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Une pomme en cadeau : nos aînés racontent leur Noël

Plongée dans les souvenirs de nos doyen.ne.s, prise II.

Par
Jean Bourbeau
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C’était l’hiver dernier, en plein Omicron, le marasme était total. J’avais eu l’idée, pleine de candeur, d’aller à la rencontre d’aînées pour qu’elles me racontent le Noël de leur enfance. L’expérience avait donné lieu à un article émouvant, baignant délicieusement dans un folklore d’autrefois rempli de détails savoureux.

Comme quoi, la mémoire n’oublie jamais l’enchantement.

J’ai décidé de réitérer l’expérience, cette fois-ci habité par la volonté d’élargir le récit à des gens issus de l’immigration. Haïti, Égypte, Syrie, Pakistan, Matane! Afin de découvrir un nouveau terroir de festivités loin de nos chaumières au fumet de tourtière.

Je leur cède donc ici la parole pour raconter ces célébrations d’hier et d’ailleurs.

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Gérard Marc
80 ans, né à Port-au-Prince, en Haïti, dans une famille de huit enfants.

« Nous étions ce que l’on peut appeler une famille élargie. Huit enfants et des cousins cousines toujours là à courir partout dans la petite maison de la rue Champ-de-Mars, pas trop loin du pénitencier national. Ma mère était institutrice, mon père était un homme à tout faire, il travaillait dans les bazars, les marchés.

Quand le temps des Fêtes arrivait, tout le monde devenait très excité. Nous décorions la maison avec des rubans, des ficelles de couleurs, des petits sapins bricolés.

La veille de Noël, je n’arrivais jamais à trouver le sommeil. Si, par miracle, je m’endormais, je rêvais de cadeaux. J’espérais tant que le père Noël s’arrête, mais il n’est jamais venu.

C’est avec l’âge que j’ai compris que mes parents n’en avaient pas les moyens. S’ils commençaient à acheter un cadeau pour moi, ils devaient aussi le faire pour toute la fratrie.

Mais je me rappelle très bien quand ma mère et mes sœurs allaient à l’église pour la messe de minuit. Le marchand dans la rue criait : « Pâté chaud, pâté chaud! ». Si on avait quelques pièces, on pouvait en acheter. J’entends encore sa voix.

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Le soir du 25, nous étions environ une quinzaine à table et mon père, très sévère de nature, tentait autant que possible de garder une discipline. Au menu, il y avait de la dinde servie avec du riz, des bananes, de l’igname et des pommes de terre. C’était un festin.

À 22 ans, j’ai quitté Port-au-Prince pour étudier aux États-Unis. Ma relation avec Noël a changé en arrivant à New York, où j’ai rencontré un pays fermé sur lui-même, sans cœur. J’ai retrouvé le sentiment de partage propre à Noël en arrivant ici, à Montréal. Il y a un côté mercantile, mais les gens sont chaleureux.

Durant mon enfance, nous étions pauvres, mais on riait et on s’amusait beaucoup. Ça m’a suivi, j’ai vieilli avec le cœur content. »

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Alfred Assaad
85 ans, né au Caire, en Égypte, dans une famille de cinq enfants.

« Nous étions une famille de confession maronite assez fervente. Noël était donc une fête assez sérieuse et très religieuse. Nous allions nous confesser. Le clergé structurait l’ensemble des célébrations.

Jusqu’à l’adolescence, je faisais partie d’une chorale de garçons pour la messe de minuit. Nous chantions des cantiques de Noël comme Minuit, chrétiens. Nous avions ensuite droit à une orange ou une banane. Jamais de cadeau comme ici, ça n’existait pas dans ce temps-là. Mon enfance était modeste, nous n’étions pas riches.

Je ne devrais pas en parler, mais ces soirées-là, on faisait quelque chose de très illégal. On se retrouvait entre garçons à l’église et en cachette, on jouait aux cartes et on fumait des cigarettes. C’était l’occasion pour nous d’essayer des choses, d’avoir du fun. On partageait même des photos de femmes nues! [Rires]

Tout a changé quand Nasser est arrivé au pouvoir. L’ambiance au Caire a changé. La communauté maronite ne faisait plus rien pour Noël. Nous n’allions plus à l’église. On devait faire profil bas.

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J’ai plus tard élevé ma famille dans une tradition toute canadienne, avec un sapin et des cadeaux. J’ai appris l’importance de Noël et aimé cette célébration bien plus chaleureuse que celle que j’ai connue en Égypte. »

Pauline Locas
85 ans, de Saint-Lin, au Québec, dans une famille de dix enfants.

« Mon père était barbier, il travaillait au rez-de-chaussée de l’hôtel du village. Nous étions assez pauvres. On n’avait pas de cadeaux à Noël, mais plutôt au jour de l’An.

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Chez moi, il n’y avait pas de sapin, simplement parce qu’il y avait beaucoup de bébés à terre et qu’il n’y avait pas de place dans la petite maison.

On montait chaque année une petite crèche, dans le coin du salon, qu’on décorait avec de la ouate.

Noël était une célébration religieuse, mais nous avions un bas de Noël, que l’on pouvait ouvrir le 25. Il contenait une pomme ou une orange, ce qui était extraordinaire pour nous autres, parce qu’on ne mangeait jamais ça.

Durant le temps des Fêtes, nous mangions les traditionnels ragoûts de pattes, la tourtière avec des conserves de betteraves. Ma mère faisait aussi des toasts beurrées avec du macaroni aux tomates dessus, qu’elle mettait ensuite au four. C’était notre plat préféré.

Mes frères aînés étaient servants de messe, donc durant toute la période des Fêtes, ils étaient occupés à l’église. Je revois ma mère repasser leur linge à longueur de journée.

Quand ils étaient à la maison, on chantait des chants de Noël avec eux, ils les connaissaient tous. C’était tellement beau. Je me croyais au paradis contrairement au quotidien qui n’était pas toujours rose. C’était l’extraordinaire de l’année.

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Au jour de l’An, on allait chez le grand-père qui était ferblantier de métier. Il nettoyait sa shed de travail en arrière de la maison et il montait une grande table pour nous. On faisait des célébrations à 30-40 enfants. Ça, c’est des beaux souvenirs.

Mon grand-père avait fait lui-même des moules à gâteaux en forme de cœur, de carré, de pique et de trèfle. Ma grand-mère avec mes tantes cuisaient des gâteaux vanille au glaçage blanc avec comme décorations, des petites boules en argent. Des détails que tu n’oublies jamais.

Plus tard, les femmes dansaient dans le salon tandis que les hommes buvaient de la bière et jouaient à la cenne.

J’ai perdu ma mère à neuf ans. Après, plus de famille. Nous avons tous été séparés. Je me suis retrouvé pensionnaire tandis que les parrains et marraines de la famille ont pris ceux et celles qu’ils pouvaient.

On a jamais changé de nom. On se voyait aux Fêtes, chez des tantes qu’on ne connaissait pas vraiment.

Quand on a fondé nos familles, on s’est réuni. On a essayé de faire vivre l’inverse de ce qu’on a vécu. Garder un esprit de famille, un esprit des Fêtes. Malgré tout, Noël a toujours été une belle période pour moi.

Un temps où on parle d’amour. »

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Onil Côté
83 ans, né à Matane, au Québec, dans une famille de six enfants.

« Mon père charroyait des billots et de la pulpe avec des camions de cinq tonnes. Il apportait ça au port, juste après la Guerre. Grâce à son commerce, j’ai eu la chance de grandir dans une famille aisée. On était même les plus riches du coin. On avait le premier téléphone du village.

On avait une terre d’un mille de long par quatre arpents de large dans les Chic-Chocs. Chaque hiver, on allait chercher notre sapin. On choisissait le plus beau qui pouvait rentrer dans la maison. Les vrais gros, quand ils étaient droits, devenaient des mâts de bateau.

La maison était pleine de décorations : des chandelles, des rubans, des cloches, la crèche.

Nous allions en famille à la messe de minuit, puis après, c’était la fête. Le gros repas. Des cipâtes à 5-6 étages d’orignal et de chevreuil qu’on avait chassé à l’automne, en raquettes. On n’achetait pas de viande chez nous. On avait une grosse autoneige Bombardier avec deux patins en avant. On allait aux vues comme à la chasse avec.

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Après le repas, la parenté dansait, jouait aux cartes, faisait la fête ben tard. J’avais plus de 200 cousins cousines. On ne pouvait pas inviter tout le monde, la maison était pleine. Mon père fabriquait sa propre bière, alors ça prenait un coup avec les amis et tout le voisinage qui débarquait. Le violoneux et le joueur de guitare du coin faisaient danser jusqu’au soleil levé. Des vraies veillées.

Des souvenirs précieux. »

Namir Bsata
69 ans, d’Alep en Syrie, dans une famille de deux enfants.

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« Je suis un catholique chrétien, fils d’une mère d’origine italienne et d’un père syrien musulman. Bien que Noël ne soit pas dans ses coutumes, il était très ouvert d’esprit et fêtait avec nous. Des amis venaient à la maison. Des Français, des Italiens. On se réunissait chaque année.

À la maison, nous avions un sapin et ma mère construisait la crèche. Nous avions des cadeaux après la messe de minuit et un repas avec de la dinde. Tout était si bon, ma mère était une grande cuisinière.

Je me rappelle avoir reçu un accordéon.

On fêtait aussi le jour de l’An, car les musulmans du quartier le fêtaient, contrairement à Noël.

La Syrie de l’époque, comme encore aujourd’hui, n’était pas un pays libre. C’est pour cette raison que ma famille a déménagé à Montréal. Je me rappelle mon premier Noël ici, avec les lumières multicolores. Tout était plus moderne. C’était un choc. »

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Maria Dias
69 ans, de Karachi au Pakistan, dans une famille de six enfants.

« Mes souvenirs d’enfance sont beaux et tristes à la fois. Mon père avait un problème d’alcool et la situation à la maison était imprévisible. Il pouvait y avoir des cris et des coups.

Noël évoque des souvenirs doux. L’église catholique était un liant dans la petite communauté de Karachi. Le père Noël venait sur le terrain de l’église et distribuait des petits cadeaux, surtout des sucreries.

Il n’y avait pas de sapin dans notre maison. Le pays était bien trop désertique et seulement 1 % de la ville était catholique à l’époque. Il n’y avait pas de décoration devant ou à l’intérieur des maisons, mais nous cuisinions des desserts que nous partagions avec la communauté, même si c’était toujours les mêmes recettes! [Rires] De la tire, des carrés au coconut, des trucs durs comme du caramel que l’on pouvait mâcher longtemps. La tradition en était une de partage.

Quand j’étais jeune, il y avait une certaine magie, mais j’ai l’impression de ne pas avoir été enfant assez longtemps. Je me suis mariée jeune et les célébrations étaient vite terminées.

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Je n’ai jamais rencontré la famille de mon père. Il venait de Goa, en Inde, une ancienne enclave portugaise. Ma mère avait aussi des origines portugaises, mais était native de Chittagong, au Bangladesh. Ce qui explique mon nom et ma religion. Mes ancêtres, du côté maternel, étaient des pirates, et du côté paternel, des aristocrates. Un drôle de mix.

Malgré tout, si je repense à mes années d’enfance, je trouve mes souvenirs tendres à revisiter. »