Avertissement : cet article ne traite d’aucun trauma de la vulve et ne se termine pas à l’hôpital.
Si vous ne connaissez pas déjà YUYU, je vous envie, parce que ça veut dire que vous pourrez le découvrir et avoir le plaisir de l’écouter non-stop.
La première fois que je l’ai entendu, il était trois heures du matin et je perçais des trous dans un tronc de sapin miniature avec une mèche qui ne fittait pas sur ma drill, le cul sur le trottoir de l’avenue Broadway, à me magasiner de solides hémorroïdes; on paye ses dettes à la société capitaliste comme on peut. Du folk jouait sur le speaker portatif de ma partner endormie, mais je ne l’entendais plus tellement ça jouait souvent. Après ça, YUYU a embarqué; voix grave, profonde, un peu raspy avec une vibe de chilleur grateful.
J’ai lâché la drill.
J’suis gommé comme une épinette, y serait peut-être temps que j’arrête.
« Shit », que je me suis dit, « Big Brother sait que je suis entourée de conifères. C’est-tu pour ça que cette toune-là s’est mise à jouer? »
Non, c’était le grand frère de YUYU (shout out à Will! ), qui passait par là et qui avait mis du beat.
À c’t’heure que je connaissais YUYU, chaque fois que je me réveillais, congelée dans mon char, pis qu’il fallait que j’embarque dans mes combines humides pour aller geler encore plus et sourire à des Trumpistes progénocides qui essayent de te convaincre de changer d’orientation de carrière parce que, let’s be honest, t’as l’air de sucer ben mieux que tu vends des sapins, bref, chaque fois que je me faisais mégachier à New York, j’écoutais du YUYU pis ça me mettait de bonne humeur.
J’ai pas l’temps d’être pressé, besoin de roupiller
Puiser son énergie dans l’deuxième café
Marche dans mes pas, t’auras pas d’neige din shoes.
Si le beat de YUYU est une trace de botte dans la densité des bruits urbains, je dansais dans ses pas pour me laver de chaque début de shift. Ça me donnait un feeling à mi-chemin entre contempler des chiots qui se chamaillent, et conduire sur les Ativan dans un monde de guimauve où les accidents de char existent pas.
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Au printemps, le podcast Le diable en personne l’a invité. Leur concept est de recevoir des artistes underground et de ne pas parler de leur démarche artistique parce que de toute façon, ça sert à rien, la vie est absurde, on va crever bientôt et les démarches artistiques, c’est élitiste.
Ma curiosité était piquée; le podcast avait réussi à compléter son alibi caché.
J’avais des questions pour YUYU, le même genre de questions qu’on a pour n’importe qui dont la musique nous habite : « Comment tu fais? », « Vas-tu continuer? », « T’as-tu toujours su que c’était ça que tu voulais faire? », « T’as-tu un rituel de création? », « Vendrais-tu ton âme si quelqu’un voulait te l’acheter et tu la vendrais combien, mettons? ». Des questions gossantes à se faire poser, des questions qu’on espère capables de démystifier l’indémystifiable ou, au moins, de produire un souvenir, une conversation le fun.
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J’y ai parlé pendant sept cent mille ans, et voici ce que j’ai noté.
Des fois, les paroles lui arrivent indissociées des mélodies comme un genre de ver d’oreille. D’autres fois, il tombe dans la lune, canalise des patterns rythmiques, puis les remplit avec des syllabes ou des mots qu’il répète en loop jusqu’à ce que le sens fusionne avec la musique.
J’vais-tu m’niquer l’foie? On teste.
Au pire l’insuline vaut l’ivresse.
Trop sweet, mon cœur fait des dance moves.
La bouffe est au cœur des thèmes abordés dans les chansons de YUYU. Par sa poésie culinaire, il fait apparaître sa communauté, ses émotions, ses travers.
« Je dis des affaires un peu facile d’écoute, un peu cutes, mais c’est pas juste moi qui a faim, même si j’ai tout l’temps faim. Souvent, c’est sociopolitique, la bouffe. »
Je laisse mes idées mariner comme des chouraves
J’les ai coupées en juliennes ensuite j’ai fait des cannages
Une fois de temps en temps, j’ai besoin d’me faire fermer la gueule
Quand même souvent, j’ai besoin d’passer du temps tout seul
« J’aime les créateurs de magie. J’ai étudié en musique. J’apprends pas vite, je digère lentement. Il y a des artistes de jazz qui jouent le silence, les notes sont là juste pour donner une forme au vide. Des fois, je me dis que si je réussis à faire juste une toune qui soit une expression authentique d’un moment, c’est déjà fucking dope. »
Les yeux encore collés de sommeil
C’est sûr que j’suis en retard, mais rendu là, j’m’en fous
Je marche tranquille, la face au soleil
J’suis un peu perdu, non sérieux, j’ai aucune idée j’suis où
« Je fais pas ça pour devenir riche, mais comme dit mon boy Smitty Bacalley, quand le bag passe au Québec, saisis-le, Gros. C’est peut-être la seule fois que tu vas le voir passer. »
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– YUYU, c’est quoi ton fruit préféré ?
–Mangue : c’est fou. Toi?
–Framboise.
– Fresh.
YUYU a sorti son premier EP Food Coma en 2020; il avait vingt et un ans. En 2023, il a composé Dauphin, que j’ai écouté en boucle les premières fois que j’ai refait du vélo apr ès mon accident de l’année dernière. La vibe est paisible, la nourriture est encore présente, mais on creuse d’autres sillons d’humanité; la santé mentale, l’amour, la guérison.
Smoothie love kiwi fraises anxiété
Peur des choses desquelles je suis jamais rassasié
En 2024, il sort Backflip, un EP intitulé ainsi en l’honneur de Will, son grand frère, qui a tenté un saut périlleux et s’est pété les deux pieds. On peut d’ailleurs voir la vidéo de ce terrible accident jouer en boucle quand on écoute ledit EP sur Spotify.
Au nom de la musique, YUYU s’est endetté de dix mille piasses. Pour les heures en studio, le mixage, le graphisme, le vidéoclip d’Épinettes et aussi, accessoirement, pour un voyage en Californie, le festival Burning Man, beaucoup d’activités récréatives et encore plus de tacos.
Maintenant, le musicien de 26 ans doit aller planter des arbres à Merritt au BC pour payer ses dettes envers la société capitaliste. YUYU espère récolter assez de cob (argent) pour sortir, à l’automne, un autre projet musical qui pourrait s’intituler (SCOOP!) : Double Backflip.
« Je plante des arbres, mais je perds jamais de vue que tout ce que je fais, je le fais pour faire de la musique. »
Écoute les conseils de tes paupières qui disent fais dodo
Étire-toi comme y faut, mange des fruits, ‘tention force pas du dos
Fais pousser tes propres légumes pis tu deviens riche
Toute est good sauf la fin du monde pis la police.