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Les hommes de « Bellefleur »

Un regard posé et crédible sur la masculinité ordinaire à laquelle on peut s’identifier.

Par
Benoît Lelièvre
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C’est pas exactement difficile d’être un homme en 2024, mais c’est quand même plus compliqué que ce l’était en, disons, 2004?

Les raisons derrière cette crise identitaire sont multiples, mais les principales sont : 1) le refus des modèles de masculinité traditionnelle de se remettre en question 2) la révélation que plusieurs de ces supposés modèles sont en fait des criminels sexuels et 3) l’absence de modèles de masculinité contemporaine dits « positifs » et qui feraient le consensus.

En tant qu’homme se retrouvant au beau milieu de ce processus d’introspection identitaire, je suis ouvert aux suggestions et lesdites suggestions pleuvent depuis le mouvement #metoo. Des annonces de produits pour la barbe aux observations militantes de Liz Plank, les nouvelles définitions de la masculinité se veulent toutes bien intentionnées, mais essentiellement périphériques à l’enjeu principal : cette redéfinition est un travail que les hommes devront faire par eux-mêmes et pour eux-mêmes. En attendant que ces modèles consensuels se cristallisent, tout ce qu’on peut faire, c’est des propositions.

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Ces propositions m’ont historiquement toujours laissé un brin insatisfait jusqu’à ce que je tombe sur les deux premiers épisodes de la série Bellefleur, réalisée par Jeanne Leblanc et co-signée par Sarah-Maude Beauchesne et Nicola Morel. Les nouveaux épisodes sont diffusés chaque jeudi sur Crave et je vous invite à les regarder afin que soit finalement amorcée cette réflexion constructive sur la masculinité.

Être un homme en temps de paix

Bellefleur raconte l’histoire de Nicolas Bellefleur (Guillaume Laurin), un humoriste dans la trentaine qui se prépare à adopter le petit garçon de sa conjointe Ariane (Charlotte Aubin) qu’il considère déjà comme son fils. Le problème, c’est que le désir de paternité de Nicolas est plus grand que son amour pour sa blonde et cette dernière le laisse environ 18 secondes après que ce dernier lui fait part de ses intentions.

Brisé par la nouvelle, Nicolas se tourne vers sa gang de chums (et leurs conjointes) afin de guérir cette blessure et de se remettre sur pied.

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Sarah-Maude Beauchesne et Nicola Morel offrent un portrait éminemment crédible et engageant d’une masculinité contemporaine tout en évitant les pièges conventionnels du débat. C’est à dire, de montrer des exemples de masculinité traditionnelle peu ou pas applicables à la masculinité contemporaine.

Par exemple, on peut penser à cette représentation galvaudée de l’homme présenté comme étant le « protecteur » de la femme. Personnellement, je hais cette expression, « protecteur ». On ne vit plus dans une grotte à la merci des animaux sauvages.

Bellefleur ne présente pas ses hommes comme étant des portevoix pour un discours féministe, non plus. Les hommes de Bellefleur sont des hommes en temps de paix, et leur masculinité s’exprime comme étant ce moyen d’assumer ses choix, de travailler en équipe avec une partenaire de vie, d’exprimer qui on est, ce qu’on veut et de simplement être là les uns pour les autres.

L’exemple le plus beau et le plus touchant de la masculinité positive exprimée par Bellefleur (à ce jour) se joue à la fin du premier épisode où Yann (joué par un Marc-André Grondin toujours aussi redoutablement efficace) découvre Nicolas en larmes dans la salle de bain après qu’Ariane lui demande de cesser tout contact avec son fils. Yann ferme tout simplement la porte et prend son ami dans ses bras sans dire un mot. Pas de discours inutile, juste un gars qui est là pour son vieux chum lorsqu’il en a besoin.

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La vie qu’on voulait et la vie qu’on a

Un autre aspect de Bellefleur qui m’a beaucoup plus, c’est son portrait de la vie dite « ordinaire » qui attend invariablement tout le monde dans la trentaine. Cette réalité crue qui nous embarque dans le moule, comme le chantait si bien Karl Tremblay.

On est encore aux premiers balbutiements de la série, mais on peut déjà entrevoir les défis et les deuils de la vie d’adulte à travers l’histoire de Maxime (l’immense Maxime de Cotret) et Claudie (Sarah-Jeanne Labrosse) qui annoncent à leur groupe d’amis que l’enfant qu’ils espèrent depuis si longtemps souffrira de trisomie 21. La tension, les implications et les responsabilités de mettre au monde un enfant en situation de handicap flottent dans le silence tendu entre les deux amoureux qui s’efforcent de naviguer la situation comme des funambules invisibles.

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Là, je parle encore d’un exemple de masculinité positive, pas seulement parce que c’est la carte de visite de Bellefleur, mais parce que ce que j’ai vu jusqu’à maintenant me donne hâte à la suite pour Maxime. Parce que c’est aussi ça, être un homme : prendre ce que la vie nous donne et faire notre possible au lieu d’essayer de s’en sauver pour espérer rester le petit gars de 12 ans qui vit à l’intérieur de nous comme le font beaucoup trop d’hommes encore aujourd’hui lorsque leur vie commence à ralentir.

Bien sûr, je réfléchis à voix haute et je projette mes propres idées sur Bellefleur, mais j’espère que vous comprendrez pourquoi.

La série nous invite à réfléchir avec elle. Elle nous présente des modèles de gars (et de couples) auxquels je peux m’identifier et y projeter ma propre masculinité. Particulièrement à travers Yan et Raphaëlle (interprétée par Sarah-Maude Beauchesne elle-même) qui choisissent de faire leur vie sans enfants. C’est comme ça qu’on fait avancer une réflexion.

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En donnant des exemples assez nuancés et crédibles dans lesquels on peut se projeter.

Bellefleur, ça se passe sur Crave chaque jeudi pour les prochaines semaines. On est au troisième épisode, mais il y en aura dix au total. Manquez pas ça!