« C’est un libraire qui a remis mon roman à Anaïs Barbeau-Lavalette. Un dénommé Stéphane, de la librairie Raffin. »
L’adaptation du roman de Geneviève Pettersen La déesse des mouches à feu a pris l’affiche plus de cinq ans après sa parution, mais l’acquisition des droits s’est faite par un heureux hasard, en quelques semaines seulement.
Le résultat a quant à lui été un succès critique et commercial. Un scénario rêvé pour une jeune autrice qui en était à son premier roman.
L’expérience de Stéphane Larue avec l’adaptation de son roman Le plongeur est similaire. C’est la conjointe du réalisateur Francis Leclerc qui lui a offert le livre en cadeau pour Noël. « C’est venu titiller son amour du cinéma de Martin Scorsese », raconte l’auteur. Le projet prendra plusieurs années à voir le jour, mais il s’agit d’une réalité du marché québécois.
D’innombrables romances planent autour du métier d’auteur. L’adaptation au grand écran comme consécration ultime en est une.
Voir une œuvre sur laquelle on a travaillé plusieurs mois, voire plusieurs années, prendre vie à l’écran pour rejoindre un plus grand public, est-ce si satisfaisant? Est-ce que ça change une carrière?
La partie qui fait rêver
Geneviève Pettersen, Stéphane Larue, Patrick Senécal et James Sallis ont tous des expériences différentes avec l’adaptation, mais elles se recoupent tout de même sur plusieurs aspects. Les quatre sont unanimes sur un point : c’est un excellent coup de pouce pour une carrière littéraire.
Une œuvre adaptée pour un projet à plus grand déploiement, impliquant de nombreuses dépenses, gagne automatiquement une aura de crédibilité. Le bon vieux ça-doit-être-bon-si-y-ont-décidé-de-faire-un-film-avec.
« Que le film soit bon ou non, il aide toujours à la popularité du roman », explique Patrick Senécal dont les romans ont été adaptés trois fois plutôt qu’une au grand écran.
Sur le seuil en 2003, 5150 rue des Ormes en 2009 et Les 7 jours du talion en 2010. « Le plus payant, c’est toujours la vente de livres qui suit la popularité du film. Ça l’est encore plus quand t’as d’autres romans publiés que les gens peuvent découvrir. »
Même son de cloche du côté de James Sallis, qui a vu son petit roman noir d’à peine 150 pages Drive (le film où Ryan Gosling porte une veste avec un scorpion dans le dos) devenir un succès monstrueux en 2011 sous l’égide du réalisateur Nicolas Winding Refn. « C’est difficile de quantifier les bénéfices de l’adaptation de mon roman : il y a eu le paiement pour les droits du film, la montée des ventes du roman, les multiples ventes de droits de publication des traductions à l’international… Pour un auteur qui a toujours vécu frugalement, ça représentait une immense somme. Bon, l’impôt en a pris la moitié, mais on parle quand même d’un montant important », confie l’auteur, qui s’est toutefois gardé une gêne sur ledit pactole.
Dans le cas de Geneviève Pettersen et Stéphane Larue, puisqu’il s’agissait d’adaptations de leur premier roman respectif, les bénéfices sur leur carrière se sont déployés différemment. « Beaucoup de jeunes qui avaient douze ou treize ans à l’époque où j’ai publié mon livre avaient dix-neuf ou vingt ans et commençaient à bosser en restauration à la sortie du film et ils s’y sont reconnus. C’était le fun. Le livre vend d’ailleurs toujours bien aujourd’hui », raconte l’auteur du Plongeur.
« C’est sûr que l’année où le film est sorti a été ma meilleure en termes de droits d’auteur », renchérit Geneviève Pettersen. « François Legault a fait la critique de mon livre sur ses réseaux, il est maintenant enseigné dans certaines écoles aussi. Les gens l’achètent encore. Je suis chanceuse, c’est un livre qui vit une belle vie. »
La partie un peu plus terre à terre
« Faire un film, c’est pas si payant que ça. Y a environ douze projets dans l’histoire du cinéma québécois qui ont fait de l’argent », explique de son côté Patrick Senécal, qui m’enjoint toutefois à prendre ce nombre de films profitables avec un grain de sel.
Il ajoute que dans un petit marché comme le Québec, c’est important de choisir ses batailles et de prioriser ses projets. Par exemple, plusieurs auteurs se tournent vers la télé, où une adaptation est beaucoup plus payante. On n’a qu’à penser à Sarah-Maude Beauchesne, qui co-signe l’excellente Bellefleur avec Nicolas Morel, une des séries coup de cœur de 2024.
« Ça peut aussi être un piège. Tu peux te mettre à écrire en vue d’un éventuel film et en faisant ça, tu te prives de toute la liberté créative qu’un roman te donne. Moi, j’ai toujours essayé de pas penser à ça en écrivant », continue Senécal.
Le consensus entre les auteurs adaptés est que l’effet dure un temps, mais qu’on en revient toujours aux livres et à l’écosystème de la librairie. « Médiatiquement, ton livre va faire parler pendant combien de temps? Deux semaines? Le reste du temps, c’est le libraire et les lecteurs qui vont se passer le mot », affirme Geneviève Pettersen.
Stéphane Larue confie qu’il manquait de recul sur son histoire pour en faire un scénario, mais que ceux qui le font sont payés plus cher. Plus un créateur ou une créatrice s’implique, mieux il ou elle est rémunéré.e. « À la fin de la journée, par exemple, ça paye pas assez pour que tu lâches ta job pis que t’en vives. C’est différent pour tout le monde, mais pour la plupart d’entre nous, ça ne change pas fondamentalement les règles du jeu », précise-t-il.
Les bénéfices collatéraux de l’adaptation
Alors oui, une adaptation cinématographique change le cours d’une carrière.
Est-ce que ça change assez la donne pour acheter une maison à Saint-Lambert ou prendre une passe de saison au Bota Bota? Peut-être pas. Les bénéfices sont nombreux, mais la plupart sont intangibles. James Sallis affirme que le succès de Drive au cinéma et ses nombreuses retombées dans sa vie ont altéré sa manière d’écrire. Pour le mieux.
« Le coussin financier que ça m’a emmené m’a donné le temps de raconter les histoires que je voulais vraiment raconter. Les romans que j’ai écrits après l’adaptation étaient plus profonds. Plus personnels. Il y a vraiment eu un avant et un après », raconte l’auteur américain, qui a depuis publié sept romans, dont la suite de Drive, Driven.
Pour Patrick Senécal, le moment charnière de sa carrière a été la publication de son roman Le Vide en 2007, une œuvre mammouth de 642 pages encore aujourd’hui largement considérée comme l’une de ses plus grandes réalisations.
« Ce succès-là s’est bâti sur celui de l’adaptation de Sur le seuil. Les deux autres adaptations sont venues après. »
« Elles ont eu du succès, mais la première a été la plus importante. Aujourd’hui, je suis dans une position très privilégiée, mais les romans sont plus payants pour moi. C’est pas le cas pour la plupart des auteurs, par contre », remarque-t-il.
Les bienfaits collatéraux sont tout aussi importants pour Geneviève Pettersen, qui se tourne maintenant vers l’avenir. « C’est sûr que c’est plus facile pour moi, maintenant, quand je veux travailler avec une maison d’édition. Les portes s’ouvrent plus facilement, j’ai connu plein de gens le fun. J’ai des contacts avec les gens de tous les âges qui ont lu mon livre », explique l’autrice.
Non, toutes les adaptations ne sont pas nées égales. Certaines sont une consécration qui vont jusqu’à altérer l’ADN créatif d’un auteur comme ç’a été le cas pour James Sallis. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une belle marque d’appréciation et d’une entrée d’argent non négligeable, mais ce n’est que le prélude d’une carrière qui reste à bâtir.
Comme le résume bien Stéphane Larue : « Ça ouvre le champ des possibles. »
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
Soyez le premier à commenter!