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YouTube est-il en train de s’autodétruire ?  

YouTube, on va se dire les choses honnêtement : ces dernières années, tu m’as déçu.

Par
Matthieu Carlier
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Les mois se suivent et ne se ressemblent pas. En août, les yeux brillants d’admiration, je chantais les éloges de YouTube. En septembre, le temps des louanges est terminé.

YouTube, on va se dire les choses honnêtement : ces dernières années, tu m’as déçu. Tu as peu à peu cessé d’être cet outil novateur, alternatif, garant de la création individuelle. Désormais, tu veux du rentable, de l’efficace, et tant pis si c’est au prix de quelques sacrifices.

Puisque rien n’a de sens, surtout pas dans cette histoire, retraçons les événements dans le désordre chronologique.

L’ère de la renommée

La dernière fois que YouTube s’est tiré une balle dans le pied, c’était la semaine dernière. En cause : la politique de « vérification », qui prend la forme d’une encoche près du nom d’un auteur reconnu, lui assurant d’apparaître en tête des résultats de recherche. Un système qui a fait ses preuves et permis à de petits créateurs d’accéder à la célébrité.

Pour être vérifié, il faudra désormais déjà être un grand nom, une célébrité. Plus question de toucher du doigt la gloire si vous venez d’en bas, et peu importe la qualité de votre contenu.

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Mais il y a un « mais ». Le 19 septembre, YouTube a annoncé qu’une bonne partie de ses créateurs seraient « dé-vérifiés ». Explication dans le dossier de presse : « Nos recherches nous ont permis de constater que les gens associaient souvent l’encoche avec une approbation du contenu, et non pas de l’identité. » En clair, pour être vérifié, il faudra désormais déjà être un grand nom, une célébrité. Plus question de toucher du doigt la gloire si vous venez d’en bas, et peu importe la qualité de votre contenu.

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La politique d’attribution des vérifications devrait elle aussi changer. Il ne sera plus possible de réclamer le fameux badge. Celui-ci sera automatiquement attribué, là encore pour favoriser les célébrités. Penguinz0, l’un des commentateurs de jeux vidéo les plus renommés sur YouTube, n’hésite pas à parler de conspiration. « Ils veulent les Jimmy Fallon, les Jimmy Kimmel […] Ils veulent les marques, ils veulent que les compagnies soient les seules à être vérifiées, et ça serait parfaitement en accord avec les dernières mesures prises par YouTube. Ils veulent être comme la télévision. » On reviendra sur le sujet de la télévision un peu plus loin.

Problème d’identités

La « démonétisation », c’est un peu la carotte que tend le site devant ses ouailles pour les amener à se tenir sages. Une sorte d’épée de Damoclès accrochée au-dessus des têtes des youtubeurs un peu récalcitrants, un peu différents, un peu anticonformistes.

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Continuons à remonter le temps. En août dernier, un groupe de Youtubeurs membres de la communauté LGBTQ+, dont le Montréalais Chase Ross, déposait une plainte en action collective (« lawsuit ») contre la firme de San Mateo. En cause : la fâcheuse tendance qu’aurait le site à marquer comme « choquantes » ou « inappropriées » les vidéos comportant des mots tels que « transgenre », « homosexuel » ou « lesbienne ». Conséquence : celles-ci se voient privées de revenus publicitaires. En jargon YouTube, elles sont « démonétisées » et ne rapportent plus le moindre centime à leurs auteurs.

La « démonétisation », c’est un peu la carotte que tend le site devant ses ouailles pour les amener à se tenir sages. Une sorte d’épée de Damoclès accrochée au-dessus des têtes des youtubeurs un peu récalcitrants, un peu différents, un peu anticonformistes. Étonnant, car YouTube est loin d’être un parangon de morale (rappelons, entre autres, les cas Logan Paul, les contenus conspirationnistes, les vidéos anti-vaxx, les préadolescents dans des vidéos ultra-suggestives, etc.).

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Bien sûr, face au nouveau tollé qu’a provoqué l’affaire du groupe LGBTQ+, YouTube s’est défendu. « Notre politique n’est basée sur aucune notion d’orientation sexuelle ou d’identité de genre », a déclaré la porte-parole Nicole Bell. Pourtant…

Pourtant, pendant des années, le site a permis au commentateur conservateur Steven Crowder de mener une campagne de harcèlement contre un journaliste gai, Carlos Maza. Au programme, insultes homophobes, incitation à la haine, menaces personnelles, etc. Le tout sans aucune restriction ou un moindre rappel à l’ordre. Les vidéos de Steven Crowder ont bien sûr été signalées, mais en juin, la plateforme a déclaré n’y voir aucun contenu offensant.

Et c’est là que la question du nom revient. Car Steven Crowder, c’est un nom (il a notamment travaillé pour Fox News). Et en tant que tel, il semble profiter de certains passe-droits. « J’ai essayé de signaler cette merde à de nombreuses occasions, a écrit Carlos Maza sur Twitter. Mais YouTube ne va jamais vraiment imposer ses politiques, parce que Crowder a 3 millions d’abonnés sur YouTube et que si [YouTube] imposait ses politiques, [la plateforme] se ferait accuser d’avoir un biais anti-conservateur. »

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Les sirènes du profit

Alors, favoritisme ? C’est en tout cas ce que révèle un article du Washington Post, pour lequel onze modérateurs et anciens modérateurs YouTube ont été interrogés. Ceux-ci accusent la firme californienne de se montrer beaucoup plus laxiste envers les créateurs les plus connus (et donc les plus rentables). Un traitement de faveur qui prendrait la forme de règlementations plus tolérantes envers les insultes personnelles, le harcèlement ou les contenus choquants.

La section « Tendances » sur YT

« Notre responsabilité n’a jamais été envers les créateurs ou les utilisateurs, mais envers les publicitaires », déclare une des modératrices. Et c’est ainsi, mesdames et messieurs, qu’on en arrive à un cadavre de suicidé dans une vidéo de Logan Paul.

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Bref, les premiers à pâtir de cette politique à double vitesse, ce sont les utilisateurs lambda, ceux qui ne créent pas, mais qui observent. Ceux qui se sont tournés vers YouTube parce qu’ils voulaient des contenus novateurs, dépourvus d’une logique de profit. Des contenus, surtout, qui ne seraient pas coupés par trois écrans de publicité. En clair, pas la télévision. Dommage, car il suffit de visiter la section « Tendances » du site pour s’apercevoir, entre une bande-annonce de blockbuster et une émission de télé-réalité, que YouTube est devenu précisément ça : la télévision.