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Coupe Ryder : quand le golf perd son calme
Le vacarme des gradins et son ombre sur l’époque.
Tous les deux ans, l’automne voit revenir la Coupe Ryder, où l’élite américaine et les meilleurs joueurs d’Europe s’affrontent dans ce format par équipe unique au calendrier de la PGA, rare parenthèse collective dans un sport foncièrement solitaire. Depuis près d’un siècle, des duos flamboyants s’affrontent sur trois jours devant des foules en liesse, nourrissant une rivalité qui a fait de ce tournoi l’un des rendez-vous incontournables du golf professionnel.
Mais cette année, la fête a viré en cirque. Sur le gazon de Bethpage Black, à deux pas de New York, ce n’était plus à un duel de prestige, mais bien à une foire que l’on avait affaire : spectateurs en furie, insultes homophobes, projectiles lancés, une ambassadrice du tournoi hurlant : « Fuck you, Rory » dans le micro avant de donner sa démission.
On s’y sentait moins au golf qu’à un gala de lutte.
Du fair-play au chaos
Car, rappelons-le, c’est bien de golf qu’il s’agissait. Ce sport où le silence est d’ordinaire sacré, où l’étiquette s’érige en rituel. L’Irlandais Rory McIlroy, numéro deux mondial, a été pris pour cible à chaque swing jusqu’à exploser : « Shut the fuck up! », a-t-il hurlé au public à plusieurs reprises. Sa femme a reçu une bière sur la tête. Des canards jaunes en plastique couinaient à l’unisson pour saboter les élans. Même les caddies se sont engueulés.
Les organisateurs ont essayé de se sauver la face avec des appels au calme projetés sur les écrans géants, mais c’était peine perdue.
Quand un millier de spectateurs décident qu’un backswing est un signal pour hurler, une affiche réprobatrice, aussi sévère soit-elle, ne sert plus à grand-chose.
Les joueurs ont dû suspendre leurs coups, pointer du doigt des fauteurs de trouble pour les faire expulser, tandis que des policiers séparaient foule et compétiteurs. « Les fans américains ont franchi la ligne », a résumé Luke Donald, capitaine de l’équipe d’Europe et vainqueur du tournoi. Mais le vrai résultat? Une Coupe Ryder parmi les plus toxiques et abusives depuis sa création et c’était, pour être franc, un spectacle plus préoccupant qu’enivrant.
On peut y voir la frustration d’une foule devant la débâcle hâtive de son équipe, la tentation d’user des moyens les plus vulgaires pour réveiller ses favoris. Mais ce serait réducteur. Ce jour-là, le sport a cessé d’être sport. L’événement a basculé en défouloir national.
Quand Trump donne la permission
Et pourtant, ça avait l’air parti pour être du golf, du vrai. Bruyant, oui, comme toujours des deux côtés de l’Atlantique, mais pas encore belliqueux. Puis, Donald Trump a fait son entrée théâtrale sur le gazon : poings levés, séances photo, gradins clairsemés de casquettes rouges. Ce n’était pas une apparition, c’était une permission. La permission d’insulter, de cracher, de transformer l’adversaire en ennemi.
Grand amateur de golf, le 47e président, mais surtout, grand amateur de surenchère. L’homme ne regarde pas le jeu, il le contamine. Dans sa bouche, l’humiliation devient spectacle. Dans son ombre, l’arrogance devient norme. Alors, quand le chef applaudit l’agressivité, la foule s’en nourrit comme d’un droit acquis. Comme une invitation.
À Bethpage Black, ce n’était pas seulement du golf qu’on regardait, mais le miroir d’une Amérique belliqueuse, décomplexée dans sa vulgarité.
Un pays où l’érosion de l’esprit sportif en dit long sur une bascule morale autrement plus inquiétante.
Cette férocité n’a rien d’un accident. Elle s’inscrit dans un continuum où l’Amérique vit désormais à ciel ouvert dans la confrontation. Dans la rue, sur les réseaux sociaux, dans les tribunes publiques. La Coupe Ryder n’en fut qu’un condensé.
À trois jours d’intervalle, du pupitre de l’ONU aux gradins d’un terrain de golf, la même scène se rejoue : l’agressivité surréaliste de Trump s’impose comme norme. Parrain en représentation, il ouvre la voie à une foule délestée de toute retenue, franchissant la ligne comme dans un 6 janvier miniature. Sport, politique, diplomatie : trois arènes, une seule grammaire, celle de l’affrontement. On ne discute plus, on jette les gants. On ne nuance plus, on écrase.
Car le sport n’est jamais neutre. Quand ses rites se font métaphores de l’abrutissement moral, il devient complice. On objectera que le golf a toujours été l’apanage du conservatisme blanc. Certes, mais jamais je n’avais vu pareille dégringolade, jamais je n’avais entendu ses foules se vautrer si bas.
Qu’est-ce qui a changé, sinon l’époque elle-même?
Spectateurs et participants
L’épisode rappelle d’autres moments récents où les foules sportives ont laissé filtrer leurs convictions partisanes : huées à la Coupe des quatre nations, à la Vuelta, jusqu’au récent Grand Prix cycliste de Montréal.
Quand le public crie, il ne se contente plus de regarder, il entre dans l’arène, en tant qu’allié ou adversaire du pouvoir en place. Et ce qu’il expose finit souvent par déborder ailleurs.
La Coupe Ryder de ce week-end a révélé ce que nous tolérons : la disparition de la retenue. C’est une fenêtre sur le temps présent et celui qui vient, où l’intégrité du sport comme la dignité de l’autre sont piétinées en toute impunité.
Le golf, ce sport bâti sur le silence, s’est fait caisse de résonance du vacarme politique. Et à Bethpage Black, ce qui s’est fracassé, ce n’est pas un tournoi, c’est l’illusion qu’il existe encore des refuges épargnés à l’absurdité de l’époque.
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