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Weekend de rattrapage : « They Cloned Tyrone »
* Ce texte contient certains divulgâcheurs, mais ça ne gâchera pas l’expérience. Je vous le promets. *
Malgré les conflits de travail qui font rage depuis le printemps, le milieu du cinéma vient de connaître son plus grand succès en salles depuis belle lurette avec les sorties combinées de Barbie et Oppenheimer, le 21 juillet dernier. C’est le programme double dont vous ignoriez avoir eu besoin.
Cette même semaine, la deuxième saison très attendue de la série The Bear arrivait sur Disney+, trois semaines après sa parution aux États-Unis. Bref, les cinéphiles n’ont pas manqué de matériel pendant la seconde moitié de juillet. C’était là trois projets qui ne faisaient pas partie d’un univers interconnecté quelconque et ça, c’est l’fun. Ça fait changement de ne plus avoir à regarder Ant man 3 parce qu’il n’y a rien d’autre à l’affiche, mettons.
Cette avalanche soudaine de projets intéressants a fait le bonheur de l’auditoire, mais elle a aussi fait de l’ombre à d’autres projets fous, formidables et ambitieux comme le film indépendant They Cloned Tyrone sorti sur Netflix sans tambour, ni trompette, au plus fort de la folie Barbenheimer.
Ce n’est peut-être pas le meilleur de tous ces nouveaux projets excitants, mais c’est de loin le plus original.
Parler de racisme sans créer (trop) de chicane
Sous l’apparence d’une comédie autour de la théorie du complot au sens large, They Cloned Tyrone est un film plus complexe qu’il en a l’air. Le scénario de Juel Taylor, mentionné en 2019 sur la très importante blacklist des meilleurs scénarios non-produits à Hollywood, raconte l’histoire de Fontaine (joué par John Boyega), un vendeur de drogue dans le ghetto fictionnel de Glen, qui découvre une conspiration gouvernementale centrée autour du clonage de personnes racisées, après avoir miraculeusement survécu à son propre assassinat.
Si tout ça vous paraît un peu abstrait et champ gauche, continuez de lire, car They Cloned Tyrone est en fait une immense allégorie du racisme systémique, cette idée qui fait si peur à notre premier ministre François « Y’en a pas de problèmes. Y’en a jamais eu » Legault.
Le gouvernement s’évertue à cloner Fontaine parce qu’il joue participe à maintenir sa communauté là où les conspirateurs la veulent. Dans leur logique, une communauté racisée a besoin de son vendeur de drogue pour consolider son rang social. En effet, si le vendeur de crack reste au coin de la rue pour empoisonner les générations, la communauté de Glen est condamnée à demeurer au bas de l’échelle. Que ce soit de la faute de Fontaine, de Tyrone ou d’un autre n’est pas un détail important. C’est le rôle qu’ils jouent qui importe.
D’ailleurs, c’est qui ce Tyrone, au juste? Vous allez vous le demander longtemps! Je vous laisse la surprise.
C’est cette notion de rôle accessoire à la question du racisme systémique que le film déconstruit avec simplicité, humour et énergie.
Il y a aussi ici l’idée que si le système fonctionne pour une partie de la population, il fonctionne nécessairement pour tout le monde. Et lorsque les r ésidents de Glen prennent conscience de leur rôle dans cet organigramme plus grand, ils réussissent alors à s’en affranchir et à renverser une structure sociale qui les garde en situation d’oppression.
Bon, OK. Tout ça était peut-être un peu académique. Mais dans They Cloned Tyrone, ça se traduit surtout avec une histoire de clonage, de poulet empoisonné aux hormones et de personnes blanches coiffées d’inexplicables afros. Le film veut démontrer de manière drôle et saugrenue comment un phénomène peut être « invisible » aux yeux de certains, tout en contrôlant leur vie.
Le but de n’importe quel système est de se perpétuer. Un film comme They Cloned Tyrone nous amène donc à nous poser la question : est-ce que j’ai envie de faire partie de ce système-là?
Célébrer sa différence
Une autre bonne raison de regarder They Cloned Tyrone est son unicité. Vous n’avez jamais vu (et ne verrez jamais plus) un film le moindrement similaire. Au-delà de la comparaison facile aux produits linéaires et hyperformatés à la Guardiens de la Galaxie ou autres productions Marvel à paraître cette année, le film met au défi la structure cinématographique à trois actes et le monomythe de Joseph Campbell sur lesquels à peu près tous les films sont fondés.
Visuellement, le film est aussi l’heureux mélange d’une esthétique ultra-réaliste (celle du voisinage de Glen) et d’un rétrofuturisme qui rappellera à certains le jeu vidéo Fallout avec ses laboratoires souterrains, ses pictogrammes anachroniques et sa machinerie sans logique réaliste. Dénué d’un schéma conventionnel ou même d’un univers visuel cohérent, They Cloned Tyrone demeure complètement imprévisible (ou presque).
En fin de semaine, cessez de bouder votre plaisir. Que vous soyez seul à la maison ou en gang, à la recherche d’un film-compromis ayant le potentiel de plaire à tout le monde, They Cloned Tyrone mettra un peu de soleil dans votre journée.