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Du pont Jacques-Cartier à la prison : des activistes écologistes dénoncent du profilage politique
Exposés à deux ans de détention, les militants réclament l’arrêt des procédures.
Un peu plus d’un an après avoir été arrêtés et emprisonnés pour avoir escaladé le pont Jacques-Cartier dans le cadre d’une action écologiste, les militants Olivier Huard et Jacob Pirro ont déposé une requête visant à faire cesser le procès qui les expose à une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement.
Leur principal argument : ils avancent avoir été victimes de profilage politique ayant mené à un traitement d’une sévérité rare et inhabituelle. En parallèle, des groupes de défense des droits humains sonnent l’alarme et dénoncent une montée de la répression à l’égard des militants écologistes.
UN BREF RAPPEL DES FAITS
« Le pétrole nous tue. » Ce sont les mots qu’on pouvait lire sur une des banderoles rouges qu’ont déroulées les activistes Olivier Huard et Jacob Pirro au sommet du pont Jacques-Cartier, le 22 octobre 2024. Par cette action, les militants des collectifs Antigone et Dernière Génération Canada exigeaient la fermeture de l’oléoduc 9B, allant de l’Ontario à Montréal. Huard et Pirro avaient également bloqué le terminal Valero, dans l’Est de Montréal, dans le cadre d’une action en 2022. Ils tentaient aussi, et surtout, d’attirer l’attention sur l’urgence climatique.
Leur action ultra-médiatisée, qui a bloqué la circulation pendant près de sept heures, a mené à leur arrestation, ainsi qu’à celle de leur collègue Michèle Lavoie, qui était la « liaison-police » dans cette affaire, un rôle qui consiste à communiquer en toute transparence avec la police et à collaborer avec elle afin de favoriser le bon déroulement de l’action. La militante n’a pas escaladé le pont, mais a tout de même été arrêtée en plus de passer quelques jours en prison.
Quant à eux, Pirro et Huard ont respectivement passé sept et dix jours en détention, dans des conditions qu’ils décrivent comme « inhumaines ».
Ils ont tous les trois accepté des conditions de remise en liberté qu’ils considèrent abusives. Parmi celles-ci, l’interdiction de parler de l’affaire aux médias et sur les réseaux sociaux ainsi qu’une interdiction de se trouver dans un rassemblement public de plus de trois personnes.
Selon leur avocate et la Ligue des droits et libertés, il s’agit de jamais-vu pour des actions militantes du genre.
Ces conditions ont fini par être abandonnées pour les trois activistes.
Initialement accusés d’acte criminel – soit méfait et entrave au travail des policiers – Huard et Pirro étaient exposés à une peine d’emprisonnement maximale de dix ans. Ils ont exercé leur droit d’option pour un procès devant jury. Mais en février dernier, le ministère public a déposé de nouvelles accusations par procédure sommaire, puis a fait suspendre le dossier par acte criminel. Résultat : la peine d’emprisonnement maximale à laquelle ils sont maintenant exposés est de deux ans, mais ils ont perdu la possibilité d’un procès devant jury.
Ce procès concernant leur condition est prévu pour février prochain.
Mais voilà que les deux grimpeurs ont déposé une requête d’arrêt de procédure pour abus. Les audiences avaient lieu cette semaine. Voici ce qui s’y est passé.
« UN SYSTÈME QU’ON SAIT QUI EST SOUVENT CONTRE NOUS »
Lundi matin, devant le palais de justice de Montréal, Olivier Huard a le bout du nez rouge. Entre ses mains, il tient une banderole sur laquelle on peut lire « Crime crise climatique », dans la couleur rose emblématique du collectif Dernière Génération Canada.
« En ce moment, c’est la répression des militants qui s’exerce au lieu de travailler sur le vrai problème qui est la crise climatique », déplore l’activiste, qui s’apprête à entrer dans la salle d’audience. Face à cette répression dont il estime avoir été victime, l’activiste sent le devoir de faire valoir ses droits fondamentaux. « C’est une question de principe, puis il faut savoir quand se battre pour ces principes. Il faut qu’il y ait des gens qui aillent au front. »
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Il n’est pas le seul à s’être levé tôt ce matin pour affronter le froid de décembre et faire partie de cette petite manifestation de soutien. Plus d’une dizaine de militants sont venus les soutenir, lui et son co-accusé et ami Jacob Pirro — qui est accessoirement le fils de sa conjointe.
Ce dernier est justement là, quelques pas plus loin, tremblant de froid, des hot shots et un café brûlant entre les mains. « J’ai l’impression d’encore une fois remettre notre sécurité — puis la sécurité de beaucoup de militants et militantes au Québec — entre les mains d’un système qu’on sait qui est souvent contre nous », s’inquiète-t-il. Il craint que leur possible inculpation ne crée un « dangereux précédent ».
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La rapporteure spéciale des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains, Mary Lawlor, est du même avis. Elle a sonné l’alarme sur le traitement des deux militants dans une publication X, la semaine dernière. Selon elle, leur éventuelle condamnation créerait « un dangereux précédent pour le traitement sévère réservé aux défenseurs du climat au pays ».
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« C’EST L’ENDROIT LE PLUS VIOLENT QUE J’AI VU DE MA VIE »
Pour sa part, Michèle Lavoie explique que si elle a participé à l’action du pont Jacques-Cartier, c’est qu’elle se croyait complètement à l’abri d’accusations, son rôle de liaison-police étant « historiquement sans risque d’arrestation ».
Interrogée en tant que témoin, elle explique avoir perdu toute confiance envers le système judiciaire, elle qui a échoué au centre de détention pour femmes Leclerc à la suite de son arrestation. UNE PRISON CONNUE POUR SES CONDITIONS DIFFICILES.
Même si elle considérait abusives les conditions de remise en liberté qui lui ont été proposées — parmi elles celle de ne pas parler aux médias — elle les a tout de même acceptées, voulant à tout prix se sortir de là. « J’ai accepté parce que c’était l’enfer, ici. C’est l’endroit le plus violent que j’ai vu de ma vie », lance-t-elle avec émotion, précisant que « la violence ne venait pas des femmes ».
La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) avait d’ailleurs dénoncé cette condition, la qualifiant d’un « dérapage inquiétant ». La fédération avait aussi critiqué un commentaire du ministre François Bonnardel sur la médiatisation de l’action du pont Jacques-Cartier dans lequel il affirmait qu’il était « déplorable qu’on donne un micro à des anarchistes ».
Par ailleurs, Michèle Lavoie dénonce les irrégularités dans le traitement qu’elle et les deux grimpeurs ont reçu. « On nous a envoyés en prison. On nous a traités comme si on était de dangereux criminels pour la société, avec des accusations par acte criminel, pis au moment où on fait valoir notre droit d’avoir un procès devant jury, finalement, on nous dit : “C’était pas si grave que ça — voie sommaire” », dit-elle. « L’erreur est humaine. De toute évidence, la procureure de la Couronne ne nous avait pas accusés dans la bonne catégorie, et ils nous ont envoyés en prison, mais ça serait le fun que cette erreur-là soit reconnue. »
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DES CONDITIONS « INHUMAINES »
« Le Spider-Man des pauvres. » C’est le surnom qu’auraient donné les gardes de la prison Rivière-des-Prairies à Jacob Pirro durant les sept jours qu’il y a passés à la suite de son arrestation. C’était une des multiples blagues que lui lançaient les gardes en lien avec son action, avance-t-il.
Vêtu d’un complet fripé — celui qu’il possède depuis le secondaire —, le jeune militant témoigne devant la juge Springate, la voix chevrotante, des conditions de détention « inhumaines » dans lesquelles il s’est trouvé à la prison montréalaise où il était détenu avec Huard.
Il raconte avoir été détenu dans une salle étroite avec 16 autres détenus et une seule toilette. « On dormait épaule à épaule », illustre-t-il.
Il rapporte que le simple accès à l’eau potable était difficile et qu’il leur fallait faire bouillir l’eau du lavabo qui contenait « des petits spots noirs » dans une machine à café brisée, pour ensuite la faire refroidir et la boire dans le berlingot du matin qu’il leur fallait préserver, faute de verres disponibles.
De plus, le grimpeur explique que de tout son séjour en prison, on ne lui a jamais remis sa carte à puce contenant de l’argent lui permettant de faire des appels téléphoniques. C’est en échangeant ses repas avec un autre détenu qu’il a réussi à appeler son avocate pour l’informer de sa détention.
Pirro le répète à plusieurs reprises durant son témoignage : il a un petit gabarit, et sentait qu’en prison, son intégrité physique était menacée.
C’est pourquoi il a accepté des conditions de remise en liberté qu’il considère « antidémocratiques » : « C’était pour sortir de prison où je me sentais menacé. » Il considère donc que son consentement libre et éclairé a été compromis.
ALLÉGATIONS DE PROFILAGE POLITIQUE
Pour Laurence Guénette, coordinatrice et porte-parole de la Ligue des droits et libertés, les conditions de remise en liberté imposées aux accusés étaient « abusives et hors de l’ordinaire », et leurs conditions de détention, « problématiques », bien que ces dernières fassent partie d’une « réalité beaucoup plus large » qui se doit tout de même d’être dénoncée.
Selon elle, c’est « la disproportion des mesures qui leur ont été imposées qui nous donne la puce à l’oreille par rapport au fait qu’il y a probablement eu du profilage politique ».
« Ce genre de profilage là, ajoute-t-elle, c’est pas seulement ici que ça a été observé dans les récentes années ; c’est au niveau mondial. Il y a vraiment une sévérité accrue par rapport à ce genre d’action là. Particulièrement quand ça concerne le climat. »
La décision de la Cour devrait être rendue avant la date du procès, en février. Elle est attendue avec impatience par la communauté écologiste.

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