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Des oranges et des souvenirs : célébration des Noëls d’hier
Pour la troisième année consécutive (1, 2), j’ai eu le privilège de visiter une résidence pour aînés afin de recueillir leurs récits d’enfance pendant la période des Fêtes. Cette expérience lénifiante et empreinte de douceur nous plonge dans un monde de souvenirs que ma génération n’a pas eu l’opportunité de connaître.
Au fil des décennies, notre relation avec Noël a subi une évolution marquée, et aujourd’hui, sa signification semble être plus profondément enracinée dans une tradition perpétuée par l’empreinte du passé plutôt que par l’enthousiasme du présent.
Car autrefois, la période des Fêtes était ce moment chaleureux au cœur de l’hiver que tous attendaient avec fébrilité. C’est cette lueur particulière, cet éclat à la fois dans l’âme et dans l’oralité, que je désirais capturer, ici, à travers les témoignages baignés d’une douce lumière d’antan.
Pierre Boucher
70 ans, né en 1953 à Chicoutimi, dans une famille de huit enfants.
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« Mon père travaillait chez Hydro-Québec. Il était appelé à couper l’électricité aux résidences en défaut de paiement dans les petits villages du Saguenay. Il voyait des scènes de grande misère qui le marquaient au boutte. Mais de temps en temps, il nous amenait avec lui, les rebrancher en toute clandestinité. Quelques jours avant les Fêtes, on leur apportait une dinde dans un panier de Noël. C’était notre tradition secrète.
À table, notre menu suivait un cycle de trois ans : en tête, une tourtière du lac Saint-Jean, suivie de la cuisson d’une oie par ma mère, et, enfin, une superbe pièce de saumon. Ma grand-mère venait aider pour les pâtés à viande, les tartes et les beignes à l’ancienne.
“C’est le temps des Fêtes, on s’gâte les babines”, répétait souvent mon père. Il aimait bien se sucrer l’bec avec une bûche de crème glacée Lambert. Mais le dessert que moi j’aimais vraiment, et qu’on ne pouvait jamais manger avant Noël, c’était le fameux gâteau aux fruits. J’aimais tellement ça.
On attendait le retour de mes parents de la messe de Minuit pour commencer le réveillon avec la famille élargie. Nous partagions un repas tous ensemble avant de passer aux cadeaux. Une année, j’ai reçu un train électrique. Ils m’avaient perdu toute la nuit.
Noël était une belle période de partage et de solidarité familiale. On allait au boudoir où ça fumait, et mes grandes sœurs nous racontaient leurs vies dans la grande ville.
Vers 2-3 heures du matin arrivait le moment des jeux. Les aînés prenaient un coup avec d’la vodka, du gros gin ou du vermouth. Nous passions la nuit à jouer aux cartes, que ce soit au « 500 » ou à « la Poule », accompagnés, en toile de fond, de longs jeux des Jérolas. Ça pouvait durer sans problème jusqu’à 8-9 heures du matin.
Le lendemain, en gang, on montait un casse-tête.
On habitait les deux étages du haut de la maison de mon grand-père, dans le centre-ville. Il nous a quittés assez jeune et l’une des premières familles d’origine étrangère de Chicoutimi s’y est installée. Le père était un pédiatre dominicain. On les invitait chaque lendemain de Noël pour manger de la tourtière.
Dans le fond, les Fêtes, c’est juste un prétexte pour être tous ensemble. »
Noëlla Perreault
77 ans, née en 1946 près de St-Alban, dANS une famille de six enfants.
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« On ouvrait le catalogue Sears et on pouvait pointer ce qu’on voulait. On avait droit à deux choix. Ça arrivait ensuite par le train, juste à temps pour Noël.
Pour le sapin, on allait le couper dans la forêt sur notre terre. J’adorais ça. C’était une fête, on chantait en raquette en le rapportant à bras.
Les routes n’étaient pas encore ouvertes, à l’époque, alors on allait à la messe de Minuit en carriole. On voyait les étoiles en s’abriant sous des peaux. Il y avait de beaux chants, mais je n’ai jamais vraiment écouté ce que disait le curé.
Mon père était cultivateur, l’été, et passait ses hivers en forêt, comme cuisinier pour les camps de bûcherons, dans l’coin de la Matawin.
Dans l’temps des Fêtes, on pouvait recevoir jusqu’à 30-40 personnes. Mon père mettait deux poêles en fonte sur le poêle à bois et cuisait des steaks pour tout le monde. Il y avait aussi de la saucisse maison sur la table.
Les enfants, nous, on mettait des 78 tours de Noël. Tino Rossi et Luis Mariano.
On déballait nos cadeaux le 25 au matin, mais le soir du 24, on pouvait fouiller nos bas pour y trouver des bonbons, des oranges, des arachides en écales et quelques pommes de terre pour ajouter du poids. On accrochait notre bas le plus long en se disant qu’il serait plus rempli!
Quand j’étais jeune, les deux grandes fêtes étaient Noël et le temps des sucres. Je suis née dans le temps des Fêtes, d’où l’origine de mon prénom. Tout a changé quand la route s’est rendue à nous. C’était un peu la fin d’une époque avec la chute du Duplessisme.
Je fais encore des beignes et des tourtières. Mes enfants en font, eux aussi. Mes petits-enfants, eux, attendent le sucre à la crème au sirop d’érable. Les traditions continuent.
C’est à nous à transmettre la magie. »
Viviane Hébert
79 ans, née en 1944 à Montréal dans une famille de quatre enfants.
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« On allait chercher l’arbre de Noël avec mon père sur la rue Ontario. Ma mère en voulait un tout blanc, alors on l’apportait sur le balcon et on le peignait à la canette. C’est quétaine, aujourd’hui. Mais dans l’temps, ah, que j’trouvais ça beau!
Mon père était policier et travaillait chaque jour de Noël, alors la grosse fête, c’était le jour de l’An. Mais le 24 au soir, les Chevaliers de Colomb venaient cogner à notre porte pour nous donner des cadeaux. On avait droit à un seul autre en attendant de visiter nos grands-parents à Saint-Rémi-de-Napierville.
Avant d’y aller, on arrêtait toujours acheter de grandes feuilles de tabac pour mon grand-père qui les tranchait pour bourrer sa pipe. Je me souviens encore de l’odeur. Quand on arrivait, ce grand-père, Theobaldo, me disait toujours “veux-tu une bière?”
Avec mes tantes on préparait de l’écume de mer. Un dessert avec du sirop d’érable et des blancs d’œufs.
En réveillonnant, il fallait être habillé « chick’n swell », il n’y avait pas de musique et les plus vieux finissaient la soirée en buvant du gros gin.
J’aimais la période des Fêtes. Je l’aime encore, j’aime quand y’a d’la visite! »
Claudette
87 ans, née en 1936 à Acton Vale, d’une famille de quatorze enfants.
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« Noël, chez nous, c’était ben important. Les beignes commençaient à s’faire dès novembre. On en remplissait des poches qu’on mettait au grenier avec une vingtaine de tourtières.
J’ai commencé à danser des set carrés à neuf ans. Nous étions une famille très unie. Les oncles, les matantes, les cousins, les cousines, y’avait même du monde pas invités qui débarquaient. Ça buvait de la bière et du caribou que mon père mélangeait dans une cruche.
Ça jouait à des jeux pas à peu près. À “branch et branch” et au “petit cordonnier”.
La musique était toujours jouée par la famille. Du banjo, de la guitare, deux-trois joueurs de violon. Ça finissait à 40 dans le salon à 6-7h du matin. Des valses, du two step, le charleston et des gigues. Tout le monde giguait, dans’ famille.
Nous, les enfants, on dormait sur le lit à manteaux et les bébés, on les couchait dans les tiroirs des commodes!
Notre cadeau, c’était d’être en famille. On a toujours été là pour s’aider. On a été élevés comme ça. À 12 ans, j’ai eu mon premier cadeau de Noël, un pousse-mine. Sinon, on avait une orange, si on accrochait notre bas proche du foyer.
Des fois, je m’en ennuie, mais c’est des souvenirs précieux, je les aurai toujours avec moi. »
Louise Bertrand
80 ans, née en 1943 à Montréal, dANS une famille de quatre enfants.
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« On avait un gros sapin qui sentait si bon. On allait à la messe et ensuite, on dormait le plus vite possible parce qu’on recevait les cadeaux le 25 au matin. C’était la joie.
Maman faisait des tourtières, du ragoût de pattes, des mokas et des tartes au sucre pour deux tablées. À Noël, on mettait chacune notre petite robe chic qu’elle avait cousue pour mes sœurs et moi.
Je me rappelle d’avoir eu ma première paire de patins! Des beaux patins blancs, avec des p’tites dents en avant.
Noël a beaucoup changé. On peut plus être ensemble! Je peux dire que je suis nostalgique. Beaucoup, même.
Le rituel a changé et y’a un peu de nous qui s’est perdu. »
Lorraine Jacmain Peppe
78 ans, née en 1945 à Montréal, dANS une famille de deux enfants.
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« J’ai été adopté dans une famille italienne du quartier Villeray, d’un père pompier et d’une mère couturière-chapelière.
On commençait à faire des biscuits au moins un mois avant Noël. Mais ce qu’on adorait et mangeait durant tout le temps des Fêtes, c’était des raviolis faits à la main. Il y avait aussi d’autres spécialités comme des artichauts marinés et du fenouil avec de l’huile d’olive. Un menu assez différent des tables québécoises.
Le soir du réveillon, on devait s’habiller propre. On m’a souvent donné des poupées, mais ça ne me plaisait pas du tout. Ma mère m’avait fait un petit cheval rembourré, jaune et rose, je l’aimais tellement!
Je suis reconnaissante d’avoir eu cette enfance. Au lieu d’avoir été, comme beaucoup disent, abandonnée par mes parents biologiques, moi j’ai trouvé que c’était un beau cadeau qu’ils m’ont fait. »
Lise Ryan
73 ans, née en 1950 à Lacolle, dANS une famille de six filles.
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« Le 24 décembre, ma mère nous lavait pis nous peignait avant de nous coucher, vers 19h. Elle rentrait ensuite le sapin et le décorait pendant notre sommeil et nous réveillait vers minuit pour nous dire que le père Noël était passé. On pouvait alors déballer nos cadeaux. On avait des jaquettes avec nos noms brodés dessus pour pas qu’il y ait de chicane.
C’était important, d’être en famille, surtout autour de la table. C’était notre endroit pour partager, échanger et écouter les autres. En plus, la tourtière de ma mère était tellement bonne!
J’ai grandi sur une ferme avec un père cultivateur. On prenait de longues marches dehors. Nous étions plus proches de la nature que du clergé. Il disait souvent : “La neige, c’est pour faire reposer la terre.”
Maman jouait de l’accordéon et grand-papa chantait. Il chantait très mal, mais il chantait pendant que grand-maman cuisinait des bonbons aux patates, alors tout le monde était content.
On avait toujours une chaise de libre et si la table se remplissait, maman en rajoutait une autre, au cas où plus de visite débarquerait. Elle disait : “C’est peut-être ça, être un bon chrétien, ne pas aller à l’église, mais accueillir du monde tout seul pour les Fêtes.”
On recevait, comme plusieurs, une orange dans notre bas de laine.
Noël avait un cachet très spécial que les années ont éloigné. »