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Grand Prix cycliste de Montréal sous haute tension
En ce chaud dimanche de septembre, deux slogans se répondent : « Libérez les otages » et « Israël tue les enfants de la Palestine ». Rien de neuf sous le soleil de Montréal ces derniers mois. Au parc Jeanne-Mance, l’équipe Israel–Premier Tech entre en scène sous une pluie de huées, noyée dans une mer de drapeaux palestiniens.
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Un spectacle qui suscite l’exaspération d’une partie du public cycliste, foule hétéroclite où se croisent keffiehs et casquettes à pois.
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Sur le plan sportif, la 13e édition du Grand Prix Cycliste de Montréal s’annonçait majestueuse. Tadej Pogačar, double vainqueur et prodige du cyclisme mondial, remettait son titre en jeu face à un peloton de stars : Florian Lipowitz, tout juste troisième du Tour de France, mais aussi Wout van Aert, Simon Yates et Jonas Abrahamsen. Tous les regards convergeaient vers le Slovène, considéré comme le plus grand talent de sa génération.
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Mais au-delà du champion en titre, un autre nom retient l’attention : l’équipe Israel–Premier Tech. Cofinancée par l’entreprise québécoise Premier Tech, la formation est portée par Sylvan Adams, Israélo-Montréalais, héritier immobilier, philanthrope, milliardaire et sioniste revendiqué. Passionné de vélo, il a injecté des millions pour hisser Israël au rang de puissance cycliste, tout en multipliant les dons — dont 29 millions à McGill pour la création d’un institut en sciences du sport. Son credo, « Changer le monde avec la force du vélo », résume une stratégie de sportswashing visant à redorer l’image d’Israël sur la scène internationale.
Pour les néophytes du sport, l’équipe de Pogačar, elle, porte le nom de UAE Team Emirates, financée par les Émirats arabes unis.
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« Israël terroriste, Premier Tech complice. »
Depuis le début du conflit, l’ambition sportive de Sylvan Adams se heurte toutefois de plein fouet au réel politique. À la Vuelta — le Tour d’Espagne, qui s’achevait aussi ce dimanche — des militants pro-Palestine ont pris pour cible la formation israélienne : un contre-la-montre par équipes bloqué, une étape entière annulée, des scènes de chaos rarement vues dans le cyclisme. Sport universel par excellence, la petite reine se retrouve happée au cœur du conflit israélo-palestinien.
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Alain Gauthier, 69 ans, a quitté l’Estrie pour venir exprimer son indignation face à la présence d’Israel–Premier Tech. Marqué par les images espagnoles, il juge intolérable que l’équipe défile « en toute impunité » à Montréal : « Regardez ma gang, dit-il en désignant la foule, des cyclistes qui font comme si de rien n’était. C’est la honte », tandis que sur la scène, l’animateur couvre les huées. « C’est exactement le reflet du conflit : on fait semblant que tout va bien. »
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Plus loin, un homme brandit la photo d’un cycliste tué. « Près de 800 athlètes palestiniens et responsables sportifs ont été tués à Gaza, et toutes les installations sportives y ont été détruites », me souffle un voisin, bien renseigné.
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La course de dimanche s’inscrit donc dans un contexte qui dépasse les frontières sportives. Depuis sa création, Israel–Premier Tech traîne derrière elle une poudrière de controverses, mais les incidents en Espagne ont marqué un tournant. Pas question toutefois de lever le pied : « Un retrait créerait un dangereux précédent », a martelé le directeur de l’équipe en pleine tourmente.
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Malgré une pétition condamnant sa venue, Joseph Limare, directeur général des Grands Prix Cyclistes de Québec et de Montréal, rappelle que l’organisation est liée par les règles de l’UCI : « En tant qu’organisateurs des seules épreuves WorldTour en Amérique, nous devons accueillir toutes les équipes qui répondent aux critères sportifs », justifie-t-il, en soulignant que toutes les forces étaient mobilisées pour « offrir des événements sécuritaires, tant pour les coureurs que pour le public ».
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Entre les slogans de la foule, les revendications crépitent : « Les Russes ont été bannis des compétitions, comme les Sud-Africains à l’époque de l’apartheid. Mais Israël, lui, peut encore courir dans nos rues », souligne un participant masqué, qui avait manifesté la veille devant l’hôtel où logeait l’équipe.
Un autre lance sans détour : « On ne se sent pas coupables de déranger les bourgeois avec leurs matchs et leurs vélos à 15 000 balles. »
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Des Québécois au cœur du projet
La dimension locale n’est pas en reste. Subventionnée par Québec, l’entreprise Premier Tech aligne plusieurs visages bien connus d’ici : Michael Woods, diminué par la maladie pour ce qui devait être sa dernière course à domicile, ainsi que les vétérans Guillaume Boivin et Hugo Houle.. Immortalisé par une murale sur l’avenue du Mont-Royal, Houle, cycliste originaire de Sainte-Perpétue, déplorait récemment que, « pour la première fois, le conflit ait un impact sportif ».
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Le départ est lancé dans l’excitation de la foule, les corps livrés aux pentes de la montagne pour dix-sept tours éreintants. Mais derrière la ferveur, l’imposante présence policière jette une ombre sur la compétition. Les groupes de militants se dispersent, talonnés par des agents qui aboient des ordres contradictoires, attisant confusion et frustration.
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« Vous allez ranger tous vos drapeaux », intime l’un d’eux, alors même que les étendards font partie intégrante du folklore cycliste : des dizaines de drapeaux belges, érythréens ou slovènes flottent déjà avec entrain au-dessus du peloton.
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Omer déambule, drapeau israélien déployé sur les épaules, impossible à ignorer. « Je suis venu pour Pogačar et pour encourager IPT. Je trouve ça triste, pour Montréal comme pour la diaspora juive, de voir cette équipe réduite chaque fois qu’elle s’arrête compétitionner », lâche-t-il.
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Devant nous, les tentes de ravitaillement : mécanos sur le qui-vive, bidons alignés, agitation des coulisses. Toutes les équipes arborent fièrement leurs couleurs, sauf une, campée à côté de l’équipe du Canada. Leur nom, déjà retiré des maillots lors de la Vuelta, reste absent : une tentative dérisoire, moquée, pour calmer les esprits.
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Une course de chat et de la souris
Au fil des tours, les manifestants se divisent en petits groupes d’action le long des douze kilomètres du parcours. Sur l’avenue du Parc, des fumigènes éclatent entre les affiches géantes ; à Outremont, un die-in bloque la chaussée quelques secondes ; à Côte-des-Neiges, des casseroles résonnent par-dessus les cris. Plus haut, sur Camillien-Houde, des jets de peinture verte et rouge dévalent les falaises dès le deuxième tour, mais sont aussitôt effacés, comme les graffitis nocturnes sur les murets de béton. La course, elle, ne vacillera jamais. L’ensemble de ces coups d’éclat se solderont par sept arrestations.
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La présence militante est sur toutes les lèvres. La majorité des spectateurs rencontrés les décrivent comme une nuisance ; certains disent même se sentir « otages » de leur colère.
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« Soulless fuckin’ people », l âche un manifestant, éreinté par l’apolitisme ambiant. Piqué au vif, un père coiffé d’une kippa réplique : « C’était au Hamas de ne pas commencer la guerre, ils l’ont bien mérité », crie-t-il en serrant ses deux enfants par la main. Les gamins, ballotés entre cris et insultes, semblent perdus dans une scène qui les dépasse.
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Sur la route, pourtant, la course suit son destin : alors que Pogačar filait vers une victoire promise, il choisit de l’offrir à son coéquipier américain Brandon McNulty. Les deux franchissent la ligne ensemble, triomphants.
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Le Néo-Zélandais Corbin Strong signe le meilleur résultat d’IPT, en décrochant la neuvième place.
Une fête triste
Au même moment, en Espagne, la 21e et dernière étape de la Vuelta s’interrompt, avalée par des manifestations monstres dans les rues de Madrid. « Cette Vuelta, c’est la Palestine qui l’a gagnée », scandait la foule ibérique.
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Je quitte le parc Jeanne-Mance à l’heure des podiums, tandis que les « honte à vous » grondent encore, plus infatigables que les jambes de Pogi sur les degrés de la Polytechnique.
À Montréal, ce n’est pas le sport qui s’est incliné, mais la fête qui s’est fanée, et avec elle, une part de notre innocence, abandonnée sur l’asphalte comme un bouquet victorieux.
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