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Vivre un deuil, câest un peu apprendre Ă danser sous la pluie
CâĂ©tait le 17 dĂ©cembre 2019. Je rentrais du travail, mes parents et ma conjointe sâaffairaient dans la cuisine pour prĂ©parer le repas. Mon bĂ©bĂ© jouait avec notre caniche nain, et moi je mâasseyais tranquillement Ă la table en ouvrant machinalement mon tĂ©lĂ©phone et mon Facebook, encore. Et puis, je suis restĂ©e figĂ©e. CrispĂ©e de chagrin, avant de partir me rĂ©fugier dans la chambre.
Je ne pouvais pas croire ni accepter ce que je venais de lire.
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Mon amie dâenfance venait de perdre sa conjointe, un cancer du sein mĂ©tastatique lâavait emportĂ©e aprĂšs plusieurs annĂ©es de combat contre ce maudit crabe. Elle Ă©tait dans le dĂ©but de sa trentaine. Elle venait de fonder une famille avec sa conjointe, un autre combat.
Fiancée en 2012. Mariée en 2014. Décédée en 2019.
«Ce n’est pas logique, ça ne fait aucun sens, bordel. Elle va faire comment Sabrina? Et leur petit bout de 4 ans? C’est pas normal, putain. Qu’est-ce qu’on peut faire pour changer ça? Revenir en arriĂšre?»
«Non, il y a un truc qui cloche. Ce nâest pas logique, ça ne fait aucun sens, bordel. Elle va faire comment Sabrina*? Et leur petit bout de 4 ans? Câest pas normal, putain. Quâest-ce quâon peut faire pour changer ça? Revenir en arriĂšre? Trouve une solution, merde!» Câest ce que je me rĂ©pĂ©tais en boucle, en essayant de reprendre mon souffle entre deux crises de larmes, dâangoisse. Jâai eu un chagrin immense, et la rage contre ce qui nous attend pourtant tous au tournant. La vie qui prend fin.
Durant de longs mois, je nâai pas rĂ©ussi Ă penser Ă la mort de Charline ni Ă en parler. Ă part Ă ma partenaire qui sait tout, forcĂ©ment.
«Câest parce que tu te projettes, câest ça? Elles nous ressemblaient trop? Tâas peur que ça nous arrive, mon cĆur? Parle-moi, il faut que ça sorte.» Jâai juste hochĂ© la tĂȘte pour dire «oui» Ă toutes ses petites questions hyper lucides qui me dĂ©rangeaient et me faisaient du bien en mĂȘme temps.
Jâai mis 8 mois Ă proposer Ă notre rĂ©dac chef (coucou Barb) cette chronique. Je ne me sentais pas capable ni lĂ©gitime dâĂ©crire lĂ -dessus. Je nâavais pas envie de faire un texte larmoyant qui surfe sur le pathos. Ce nâest pas mon genre.
Mais je ne pouvais pas passer sous silence la rĂ©silience, la force, le courage et la persĂ©vĂ©rance de mon amie qui continue Ă vivre malgrĂ© tout, et Ă avancer sans son Ăąme soeur, son amour dâadolescence devenu amour de toujours. Il nây avait aucun doute lĂ -dessus. Je les revois encore main dans la main en sortant du lycĂ©e, en banlieue parisienne. Quel courage, dĂ©jĂ .
«Je n’ai pas le choix d’aller bien et d’avancer, Daiz. Notre enfant, c’est le fruit de ce quâon avait construit ensemble. Sa peine sera plus difficile Ă digĂ©rer si moi-mĂȘme je mâeffondre.»
Depuis le dĂ©cĂšs de Charline, les posts Facebook de Sabrina me remettent Ă ma place quand je fais ma reloue au quotidien, quand je trouve que ma partenaire ne fait pas ceci ou cela exactement comme il faudrait, ou que mon bĂ©bĂ© de 2 ans parle trop fort ou ne mange pas assez, etc. Câest une leçon de vie quâelle (me) donne chaque jour, comme tant dâautres qui sont passĂ©s par lĂ avant elle.
«Je nâai pas le choix dâaller bien et dâavancer, Daiz. Notre enfant, câest le fruit de ce quâon avait construit ensemble. Sa peine sera plus difficile Ă digĂ©rer si moi-mĂȘme je mâeffondre. Il a tellement besoin de moi, je fais tout pour quâil ne perde pas pied. Charline mâa donnĂ© de la force avant de partir.»
En vĂ©ritĂ©, elle aurait eu le choix. Celui de tout foutre en lâair, de ne plus trouver aucun sens Ă rien, de penser au pire, etc. Mais non. Elle fait partie de ces ĂȘtres extra-ordinaires qui prennent sur eux pour continuer, coĂ»te que coĂ»te, pour le meilleur et pour le pire. MalgrĂ© les errances mentales qui vont avec ce genre de deuil.
Pendant le confinement, jâai remarquĂ© quâelle avait lu le livre de StĂ©phane Allix, Le Test: Une expĂ©rience inouie : la preuve de lâaprĂšs-vie ?. Jâai eu le mĂȘme rĂ©flexe quâelle aprĂšs avoir perdu ma grand-mĂšre, je voulais trouver la rĂ©ponse Ă cette seule et unique question qui nous hante tous aprĂšs le dĂ©cĂšs dâune personne proche: oĂč est-elle passĂ©e? Seul lâunivers doit le savoir.
Jâai remarquĂ© aussi quâelle se raccrochait Ă des petites choses, des petits signes du quotidien: lâapparition de plumes. «Aujourdâhui tu Ă©tais lĂ , pas de hasard: dans lâeau, une petite plume blanche nous attendait⊠et en sortant une plume grise». Ăa peut paraĂźtre dĂ©risoire, mais je crois que câest ce qui la sauve, câest ce qui nous sauve: se convaincre que nos ĂȘtres chers sont toujours lĂ , quelque part, avec nous. Ăa fait diversion, ça garde en vie.
«Sois heureuse, s’il te plait. Sois juste heureuse.» Elle m’a glacĂ©e. Câest vrai que jâai toutes les raisons au monde de lâĂȘtre, mais je nâai pas le bonheur facile (contrairement aux apparences).
Si jâĂ©cris tout ça en rĂ©alitĂ©, câest pour transmettre ce message â trivial au premier abord â que ma praticienne en massage Reiki mâa lancĂ©, Ă la fin de ma premiĂšre sĂ©ance: «AprĂšs qui tu en as? Sois heureuse, sâil te plait. Sois juste heureuse.» Elle mâa glacĂ©e. Câest vrai que jâai toutes les raisons au monde de lâĂȘtre, mais je nâai pas le bonheur facile (contrairement aux apparences).
Depuis le dĂ©part de sa moitiĂ©, mon amie Sabrina fait tout pour ĂȘtre heureuse. Je vois bien quâelle se raccroche aussi et surtout Ă leurs souvenirs. Elle lâĂ©crit souvent dâailleurs: «Les souvenirs restent» en repartageant parfois ses souvenirs Facebook de leur vie Ă 3. Elle a raison.
Et si câĂ©tait ça le secret de la (sur)vie? Les souvenirs. Faire en sorte de les garder bien au chaud dans nos tĂȘtes, et de les ressortir quand ça devient difficile.
Alors avant que la roue tourne et que la vie fasse son Ćuvre, gageons de faire des tonnes de souvenirs chaque jour. En Ă©tant vraiment lĂ , vraiment conscient de ce quâon a, de ce quâon est. Ăa vaut tout lâor du monde.
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*Entre la rĂ©daction de cet article et sa publication, jâai appris que le pĂšre de Charline Ă©tait parti lui aussi. Il aura survĂ©cu 9 mois Ă peine aprĂšs le dĂ©cĂšs de sa fille. Tendres retrouvailles, câest certain.
* Le nom a été modifié.
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