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« Chouchou » : la série qui intéresse les jeunes à la télé québécoise?
« Une des meilleures séries québécoises depuis longtemps! » « Les comédiens sont excellents! » « Je capote bein raide (dans le bon sens) bravo à l’équipe! » « Maintenant que c’est fini, il manquera quelque chose à mon quotidien. »
Ce sont là quelques commentaires grappillés sur les réseaux sociaux peu de temps après la diffusion de la finale de la série Chouchou le 2 novembre dernier.
Acclamée par la critique et le public, la série de Simon Boulerice est la fiction la plus visionnée sur Noovo.ca depuis le lancement de la plateforme. Elle est également la série québécoise numéro un sur Crave.
Dès la diffusion des premiers épisodes, Chouchou est devenu the talk of the town, comme diraient les anglos, éclipsant même (un peu) les scandales d’Occupation double Martinique.
Dans les bureaux d’URBANIA, nous sommes beaucoup à avoir visionné la série. Même les collègues qui « n’écoutent pas tant de séries » ou qui ne « consomment pas tant de télé québ » sont tombé.e.s sous le charme de la sulfureuse fiction de Simon Boulerice.
Comment expliquer l’ampleur du succès que connaît Chouchou, une série qui a su capter l’attention des 17 à 97 ans?
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D’amour et d’abus
Chouchou est « une histoire d’abus maquillée en histoire d’amour », a souvent affirmé le scénariste Simon Boulerice avec aplomb, à propos de la série.
On y suit le dérapage amoureux de Chanelle, une enseignante de 37 ans, qui fait la rencontre de Sandrick, un nouvel élève de 17 ans, issu d’un milieu précaire.
De fil en aiguille, un lien plus intime se développe entre les protagonistes, jusqu’à largement dépasser la relation étudiant-enseignante, c’est le moins que l’on puisse dire. Ils auront plusieurs rapports sexuels et subiront tous les deux les conséquences dramatiques de ce lien illicite.
À l’annonce de la prémisse de la série, j’avoue que j’étais sceptique, voire mal à l’aise. Comment raconter une histoire pareille sans la glamouriser? Est-ce un rapport trop délicat et complexe pour être contenu en huit épisodes? Est-ce que la nature du lien entre Chanelle et Sandrick sera banalisée par rapport au traitement qui serait accordé à une relation entre un prof homme et une élève fille?
Au fil du déploiement des épisodes, le dénouement, que l’on connaît d’entrée de jeu, plane sur chacune des péripéties comme une malédiction.
J’ai rapidement changé mon fusil d’épaule. Là où la série réussit son tour de force selon moi, c’est qu’elle condamne d’emblée cette relation amoureuse illégale, sans aucune ambiguïté. Dès les premières images, on assiste à l’arrestation de l’enseignante ainsi que l’interrogatoire auquel fait face son jeune étudiant. Inspirée du cas réel de Mary Kay Letourneau, une professeure de mathématiques américaine emprisonnée de 1997 à 2004 pour avoir eu des relations sexuelles avec son élève de 12 ans, la série présente les faits de manière rétrospective.
Au fil du déploiement des épisodes, le dénouement, que l’on connaît d’entrée de jeu, plane comme une malédiction sur chacune des péripéties. C’est avec nuance, finesse et sensibilité que l’on assiste à la lente dégringolade de Chanelle et de son jeune amant, jusqu’à l’éclatement de leur romance illicite. Sans jamais la cautionner, Simon Boulerice cherche à en exposer les zones de gris sous-jacentes.
« Nulle part je n’ai envie de glamouriser ni de romancer cette histoire-là. C’est condamnable, c’est clair, mais il y a plein de zones d’ombre qui m’intéressaient là-dedans », a récemment affirmé Simon Boulerice sur le plateau de On va se le dire, sur ICI Radio-Canada Télé. « J’ai découvert le terme “empathie critique” et je pense que c’est ce que l’on éprouve vis-à-vis Chanelle. »
Le scénariste comprend que certains téléspectateurs et téléspectatrices refusent d’éprouver de l’empathie pour Chanelle. Il fait cependant valoir que si sa protagoniste a commis des gestes condamnables, elle a payé sa dette à la société.
« On n’excuse pas le comportement de cette prof qui perd pied et bascule, mais on comprend pourquoi elle a été aspirée dans cette spirale destructrice », a bien résumé Hugo Dumas dans La Presse.
À mes yeux, c’est ce sens de la nuance qui fait de Chouchou une série à la fois extrêmement forte, bouleversante et confrontante.
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Un engouement intergénérationnel
« Les jeunes regardent de moins en moins la télévision québécoise » entend-on à tout vent. Raphaëlle, VP chez URBANIA, m’a fait remarquer que Chouchou, en plus de présenter des performances d’acteurs et d’actrices hors du commun (Evelyne Brochu est à couper le souffle) et d’être finement réalisée, rejoint des jeunes qui consomment peu ou pas de contenu télévisuel québécois.
Je me suis tournée vers eux et elles pour comprendre pourquoi.
«Je n’écoute presque jamais de série québ et j’ai CAPOTÉ sur Chouchou»
« Je n’écoute presque jamais de série québ et j’ai CAPOTÉ sur Chouchou », me confie Valérie, âgée de 26 ans. « C’est vraiment le sujet qui est venu chercher. […] J’ai lu un livre que j’adore qui s’appelle My Dark Vanessa, dans lequel une fille se fait groomer par son prof. Et là, de voir les rôles masculins/féminins inversés, je trouvais ça tellement intéressant. C’est aussi extrêmement bien écrit et bien joué. »
De son côté, Sara, 23 bougies, tient à préciser que c’est son amitié avec le comédien Lévi Doré (Sandrick) qui l’a d’abord incitée à regarder la série.
« Je ne pensais pas embarquer, et finalement, j’ai été hooked dès le premier épisode à cause du sujet unique et de la manière dont il est traité », admet-elle, en soulignant son appréciation des nuances et du caractère ambivalent des personnages.
« Ils posent des actions condamnables, mais comme on a accès à leur côté plus sensible, on comprend et accepte qu’ils aient des comportements répréhensibles. On ne les aime pas moins. […] La série montre des humains de manière très crue, sans vouloir les romancer à tout prix. C’est rempli de vulnérabilité et c’est ce qui fait que ça passe aussi bien auprès du public selon moi. »
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Il faut croire que l’appréciation de Sara a été suffisamment contagieuse pour donner envie à Gabrielle, 28 ans, de regarder la série elle aussi.
«C’était confrontant parce que j’avais envie qu’ils vivent leur amour, mais la réalité, c’est que c’est interdit et qu’inévitablement, un est victime de l’autre. on avait tendance à l’oublier!»
« J’écoute peu de séries en général, mentionne-t-elle d’entrée de jeu. À la base je m’y suis intéressée parce que je trouve Évelyne Brochu toujours fabuleuse, naturelle (et si belle!). J’ai aussi été intriguée de voir comme ce sujet hautement délicat allait être traité au petit écran. Je pense qu’on s’y accroche parce que la complexité des liens d’amitié, d’amour et de famille est vraiment très sincère, réaliste. J’ai été particulièrement touchée par la relation des deux sœurs, où l’une condamne les gestes de l’autre, mais demeure là inconditionnellement, en soutien pour sa sœur. »
La série a également été l’occasion pour Gabrielle de se questionner sur le raisonnable et le légal. « C’était confrontant parce que j’avais envie que les personnages s’aiment et vivent leur amour, mais la réalité, c’est que c’est interdit et qu’inévitablement, un est victime de l’autre… et on avait tendance à l’oublier! » fait-elle valoir.
Esther, 27 ans, est presque gênée d’admettre qu’à part Infoman et Club Soly, elle ne consomme presque jamais de télé québécoise. « Le sujet de Chouchou m’intéressait full. Je me sentais attirée par le côté tabou du propos, qui me challengeait full. Je fais partie des filles qui trippaient SOLIDE sur des profs dans leur jeunesse. J’écoutais Pretty Little Liars et je rêvais de la relation entre Aria et Ezra. J’étais vraiment intense. […] Aujourd’hui, je suis capable de regarder ça avec mon œil critique d’adulte, et j’aimais vraiment l’idée qu’une émission en parle dans toute sa complexité. Les relations de pouvoir, c’est tellement compliqué, c’est le fun de s’y confronter. »
Du côté des réseaux sociaux, de nombreuses pages de mèmes destinées aux jeunes adultes multiplient les contenus inspirés de Chouchou. Qui a dit que la génération Z ne regardait plus la télé traditionnelle?
Une série critiquée
Malgré la pluie d’éloges à l’endroit de la série de Simon Boulerice, beaucoup de critiques s’élèvent. Car il faut le dire et le redire, aux yeux de la loi, la relation entre Chanelle et Sandrick est illégale.
« La loi est très claire à ce sujet, rappelle la sexologue Anne-Marie Ménard sur Noovo.ca. Bien que l’âge de consentement au Québec soit de 16 ans, certaines nuances s’appliquent avant l’âge de 18 ans. Une personne de 16 ou 17 ans ne peut pas donner un consentement valide lorsqu’il s’agit d’une personne en position d’autorité. La loi considère que cela place l’adolescent.e dans une position de vulnérabilité. »
« Ainsi, avant l’âge de 18 ans, il est illégal pour un.e adolescent.e d’entretenir une relation intime avec un.e enseignant.e et ce, même s’il semble y avoir consentement de la part des deux partis, poursuit-elle. À ce moment-là on parle carrément d’exploitation sexuelle. »
«J’ai vraiment trouvé que c’était une mauvaise façon d’aborder ce qui est littéralement de l’exploitation sexuelle»
Pour sa part, Edouard a quelques réserves quant au traitement de cette histoire. « J’ai vraiment trouvé que c’était une drôle (voire mauvaise) façon d’aborder ce qui est littéralement de l’exploitation sexuelle. C’était très romancé et “sensualisé”, et je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de traiter cet enjeu de cette façon », croit le jeune homme de 25 ans, bien conscient que son opinion est à contre-courant.
« Je trouve que l’aspect problématique et littéralement illégal de la relation est très peu abordé, et quand ce l’est, c’est fait par un personnage présenté comme “trop woke” ou “trop féministe” », ajoute-t-il.
En effet, puisqu’elle est maquillée en passion enivrante, l’exploitation sexuelle dont est victime Sandrick peut être difficile à déceler. « C’est lorsque la réalité rattrape [Sandrick] et qu’un signalement est émis à l’endroit de Chanelle qu’on peut constater que ce dernier manque d’outils pour comprendre et aborder la situation de façon mature. On devient rapidement témoin du mal qu’a pu lui causer cette relation », écrivait Anne-Marie Ménard sur Noovo.ca.
Que l’on soit tombé.e sous le charme de Chouchou ou que l’on en voit les écueils, Simon Boulerice peut toutefois se vanter d’avoir créé une intrigue toute en nuances de gris, qui promet de continuer de faire jaser dans les chaumières, les appartements et les bureaux du Québec.