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« Chouchou » : les dérives d’une relation prof-élève
Avertissement : cet article aborde les relations illicites entre une enseignante et son élève.
URBANIA et Noovo s’unissent pour vous faire découvrir de nouvelles séries aussi percutantes que divertissantes.
Les sujets tabous n’ont jamais fait peur à Simon Boulerice, l’un des auteurs québécois les plus prolifiques. Ainsi, dans sa nouvelle série télé dramatique Chouchou, il dresse le portrait de deux personnages, une enseignante de 37 ans et son élève de 17 ans, qui « perdent leurs repères et qui foncent tout droit dans un mur, cachés derrière l’illusion d’une grande histoire d’amour ».
On a jasé avec Simon Boulerice, qui signe sa première fiction non jeunesse, pour mieux comprendre le raisonnement créatif derrière ce sujet délicat.
Avant de plonger dans le vif du sujet, parle-moi du synopsis de Chouchou.
Chouchou se déroule dans le milieu scolaire, plus précisément en secondaire 5. On suit Chanelle Chouinard (Evelyne Brochu), une professeure de français de 37 ans. Le titre de la série fait d’ailleurs référence à son surnom : ses enfants l’appellent « Maman Chouchou ».
Chanelle est une enseignante très présente, elle est passionnée et passionnante.
Quand la série commence, on est en fin d’année scolaire. Un nouvel élève de 17 ans, Sandrick (Lévi Doré), arrive pour conclure son secondaire. Au départ, Chanelle le trouve un peu arrogant, jusqu’à ce qu’elle découvre qu’il a une passion pour la littérature : c’est à partir de là que leur complicité va se développer.
On apprend rapidement que Sandrick en arrache pas mal à la maison et qu’il évolue dans un milieu familial toxique. Au départ, Chanelle cherche à aider Sandrick à valoriser son potentiel de manière saine, mais tout cela va déraper…
Puisque la série commence par un flashforward, on sait d’entrée de jeu que Chanelle paiera lourdement le prix de son geste.
Je trace donc le portrait d’une relation abusive et illicite. Bien que l’âge légal pour consentir à une activité sexuelle soit de 16 ans, Sandrick n’a que 17 ans, d’une part, mais la relation est surtout abusive en raison du rapport d’autorité qui la sous-tend.
Et cette relation interdite entre Sandrick et Chanelle, elle survient comment?
Ça se passe de façon très graduelle, presque subtile. Chanelle est très aimée, très estimée. Elle est aussi très belle et charismatique. Sandrick va tenter de la charmer, d’abord en blague, jusqu’à ce qu’elle succombe. L’adolescent en est d’ailleurs le premier étonné.
«Mon but était de faire en sorte que le téléspectateur ou la téléspectatrice se glisse en alternance dans la peau du bourreau et de la victime.»
Mon but était de faire en sorte que le téléspectateur ou la téléspectatrice se glisse en alternance dans la peau du bourreau (Chanelle) et de la victime (Sandrick). Évidemment, Chanelle transgresse la loi et devra faire des deuils causés par ses gestes, mais je trouvais ça intéressant d’explorer aussi sa réhabilitation. Que fera-t-elle de sa vie ensuite? Comment réparer les pots cassés?
On va se le dire, Simon, tu t’attaques à un sujet immensément délicat et complexe! Pourquoi as-tu eu envie de parler de ça?
D’abord parce que je me suis intéressé à une pluie de faits divers survenus ces dernières années, au Québec et ailleurs dans le monde, concernant des profs femmes qui développaient des relations avec un élève.
Tout ça m’a rappelé un cas qui m’avait profondément troublé quand j’étais jeune : l’histoire de Mary Kay Letourneau. [NDLR : Mary Kay Letourneau est une professeure de mathématiques américaine, emprisonnée de 1997 à 2004 pour avoir eu des relations sexuelles avec Vili Fualaau, un de ses élèves, alors âgé de 12 ans.] Ce qui est surprenant dans cette histoire, c’est que malgré tout, les deux individus se sont mariés, ont eu deux enfants et ont fait leur vie ensemble, jusqu’à la mort de Mary Kay Letourneau en 2020.
Bien sûr, cette relation a commencé dans un contexte abusif et illicite, ce que je condamne, et il y avait peut-être une forme du syndrome de Stockholm en jeu. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de me poser la question : est-ce que l’amour est possible? Et si oui, d’où vient-il?
Au-delà des faits divers, as-tu puisé de l’inspiration dans une expérience plus proche de toi?
Au fil de mes réflexions, je me suis aussi souvenu qu’en secondaire 5, j’avais un gros béguin pour mon professeur d’anglais. J’étais un ado très gêné et très effacé. Jamais je n’aurais eu l’arrogance qu’a pu avoir Sandrick dans la série. Mais si j’avais eu le courage (et l’inconscience) de courtiser mon prof, même à la blague, et qu’il avait répondu favorablement, j’aurais assurément été très troublé.
Pour moi, ça demeurait de l’ordre du fantasme. Le fameux point de bascule que j’explore dans la série, je n’aurais jamais pu me rendre là.
Je repense aussi à une amie au cégep, qui sentait que son prof de littérature la cruisait un peu. Et, elle me l’a avoué, elle trouvait ça un peu excitant. Jusqu’au jour où il a tenté un contact physique avec elle. Elle s’est sentie extrêmement mal à l’aise. Elle s’est rendu compte qu’à la base, elle se sentait attirée par le côté transgressif, par l’idée, mais pas par le passage à l’action.
À la fin du secondaire et au cégep, on est sur le bord de devenir des adultes, on est parfois dans l’illusion qu’on entretient un rapport d’égalité avec nos profs. Et les profs commencent à nous considérer comme des semblables également. Cette zone me semblait intéressante à creuser.
Sur le plan des personnages, tu as créé un lien entre une enseignante femme et un élève garçon. Pourquoi pas l’inverse?
J’avais envie de soulever la question du « deux poids, deux mesures », le fameux double standard. Si c’était un prof homme et son élève de 17 ans, je suis convaincu que l’on condamnerait la relation bien plus tôt. Le malaise serait instantané.
«Avec une prof femme, beaucoup de gens ont un préjugé favorable, comme si c’était “moins pire”.»
Mais à l’inverse, avec une prof femme, beaucoup de gens ont un préjugé favorable, comme si c’était « moins pire ». Par exemple, depuis que je travaille sur la série, j’ai entendu des commentaires du genre : « Moi, si ma prof avait répondu à mes avances, j’aurais été l’homme le plus heureux du monde. » Et moi, je réponds : « Mouin… mais peut-être pas non plus! »
On peut être porté à penser ça, mais à l’adolescence, on est fragile, on est pas toujours apte à reconnaître que ce type de relation n’est justement pas égalitaire, peu importe le genre du prof ou de la prof.
Et c’est pour ça que je le répète : le personnage de Sandrick est une victime, cette aventure illicite a empoisonné la fin de son secondaire et lui a causé des torts possiblement irréparables.
Quand on écrit une histoire comme celle-là, est-ce qu’il faut suspendre son jugement moral, ne serait-ce qu’un instant, pour aller au bout de toutes les zones floues dont tu parles?
Absolument! Quand j’écris une première version, j’essaie de ne pas me préoccuper de la morale. Je ne pense qu’au sort des personnages et à ce vers quoi ils peuvent m’emmener.
Je ne peux pas faire entièrement abstraction de la morale, mais en effet, au départ, je voulais essayer de me placer à la hauteur de mes personnages.
Et grâce à cette approche, je crois qu’ils sont plus riches et ont plus de dimensions.
Je vais surtout là où ma fascination se trouve et où je pense qu’il y a une bonne histoire. Mais pour un sujet comme celui de Chouchou, je comprends que ça peut polariser l’auditoire.
J’ai voulu créer une série en demi-teinte, qui explore les zones d’ombre, les angles morts de cette histoire foudroyante.
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La série Chouchou, diffusée les mercredis à 20 h sur les ondes de Noovo, met entre autres en vedette Evelyne Brochu, Lévi Doré, Sophie Cadieux et Steve Laplante. Regardez le premier épisode dès maintenant sur noovo.ca.