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Est-ce qu’à 30 ans, la vie s’arrête?
Bague au doigt, clé de villa en poche, multinationale à mon nom, fétus dans le ventre et petit chat blanc dans les pattes : telle était la Malia adulte que j’imaginais à mes 17 ans.
Lundi dernier, au moment de souffler la vingt-septième bougie sur mon gâteau d’anniversaire, aucun de ces souhaits n’a été magiquement exaucé. Pas même celui du chat blanc. Et pourtant, je ne me rappelle pas m’être sentie heureuse comme je le suis depuis un petit moment déjà.
Plus je me laisse librement porter, plus je suis avide de découvrir ce que le futur me réserve.
Ça n’a pas toujours été le cas. D’aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours vécu au rythme d’un compte à rebours invisible et inaudible. Tic, tac. Plus les années défilaient, plus le bruit du décompte gagnait en volume. Partout autour de moi m’était rappelée l’omniprésence de ce sablier; dans les séries, sur les réseaux sociaux, au cours de débats entre ami.e.s, sur de simples publicités de métro ou dans le dernier spectacle de Bo Burnham.
Vite, vite, le temps presse. La vie est une course effrénée et le cap des 30 ans est sa ligne d’arrivée. Ou sa date d’expiration.
Mais qui meurt ici, au juste? Personne ne sait, car les réponses varient — la jeunesse, l’insouciance, la beauté, la liberté. Une chose reste toutefois certaine : pour ne pas que cette épée de Damoclès ne fende nos crânes en deux le dernier soir de nos 29 ans, il faut être devenu.e.s Jeff Bezos, Da Vinci, Einstein et Mère Teresa.
Étonnement, beaucoup échouent à la tâche, et c’est pourquoi rechercher « 30 ans » sur cet infaillible thermomètre sociologique qu’est Reddit résulte souvent en un florilège de cris du cœur d’internautes. L’un.e d’eux publiera ainsi le jour même de sa fête, honnête comme seul le monde virtuel le permet : « Est-ce que ça va s’améliorer ou bien ai-je déjà dépassé mon pic? »
Un mauvais miroir
Oui, les choses vont s’améliorer. Mais avant cela, il faudra se déconstruire sur ce qu’avoir 30 ans signifie — et sur l’absurdité d’apposer une signification arbitraire à un âge. Car s’il n’est pas nocif d’avoir des ambitions et objectifs personnels sur la durée, il n’est pas non plus sain d’entretenir une to-do list surhumaine et irréalisable qui nous poussera immanquablement à nous autoflageller.
Et notre vingtaine n’est finalement qu’un bouquet d’attentes aussi contradictoires qu’inatteignables. Dès le départ, nous sommes coincé.e.s entre l’injonction paniquée de profiter pleinement d’une jeunesse a priori fuyante et celle de ne pas perdre trop de temps avant de trouver la cure contre le cancer.
Combien d’années ai-je passées à associer mon âge à des attentes extérieures anxiogènes?
Une petite poignée d’entre nous parvient malgré tout à relever l’exploit, ce qui l’érige par défaut en modèle de réussite sociale et de normalité. Sa seule présence nous rappelle ce que nous ne sommes pas parvenu.e.s à devenir et accomplir.
Mais la comparaison est un voleur de joie et de temps. Exacerbée par l’hyperconnectivité des réseaux sociaux, elle est ce miroir compétitif à travers lequel notre reflet n’est plus le nôtre, mais celui des autres. Combien d’années ai-je passées à associer mon âge à des attentes extérieures anxiogènes?
À 16 ans, je regardais les adolescent.e.s ultra émancipé.e.s des séries américaines en me persuadant que je n’avais pas assez bien vécu. À 20 ans, j’observais les autres étudiant.e.s depuis le petit hublot de mes échecs scolaires, persuadée d’être une cause perdue. À 24 ans, je n’ouvrais Facebook qu’après avoir fait le vide intérieur, de peur qu’une énième photo de mariage ou d’accouchement ne me provoque une crise de panique. À 26 ans, je me culpabilisais de ne pas être aussi stable que les autres… mais de ne pas tant vouloir l’être aussi.
Dans tout cela, j’oubliais (ou ne savais pas encore) que toute la beauté d’exister résidait dans le fait de grandir à son rythme et cultiver sa propre unicité. Certaines choses sont faites pour éclore sur le tard — et là, je n’hésiterais pas à prendre le conte du vilain petit canard comme exemple. D’autres nécessitent recul et patience pour réaliser l’opportunité en or cachée derrière ce que l’on croyait être des ruines.
Le fardeau féminin
Un aspect particulier de la pression autour du cap de 30 ans est agressivement axé sur l’utérus des femmes. Très tôt, un but hétéronormé est donné à notre existence, que nous le souhaitions ou non : trouver un partenaire, se marier, avoir 2.5 enfants et leur donner des prénoms en « A ».
On pardonnera peu à la femme qui enverra paître ces objectifs ou priorisera sa carrière. Tous ses accomplissements futurs seront constamment opposés à cette part du contrat qu’elle n’a toujours pas honoré et chaque fois avec un argument plus urgent : le temps qui passe, la beauté qui s’estompe, l’horloge biologique qui tourne. Tic, tac.
Vieillir est une progression belle et naturelle. Sous l’angle âgiste et patriarcal, cependant, cela devient un acte diabolisé, voire un outil d’exclusion.
Car si elle n’est plus désirable aux yeux de l’homme ou utile à l’agrandissement de son arbre généalogique, elle n’a plus grande valeur au sein de la société. Et il semblerait que 30 ans soit le parfait âge pour apposer cette sentence irrévocable.
Vieillir est une progression belle et naturelle. Sous l’angle âgiste et patriarcal, cependant, cette progression devient un acte diabolisé, voire un outil d’exclusion. L’exemple de Lisa LaFlamme, ex-présentatrice de la chaîne canadienne CTV congédiée à l’été dernier vraisemblablement à cause de ses cheveux blancs, en est une preuve criante. Il est donc grand temps de changer cette perception en nous comme autour de nous.
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Apocalypse (not) now
À titre personnel, je suis d’avis que tout rentre justement dans l’ordre après 30 ans. Je le vois même dans ma propre expérience : la pression de la vingtaine commence à partir, les bonnes et mauvaises expériences passées ont aiguisé mon jugement et je sais à présent qui je suis, une certitude dont l’absence m’avait longtemps déstabilisée.
On peut toutefois changer une mentalité qui nuit et restreint.
Je le vois chez ceux et celles qui, dans l’espace public, prouvent continuellement que le succès n’a pas d’âge : l’impeccable Ke Huy Quan nommé aux Oscars à 51 ans pour le tout aussi impeccable Everything Everywhere All At Once, Leonard Cohen qui n’a sorti son tout premier album qu’à 33 ans ou encore l’actrice Viola Davis propulsée sur le devant de la scène à ses 43 ans.
Certes, mes référents sont majoritairement de culture pop : on ne change pas une équipe qui gagne. On peut toutefois changer une mentalité qui nuit et restreint. Car tant qu’il y a un pouls, il y a une possibilité de commencement.