’époque médiévale avec le début des accusations de sorcellerie qui fusèrent de toutes parts afin de viser, la majorité du temps, des femmes célibataires et sans enfants. Parmi elles, Agnes Waterhouse, considérée comme étant la première femme à avoir été exécutée pour sorcellerie en 1566 en Angleterre, aurait confessé avoir entraîné son chat (nommé Satan selon certaines sources aussi fiables que votre ami qui vous jure qu’il vous remboursera sa part du Uber) à tuer du bétail et des humains.

Suite à la flambée (c’est voulu) de procès pour sorcellerie qui a ébranlé le 16e siècle tant en Europe qu’en Amérique, on se transporte au 18e siècle où la spinster, une femme célibataire et sans enfants, devient un archétype qui marque le paysage littéraire d’auteurs tels que Charles Dickens. Étonnamment, la spinster fait également une apparition chez Jane Austen, pourtant elle-même une femme seule qui préférait la compagnie de ses encriers à celle des hommes dont elle faisait des portraits mordants qui nous font crier « yoooo » en claquant des doigts à la lecture de ses œuvres (quoi? Vous ne faites pas ça?).

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Sans nécessairement être (l’heureuse) propriétaire d’un chat, la spinster nous intéresse, car les traits qu’on y associe ne sont pas sans rappeler ceux qu’on utilise maintenant pour décrire les femmes qui préfèrent faire de l’excavation dans un bac à litière plutôt que de changer des couches. Ainsi, sous la plume de Dickens, Austen et autres personnes qui auraient fait la fortune des compagnies de crème solaire, la spinster est décrite comme étant une femme cruelle, laide, à la limite profondément emmerdante et parasitant la fortune de sa famille. Et même lorsqu’on leur montre ne serait-ce qu’un monceau de compassion, on cherche à communiquer au lecteur que ce sont des femmes qu’il faut à tout prix maintenir à l’écart de la société.

« Oui, mais c’est quoi le rapport avec les chats? », vous demandez-vous sans doute, excédé par ma volonté que mon bac en littérature serve enfin à quelque chose. Eh bien, c’est à la fin du 19e et au début du 20e siècle que l’union entre les chats et les femmes faisant de l’excès de zèle en termes d’indépendance et de désir d’émancipation sera officialisée grâce au mouvement des suffragettes. Dans un premier temps, le chat était utilisé comme figure de remplacement pour ces maudites femmes gossantes militant pour le droit de voter. Dans des caricatures publiées dans divers médias anglais et américains, on pouvait voir des chats miauler pour exiger le droit de vote, comparant ainsi la voix des femmes aux miaulements stridents du félin. Comme quoi ça ne date aussi pas d’hier qu’on critique les femmes sur leur voix.

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Loin de se laisser abattre, les suffragettes Nell Richardson et Alice Burke ont plutôt décidé de se réapproprier l’insulte en adoptant Saxon, un petit chat noir qui deviendra éventuellement la mascotte non officielle du mouvement. Un geste qui vaudra toutefois aux militantes de nouvelles insultes prétendant qu’elles se préoccupaient plus du bien-être d’un chat que de celui de leur famille ou de leurs enfants, la majorité des suffragettes étant des femmes mariées et mères de famille.

De nos jours, la cat lady se limite souvent à un punch line à la télé et au cinéma. Les exemples abondent : Angela dans The Office, Little Eddie dans le documentaire Grey Gardens. La cat lady est représentée comme une femme dénuée d’humour, d’entregent et aux habiletés sociales extrêmement limitées. Et puisque le chat, contrairement au chien qui ne peut pas être laissé seul cinq minutes sans parvenir à s’étouffer avec les batteries de la télécommande, est associé au confort du domicile, la cat lady est une figure recluse qui refuse tout contact avec l’extérieur, surtout lorsque des hommes se trouvent dans cet extérieur.

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La menace de l’indépendance

Dans son livre intitulé Cat Women, l’auteure Alice Maddicott déclare : « Il y a quelque chose dans l’indépendance des chats, quelque chose que j’adore chez eux, qui se reflète dans les soupçons que l’on éprouve à l’égard des femmes indépendantes. » En tant que propriétaire de chats, cette ligne résonne profondément en moi.

Personnellement, j’ai toujours vu d’un mauvais œil les gens qui détestent les chats. « Ils ne sont pas fidèles », « ils n’obéissent pas », « ils sont trop indépendants », faisant souvent partie des rengaines des gens qui boudent ces créatures à quatre pattes, leur préférant souvent un chien, soit cet être qui a besoin de votre supervision pour se soulager et ne pas s’étouffer avec un bout de votre sofa. Mais pourquoi cela vous atteint autant, qu’un animal ne vous obéisse pas au doigt et à l’œil et soit capable de vivre sa propre vie avec ou sans vous?

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Si on m’accuse souvent d’« overthink » ma position dans le débat chat vs chien, ces commentaires négatifs formulés à l’endroit des chats ne sont pas sans rappeler la guerre que livre présentement certains politiciens et autres sbires de l’extrême droite aux femmes qui osent se déroger à ce qu’ils perçoivent comme une obligation pour elles d’avoir des enfants et de se marier. Des femmes qui choisissent une vie qu’ils considèrent comme narcissique, égoïste et dénuée de sens.

Ainsi, quand J.D. Vance accuse Kamala Harris d’être une cat lady misérable en raison de ses choix de vie (nonobstant que Harris est mariée et belle-mère de deux adolescents), il est difficile de ne pas percevoir dans cette attaque un écho de La servante écarlate et un désir de retourner au modèle de la famille nucléaire avec une femme silencieuse, obéissante, qui reste à la maison et s’occupe des enfants. Bon chien, donne la patte. Un modèle menacé par la cat lady, cette succube qui préfère concentrer son affection et son instinct maternel sur une petite créature moustachue.

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L’attaque reflète également cette angoisse qui paralyse présentement les mouvements conservateurs face à la chute du taux de naissance. Une chute qui ne s’expliquerait non pas par l’inflation, l’intelligence artificielle qui nous vole nos jobs et le mercure qui avoisine les températures du trou de cul de Satan, mais bien par ces femmes qui se ruent à la SPCA pour adopter des chats plutôt que de faire des enfants.

Fières félines

Mais pourquoi, quand on pense à la cat lady, on pense forcément à une dame qui est passée à côté de tous les plaisirs que la vie a à offrir? Pourquoi est-ce qu’on ne pense pas plutôt à la fougueuse Ellen Ripley de la série Alien? À la sensuelle Selina Kyle, alias Catwoman? À l’excentrique Holly Golightly dans Breakfast at Tiffany’s? Ou même à Taylor Swift, qui, j’en suis sûre, n’a présentement rien à envier à quiconque sur Terre?

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Parce que peu importe à quel point Hollywood se targue d’être progressiste, le stéréotype perdure et contribue à la prévalence d’une idéologie patriarcale qui dénigre les femmes qui font des choix de vie atypiques. Plutôt que de célébrer l’indépendance, on moque la marginalité afin de renforcer le statu quo.

Alors, chères cat ladies de ce monde, soyons fières d’avoir dérogé aux normes qu’on tente de nous imposer. Parce que le fait que nous ayons préféré les chats aux enfants ne signifie absolument rien au sujet de nos caractères. En choisissant de prendre soin de petits êtres velus, nous démontrons que nous sommes aimantes, responsables et que nous savons rendre l’amour que l’on nous donne.

Ne laissons pas la misogynie mettre un frein à l’amour que nous portons pour nos compagnons à quatre pattes. Et puisque vous insistez, je vous laisse sur la photo de ma carte de membre du club des cat ladies, fière et assumée (et parce que je suis sûre que ça vous intéresse, elle s’appelle Lady Colette Fluffbottom).

Crédit : Claudia Bordeleau
Crédit : Claudia Bordeleau
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