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Donner au suivant avec Jagmeet Singh

Le combat personnel du chef néo-démocrate.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Le rendez-vous était fixé à midi, dans son bureau au Parlement. L’occasion? Une rencontre avec Jagmeet Singh en marge de ses cinq ans à la tête du Nouveau Parti démocratique (NPD).

Un anniversaire passé sous silence, en tout cas mille fois plus que l’annonce de Gino Chouinard tirant sa révérence de Salut Bonjour…dans deux ans.

En même temps, même s’il assure travailler très fort pour les Canadien.ne.s, le chef néo-démocrate avance le vent dans la face, médiatiquement parlant, après avoir remporté 24 et 25 sièges lors des deux élections qu’il a menées (2019 et 2021), des miettes comparées aux 103 obtenus lors de la vague orange de Jack Layton en 2011.

Par chance, une entente avec le gouvernement minoritaire de Trudeau pour ne pas faire tomber le gouvernement aide le NPD à pousser son agenda politique et son chef à – enfin – faire progresser concrètement les dossiers qui lui tiennent à cœur.

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Voilà pour le contexte. Pour l’heure, ma voiture est en train de se faire fouiller par des genres de policiers du Parlement, étape obligatoire pour accéder au stationnement où une place m’est apparemment réservée.

Je n’ai jamais mis les pieds sur la colline parlementaire, sauf une fois en 2014 quand une fusillade avait éclaté entre les murs à cause d’un forcené, abattu par le sergent d’arme.

« Mouin, t’es pas à la bonne place, hélas. Ton nom ni ta voiture ne sont sur ma liste », m’indique l’agent francophone, pendant que ses confrères ne sourcillent pas devant mes restants de bouffe, vêtements pêle-mêle et autres cossins qui trainent dans mon char. Je pollue ma voiture, pas l’environnement. Un comportement très NPD, Jagmeet serait fier.

« Je ne suis pas supposé dire ça, mais si tu vas te stationner juste en bas, la pire chose qui peut arriver est une amende de 25 $… »

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Après un clin d’œil complice, je suis la consigne en me disant qu’avec mon salaire faramineux d’URBANIA, je peux prendre une chance.

Je ne suis pas sorti du bois pour autant. Je dois maintenant rejoindre une mystérieuse Aly au Centre des visiteurs, quelque part entre l’édifice de l’ouest et celui du centre. Sur mon chemin, la sécurité est omniprésente, gracieuseté de l’attentat mentionné trois paragraphes plus haut.

Avant de retrouver Aly qui m’envoie la main de l’autre côté d’un poste de sécurité, je dois me soumettre à une nouvelle fouille digne de l’aéroport Trudeau.

« Quelque chose à déclarer?

– Oui… LA DÉPORTATION DE NICKELBACK EN SIBÉRIE! »

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On me tend mon badge visiteur et Aly m’entraîne dans les dédales de couloirs : je ne pourrai jamais retrouver mon chemin seul au retour. La file devant l’ascenseur est compacte, on emprunte les escaliers jusqu’au quatrième, en passant devant des journalistes qui attendent de scrumer quelqu’un.

Je suis de l’autre côté de la clôture et j’haïs pas ça. Faites-moi des offres, je suis prêt à déloger voire bumper Alexandre Boulerice de Rosemont! D’abord, je vais retransformer le restaurant Chez la Mère en grosse salle à manger avec des banquettes coussinées, puis je vais agrandir le karaoké Sel & Poivre et enlever l’ostie de table de pool toujours dans les jambes. Enfin, je vais interdire la famine entre Saint-Michel et Pie-IX.

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J’arrive complètement à bout de souffle au bureau du NPD, où Jagmeet Singh débarque au même moment.

« Hey Hugo! Comment vas-tu? », me lance-t-il chaleureusement, comme si on avait campé trois jours ensemble à Woodstock en Beauce. Bon, je l’ai déjà rencontré à quelques reprises en entrevues et pas le choix d’admettre que c’est un très gentil monsieur.

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Faire pression sur le gouvernement Trudeau

« Il y a beaucoup de pression sur mes épaules, mais je suis fier de dire qu’après cinq ans, cette année est celle où j’ai accompli le plus », analyse d’emblée Jagmeet, en prenant place derrière son bureau près d’une fenêtre par laquelle on voit l’unifolié flotter au vent au-dessus du Parlement en rénovation.

Son bureau est joliment décoré à la sauce canadienne : des mocassins, une toile représentant des jeunes en train de jouer au hockey, une sculpture de caribou, un drapeau et quelques unes de journaux au mur. Plusieurs livres traînent aussi, comme un roman de l’écrivain de la Première Nation Kwakwaka’wakw David Neel, un essai de William A. Macdonald, un ouvrage pour enfant reçu en cadeau en Colombie-Britannique et un livre de recettes de cuisine du Kérala. Même s’il est né en banlieue de Toronto, Jagmeet Singh a brièvement habité dans l’État du Punjab, en Inde, et demeure très attaché au pays de sa famille.

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Parenthèse : si j’étais de confession sikhe, j’inventerais probablement un groupe hommage à Metallica baptisé « Sikh and destroy ». Fin de la parenthèse.

De retour sur ses réalisations de l’année, il évoque trois initiatives adoptées grâce à la pression de son parti afin de soutenir les ménages et les particuliers à faibles revenus.

Le gouvernement Trudeau a en effet annoncé en septembre son intention de doubler le crédit d’impôt pour la TPS, ce qui permettra à 11 millions de Canadien.e.s de recevoir des chèques d’environ 500 $ pour absorber les coûts de l’inflation. Le NPD a aussi contribué au versement dès cette année d’une prestation pour les soins dentaires pour les enfants de 12 ans et moins provenant de familles dont le revenu familial annuel se situe en bas de 90 000 $. Près de 90 000 enfants du Québec en profiteront dès cette année.

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Enfin, Ottawa – toujours grâce au NPD – versera un moment forfaitaire de 500 $ aux bénéficiaires de l’Allocation canadienne pour le logement pour leur donner un coup de pouce alors que la crise fait rage pour trouver un toit abordable.

« L’entente, c’est un minimum, pas un maximum », prévient toutefois Jagmeet Singh, actuellement dans un bras de fer menaçant l’entente au sujet de la crise des soins pédiatriques qui sévit d’un océan à l’autre. Dans un cri du cœur, le chef du NPD accuse les libéraux de se tourner les pouces pendant que les hôpitaux pour enfants débordent partout à travers le pays.

« On ne veut pas s’ingérer dans des compétences provinciales (la santé), mais on fait face à un problème national notamment à cause du sous-financement fédéral. On pourrait jouer aussi au niveau de l’immigration pour la main-d’œuvre, notamment avec une meilleure reconnaissance des diplômes étrangers, en plus de rencontrer les premiers ministres des provinces pour trouver des solutions. Le premier ministre (Justin Trudeau) manque de leadership », fustige Jagmeet Singh, prêt à faire sa part pour dénouer la crise. « Notre but n’est pas de faire tomber le gouvernement mais de le faire fonctionner », assure-t-il.

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« Pour moi, c’est un combat personnel »

Jagmeet Singh se racle la gorge, avant de prendre une gorgée d’eau. Il dit subir une extinction de voix depuis plusieurs jours, sans autre symptôme. Je vis exactement le même drame depuis deux semaines. Deux solitudes? DON’T THINK SO.

Enfin, le chef néo-démocrate m’entraîne dans un voyage dans le temps, à la source de ses convictions politiques. S’il travaille aussi dur pour aider les familles dans le besoin, c’est qu’il a lui-même vécu la précarité dans sa jeunesse. « Je me souviens de certaines passes difficiles dans ma vie. Pour moi, c’est un combat personnel », confie-t-il.

À 20 ans, alors étudiant en biologie à l’Université Western de London en Ontario, Jagmeet doit composer avec une situation familiale dysfonctionnelle. « Mon père avait des problèmes de violence et de dépendance à l’alcool. Comme j’étais à l’université et ma sœur aussi, mon petit frère de 15 ans est venu vivre avec moi pour ne pas être exposé à ces problèmes », raconte le politicien de 43 ans, qui jouait à la fois le rôle de frère et de père pour le cadet. « Comme mon père était à ce moment inapte, ma mère m’a demandé de prendre le relais puisque j’étais l’aîné. J’ai dû me trouver trois emplois en plus de mes études, payé au salaire minimum dans les entrepôts de boutiques de vêtements et de souliers », enchaîne le chef néo-démocrate, qui a notamment appris à cette époque à bien cuisiner. « Pour la première fois de ma vie, j’ai compris que si je ne travaillais pas, ce n’est pas juste moi qui aurais faim. Ça m’a fait peur », admet celui qui est aujourd’hui papa d’une fillette de onze mois.

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Jagmeet Singh s’en veut un peu de n’avoir jamais pu remercier publiquement les parents de ses amis qui lui envoyaient à manger à l’occasion. « Ils nous disaient : “On sait que vous êtes seuls, les garçons” », se remémore-t-il, encore touché par l’attention.

Cette période l’a profondément marqué, en plus d’être en grande partie responsable de son engagement politique, de ses valeurs et de sa philosophie.

En plus, l’histoire se termine bien. Son père s’est repris en main, a cessé de boire et a recommencé à pratiquer comme médecin, après avoir perdu sa licence et fait faillite. « Après mes études de droit, une de mes premières causes a été d’aider mon père à retrouver son travail. Il partait de loin après avoir été hospitalisé plusieurs fois. Un jour, il m’a dit : “Je veux vivre” », souligne-t-il au sujet de son père âgé de 72 ans, qui pratique encore.

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Le politicien estime que son père doit sa vie au centre de réhabilitation public qui l’a pris en charge, un endroit auquel Jagmeet fait don chaque année. « Malgré ses problèmes, mon père a toujours été un homme généreux. Si je dis que j’aime son manteau, il veut me le donner », sourit-il à travers sa longue barbe hirsute.

Quant au petit frère Gurratan, il est aujourd’hui avocat et député provincial du NPD à Brampton-Est en banlieue de Toronto. « Je suis très fier de ça », résume Jagmeet Singh.

« Je suis toujours optimiste »

On cogne derrière, la porte s’entrouvre. « Deux minutes! », lance un membre de l’équipe du chef néo-démocrate, celui qui gère son agenda, on dirait bien. Ça fait trente minutes que je suis arrivé. Au prix du gaz, j’essaye d’étirer la rencontre.

Jagmeet Singh l’oriente sur une note positive. Même si sa formation a obtenu des scores décevants aux deux dernières élections, il dit sentir le vent tourner. « Je suis toujours optimiste, on est dans une meilleure position que jamais. Je suis motivé à améliorer la vie des gens! », s’exclame-t-il avec aplomb. Il s’est même rendu en Allemagne récemment pour essayer de comprendre comment le Parti social-démocrate a pu revenir de l’arrière et remporter la victoire après de piètres résultats en 2017. « J’ai vécu mon lot de défis dans la vie, ça ne me déstabilise pas », assure le chef du NPD, convaincu d’avoir toujours la confiance de ses troupes.

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Pour ce qui est du Québec, où un seul député orange (le mien!) résiste, Jagmeet Singh est bien conscient qu’une percée est nécessaire pour remporter le pouvoir. Lorsque je lui fais remarquer que le port du turban (même de couleur funky) constitue certainement un handicap dans la province la plus laïque et allergique aux signes religieux du pays, Jagmeet Sighn s’en remet à l’ouverture de la population. « À Montréal, on m’arrête souvent pour prendre des selfies. Oui, c’est un défi, mais je sens aussi cette ouverture en banlieue et en région. Je suis qui je suis », tranche-t-il enfin.

Après tout, mieux vaut un Jagmeet Singh portant un turban. Je l’ai vu sans couvre-chef une fois sur une photo, les cheveux détachés, et j’avoue que les gens le confondraient sans doute trop avec l’acteur Jason Momoa.

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Et tout le monde sait que Khal Drogo n’a pas exactement l’étoffe d’un chef d’état.