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WAGS moi non plus : Où sont les femmes dans la NFL – Partie I

Les coulisses de la NFL comme vous ne les avez jamais vues.

Par
Florence Dubé-Moreau
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Florence Dubé-Moreau a rencontré Laurent Duvernay-Tardif dans une boulangerie. Moins de quatre ans plus tard, elle atterrissait elle aussi dans la NFL. Rien, mais vraiment rien, ne prédestinait cette auteure et commissaire en art contemporain à ça. Dans cette série, elle nous transporte dans les coulisses du football professionnel avec une perspective peu conventionnelle sur le sport et la culture américaine. Pour lire sa chronique précédente, c’est ici.

Je crois que je me suis lancée dans cette série de chroniques précisément pour écrire ce papier. En fait, celui-ci et le prochain.

Allons-y d’une question simple : où sont les femmes dans la NFL ?

Le plus grand nombre de femmes liées à l’industrie de la NFL sont en couple avec des joueurs.

On dira qu’elles sont…

… aux soins de — ce qui les cantonne implicitement dans un rôle de care.

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… dans l’ombre de — ce qui ne rendrait pas justice à toutes celles qui défendent des carrières brillantes.

… aux premières loges — ce qui les retire de l’action et en fait des spectatrices passives.

Quel est le dénominateur commun ? La notion de périphérie.

Elles sont « aux côtés de ».

Je dis « elles », mais c’est « nous ». Je suis une WAGS de la NFL, moi aussi.

Qui sont ces femmes ? Quelle est notre réalité ?

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Les Wives and Girlfriends ont elles-mêmes revendiqué l’acronyme WAGS et n’hésitent pas à s’en réclamer. À preuve, les nombreux comptes Instagram et blogues conçus par et pour cette communauté dont les antennes s’étendent à tous les sports professionnels.

Les WAGS que je connais sont agentes d’immeubles, journalistes, éducatrices spécialisées, entrepreneures, lobbyistes, programmeuses. Elles ont des bacs, des maîtrises et des MBA. Plusieurs sont mères, certaines font même l’école à la maison.

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Au départ, je ne comprenais pas pourquoi les filles suivaient leurs conjoints à Kansas City. Quand Laurent a été repêché, je venais d’être acceptée à la maîtrise et d’emblée, nous avons choisi de poursuivre nos rêves respectifs, partagés entre deux villes.

Décision facile à prendre quand on est étudiante, puis pigiste aux horaires flexibles. Mais si j’étais enseignante ou avocate, ou si nous avions des enfants d’âge scolaire… Quoi prioriser ? Sa carrière ? Sa vie de couple ? Sa vie de famille ?

Avant de poursuivre, soyons clairs-es : dans une industrie où le salaire minimum frôle le demi-million, il est crucial de relativiser ces « défis ». Nous sommes largement privilégiés-ées. Je ne chiale pas; je désire éclairer le rôle des WAGS dans la NFL pour qu’on y réfléchisse ensemble. Je crois que pour comprendre ces femmes et leurs choix, il faut saisir le contexte avec lequel elles doivent composer.

Leur force m’éblouit. Leur fierté aussi.

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Voici les scénarios qui s’offrent à nous :

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Scénario # 1 : S’établir dans la ville de travail de son conjoint.

Ça veut dire déménager sans savoir pour combien de temps notre partenaire — qui peut se faire couper à n’importe quel moment — jouera dans cette ville. Trouver un emploi quand notre +1 passe sa vie sur un siège éjectable ? Compliqué. Ça l’est encore plus lorsqu’on envisage qu’en cas d’échange au cours de la saison, un joueur a 24-48h pour s’installer dans sa nouvelle ville. Ipso facto la corvée du déménagement est souvent assumée par les femmes restées derrière. Un scénario commun susceptible de se répéter plus d’une fois par saison.

Scénario # 2 : Naviguer entre deux maisons. Pour nous, Montréal et Kansas City.

Ça veut dire un quotidien rythmé par le football plus de six mois par année. Les femmes passent toute la saison à KC ou font des allers-retours. À cela s’ajoutent les camps de printemps, les OTAs et la présaison. Il faut accepter une relation à distance plusieurs mois par année et de nombreuses heures de voyagement perdues, quelque part entre nos deux vies.

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Pour la majorité d’entre nous, le repêchage coïncide avec l’obtention d’un diplôme universitaire. Plusieurs filles suivent donc leur amoureux pour vivre l’aventure à deux et trouver un poste là-bas.

Une fois en terre promise, la machine NFL peut s’avérer pernicieuse.

Sauf qu’une fois en terre promise, la machine NFL peut s’avérer pernicieuse.

Comme Kansas City n’est qu’un foyer temporaire, que le vrai « chez-soi » est ailleurs, plusieurs décident finalement de ne pas y chercher d’emploi; d’autres entreprennent des études à distance ou deviennent travailleuses autonomes.

C’est à ce moment qu’un nombre important d’entre elles se fiance ou se marie. Il s’agit d’une étape de vie avant tout portée par la religion et la tradition américaine, mais qui, dans ce contexte, assure aussi une forme de protection légale aux femmes qui sacrifient, suspendent ou ralentissent leur carrière au profit de celle de leur mari.

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Fraîchement fiancées, elles cherchent une maison et planifient la cérémonie à venir. Une fois mariées, si elles sont sans travail, elles s’occupent du (ou des) logis et commencent la famille. Si elles travaillent, ces charges logistiques et mentales s’ajoutent à leur emploi.

Ce qui m’inquiète dans tout ça, c’est qu’on présume du désir de maternité de ces femmes, de leur envie de suivre pour épauler leur mari.

Ces dynamiques genrées sont accentuées par l’archétype du « mari-pourvoyeur », par une définition du labeur uniquement associée à une source de revenus et par l’écart salarial presque inévitable entre conjointe et conjoint dans la NFL — sauf pour Giselle, mettons.

Ce qui m’inquiète dans tout ça, c’est qu’on présume du désir de maternité de ces femmes, de leur envie de suivre pour épauler leur mari.

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Lorsque c’est un choix éclairé, il n’y a rien à redire, mais quelles avenues s’offrent à celles qui veulent s’épanouir dans des sphères extérieures à la famille ? Quels choix s’offrent aux WAGS dont les ambitions dépassent celles de leur mari ?

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Au cœur du tourbillon NFL, nous nous retrouvons. On s’entraide entre WAGS. Mais, même après cinq ans, je me sens toujours outsider. Si près et si loin à la fois.

Certains échanges me prennent encore de court :

Dans une discussion sur les wife duties, j’ai justifié pourquoi je ne possède pas un jersey « Mrs. Duvernay-Tardif » pour encourager Laurent les jours de match, comme le veut la coutume.

Dans une autre, où des filles m’exposaient la pression de donner un premier garçon à leur mari, j’ai expliqué pourquoi je porte fièrement le nom de famille de mon père ET de ma mère.

Ce que je décris est culturel.

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Ça dépasse la NFL, mais je crois que la NFL y contribue. Je crois que le sport professionnel masculin concourt à creuser un écart entre les femmes et les hommes. Je crois qu’il ne favorise pas d’avenues pour les conjointes de joueurs qui souhaitent poursuivre des carrières personnelles ET avoir une famille. Je crois que le sport professionnel masculin participe à la glorification du patriarcat.

Un exemple ?

Si la femme d’un joueur accouche pendant la saison (camps d’entraînement inclus), le père ne prendra la plupart du temps que quelques jours de congé. Cette question fait débat actuellement, mais à ce jour, il n’y a aucune politique en place dans la NFL. La mise au monde d’un enfant peut-elle être une limite raisonnable au divertissement sportif ? Quel message envoie-t-on aux mères ? Ce n’était qu’à elles de mieux se timer ? Les responsabilités professionnelles de son mari sont plus importantes?

Un autre exemple ?

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Je vous ai déjà parlé du Chiefs Women’s Organization. Pourquoi cette organisation, plutôt que de convier les femmes à faire *bénévolement* de la promo pour la merch de l’équipe, n’œuvre pas à l’instauration d’un service de garde ou d’une garderie dans le complexe d’entraînement pour les familles qui sont à Kansas City durant la saison ? Les conjoints pourraient y amener et/ou en ramener les enfants… Cela permettrait plus facilement aux femmes de travailler ou de simplement prendre du temps pour elles, considérant que l’horaire des joueurs s’étend sur six jours/semaine, avec une fin de semaine sur deux à l’extérieur de la ville.

Je pourrais continuer l’énumération. Il y a tant de systèmes reconduits et générés par la NFL qui freinent l’épanouissement des conjointes de joueurs, tant dans les sphères maternelles que professionnelles. On parle de franchises qui font des centaines de millions en profit par année… Et leurs athlètes sont tous en âge de procréer.

Je constate à quel point nous sommes redevables aux féministes des luttes qu’elles ont livrées et qu’elles livrent encore.

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Chaque saison, je réalise la chance que j’ai eu de grandir dans un contexte où on m’a dit que je méritais les mêmes droits, les mêmes chances et les mêmes rêves que les hommes; je constate à quel point nous sommes redevables aux féministes des luttes qu’elles ont livrées et qu’elles livrent encore.

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Au début du texte, je parlais de périphérie. J’aimerais conclure avec l’idée qu’en fait, les lignes de côté au football ce sont les femmes. Elles ne sont pas de l’autre côté de ces lignes, elles sont précisément ces lignes. Ces lignes qui contiennent, qui solidifient. Celles entre le centre de l’action et le bruit environnant — pas tout à fait dans le jeu, mais pas tout à fait à l’extérieur de celui-ci non plus. Importantes quand le jeu en dépend, mais facilement oubliées, « im-pensées », autrement.

Je vous admire et je vous vois les filles.

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Conçu en complicité avec Laurent.

Merci à mes formidables relectrices : Justine, Laurence B et Laurence G.

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