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« Barbie » vs. « Oppenheimer » : le grand duel mis à l’épreuve

Double récit d’une soirée historique aux vues.

Par
Benoît Lelièvre
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Un monsieur de l’âge de J. Robert Oppenheimer portant un veston et un fedora commande un hot-dog aux kiosques de concessions du Cinéma Banque Scotia. Pas de combo. Pas de breuvage. Juste un hot-dog format géant qui semble ridicule, seul dans son cabaret en carton.

« Grosse soirée qui se prépare? », demandai-je à la caissière lorsque vient mon tour de commander. Elle doit être en âge d’aller au cégep : 21 ans maximum.

« Ouais, d’habitude les horaires du staff sont répartis tout au long de la semaine, mais 90 % des employés travaillent ce soir », me répond-elle en entrant mon combo #1 avec beurre étagé dans le système. Elle me confirme aussi que le monsieur avant moi a bien commandé son immense chien chaud. Tout nu. Sans condiments ni rien.

C’est soir de fête. Les films Barbie et Oppenheimer sont présentés pour la première fois au public. L’événement renommé « Barbenheimer » n’a rien d’excitant sur papier, mais c’est devenu la soirée la plus en vue de l’année depuis l’annonce de ce programme double totalement incongru. Le web s’est chargé de le rendre viral.

Après Fitzgerald ou Hemingway, les Beatles ou les Rolling Stones, Beyoncé ou Rihanna et iPhone ou Android, le peuple s’est tanné de choisir. Il est venu voir les deux.

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Ne voulant pas être en reste, ma très estimée collègue et co-experte de la culture pop Malia et moi sommes allés vivre Barbenheimer dans les deux sens pour vous. J’ai vu tout d’abord Oppenheimer puis Barbie et elle, Barbie puis Oppenheimer, question de vous révéler l’ordre de visionnement le plus optimal ou même si c’est mieux d’aller les voir chacun leur tour.

« Je m’attends à deux chefs-d’œuvre », me confie-t-elle avant d’entrer en salles.

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Oppenarbie

Avoir à juger deux films non pas sur le mérite, mais sur la compatibilité, est une tâche exigeante, surtout pour un premier visionnement. On a conscience d’être au début d’un long processus et on a comme une hâte latente d’être rendu à la deuxième partie. D’autant plus que j’étais assis derrière une dame qui swinguait constamment son siège sur mes pieds et à côté d’un médaillé olympique du soupir fataliste. Mon petit monsieur au hot-dog triste était la seule personne en costume d’époque.

Un spectateur dans les environs a pété vers la fin du film, aussi. Pendant la scène de bombe (je ne révèle pas de punch, c’est un film sur le plus célèbre fabricant de bombes dans l’histoire), un enfant s’est mis à rire dans la salle. Qui emmène son bambin voir Oppenheimer, hein? QUI? Le cinéma à la maison, c’est peut-être pas si pire que ça.

Cette hâte est probablement plus prononcée lorsqu’on regarde Oppenheimer en premier, parce que c’est un film très long et très sérieux. Trois heures de jasage pour une explosion.

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Oppenheimer met aussi la barre haute pour Barbie. C’est bien meilleur (et moins mêlant) que le film précédent de Christopher Nolan, Tenet, mais c’est quand même pas facile à suivre. Situé majoritairement dans les souvenirs et anecdotes du personnage principal qui comparaît en justice pour une raison que le film (ou une simple visite sur Wikipédia) vient vite à révéler, le montage est rapide et idiosyncrasique. Si vous pensiez en apprendre un peu sur la physique quantique en regardant ce film, revoyez vos attentes.

Oppenheimer est d’abord et avant tout un film sur les limites de la science et les ravages de l’égo humain. J’irais même jusqu’à dire que l’aspect historique du récit est accessoire, jusqu’à un certain degré. Ce n’est pas super grave si l’histoire est romancée et que tout le monde est ridiculement sexy. Ce n’est pas le point du film.

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Si Oppenheimer est un peu l’équivalent cinématographique d’aller voir Le Sacre du Printemps à la Place des Arts, Barbie revient à aller voir Les Louanges faire un hommage à Charlie XCX au MTelus. C’est beaucoup plus simple à aimer sans toutefois manquer d’âme ou de substance.

Les petits bros qui voulaient visionner Barbie ironiquement vont peut-être hurler parce qu’il s’agit d’un film ultra-féministe, mais l’humour auto-référentiel et la dénonciation de l’absurdité inhérente d’un personnage comme Barbie m’ont beaucoup plu. De plus, le film envoie quelques jabs au patriarcat qui m’ont fait questionner ma propre masculinité.

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La seule chose qui m’ait fait chier, c’est peut-être de voir une entreprise comme Mattel se mettre en scène et faire preuve d’auto-dérision calculée afin de moderniser son image. C’était pas subtil pour deux sous.

Les deux salles étaient bondées, mais l’ambiance était beaucoup plus décontractée pour Barbie où les gens venaient costumés, riaient et applaudissaient comme à une projection de minuit à Fantasia. Une poignée de Barbenheimer-istes m’ont suivi d’une salle à l’autre, mais moins que je ne l’aurais cru.

N’en déplaise à Christopher Nolan; Greta Gerwig était la star de la soirée.

C’est donc plus facile et moins demandant de regarder Barbie après Oppenheimer, mais ce n’est quand même pas un film où l’on peut se permettre d’arrêter de réfléchir. Si vous décidez de faire ce doublé, je vous conseille fortement de le faire une matinée de fin de semaine, de peur qu’après une journée de travail, ce soit très taxant.

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L’expérience Barbenheimer en bonne et due forme

Malia est arrivée au cinéma environ une heure après moi parce que la projection de début de soirée de Barbie débutait plus tard. Elle finissait aussi plus tôt (c’est long en crisse, Oppenheimer).

« Je crois que j’ai encore mieux aimé Barbie que ce à quoi je m’attendais, » révèle-t-elle d’entrée de jeu entre les deux projections. « Il y a des passages qui sont un peu évidents, ce qui est normal, comme il s’agit avant tout d’un film pour enfant, mais il y en a d’autres qui m’ont agréablement surprise. Puis beaucoup de la magie du film reposait sur son très fort message féministe… ça et la performance de Ryan Gosling, bien sûr! »

On se fait un petit pit stop au Starbucks en bas, question de survivre à la deuxième partie du programme. Je m’en fait surtout pour elle. J’irais pas voir Le Sacre du Printemps après avoir dansé ma vie à un show de Charlie XCX. Je n’aurais même pas la force de prétendre trouver ça cool.

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À 1h15 du matin, Malia redescend de sa projection d’Oppenheimer avec l’air aussi dépassée par les événements que je l’anticipais : « C’était, euh… C’était beaucoup? » Ce n’est pas tellement que le film soit une si grosse commande, mais c’est plutôt l’accumulation et la demande intellectuelle qui sont constantes. Ne vous y méprenez pas : bien que le film aborde des questions plus conventionnelles que Barbie, Oppenheimer est, narrativement, de loin le film le plus éclaté des deux.

« Je me suis endormie pendant le début », avoue-t-elle en déambulant sur la rue Sainte-Catherine. Je ne lui en tient pas rigueur. La même chose me serait probablement arrivé si j’avais fait Barbenheimer dans l’autre ordre. « La temporalité était difficile à comprendre. Les pièces du puzzle n’allaient pas toutes ensemble et juste au moment où j’ai décidé que je n’aimais pas, le film m’a gagné à l’usure. »

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Je lui confie ma déception quant à la place réservée à Mattel et la subversion un peu trop douce dans Barbie, ce qui lui semble raisonnable. « Tu sais quoi? Cette subversion, je l’ai retrouvée dans le personnage Kitty, la femme d’Oppenheimer. Elle prend à peine de place pendant la majorité du film, mais elle vient à révéler son rôle crucial et sa grande perspicacité dans la dernière heure et j’ai trouvé ça vraiment cool. »

Verdict Final

À mon avis, Oppenheimer et Barbie sont deux films qui vivent très bien dans le même espace temps. Ils n’ont rien en commun narrativement, mais prônent tous deux un regard critique sur l’égo et le solipsisme à travers leurs personnages, deux idées du XXe siècle qu’on traîne encore comme un albatros.

J’ai cependant trouvé les deux films assez costauds pour mériter leur propre espace créatif. C’est le fun, Barbenheimer, mais juste Oppenheimer ou juste Barbie, ce serait peut-être encore meilleur?

Malia, elle, n’aurait probablement pas regardé Oppenheimer si ce n’était pas pour l’engouement. Du moins, pas un soir d’avant-première.

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« Le plaisir de ce soir, c’était dans le côté événementiel. Si j’étais venue avec mes amies, on se serait habillées tout en rose pour Barbie puis on serait allées se changer aux toilettes entre les deux films pour s’habiller tout en noir pour Oppenheimer. C’est ça qui est cool. Oppenheimer a probablement plus profité de la cohabitation avec Barbie que le contraire. »

Si vous voulez faire Barbenheimer, l’ordre le plus plaisant semble être Oppenheimer/Barbie, mais peu importe votre décision, vous êtes gagnants sur toute la ligne. Ce sont deux immenses films. Même pas besoin de hot-dog pour accompagner l’expérience, c’est assez ketchup-relish-moutarde-oignons-frits comme ça.