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Vivre au-dessus d’une terrasse près de chez vous

Entre bonheur et appréhension à l'aube de l'ouverture des bars.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Est-ce que le retour des terrasses marque en quelque sorte la fin des vacances pour les gens qui vivent au-dessus de ces établissements?

Est-ce que les voisins d’estaminets où l’on sert de la bouffe (les terrasses de bars demeurent fermés jusqu’au 11 juin) se croisent les doigts pour un nouveau variant pour étirer leur quiétude un peu plus longtemps?

Est-ce que le bonheur des uns fait le malheur des autres?

Sommes-nous seul.e.s sur cette petite boule suspendue dans le cosmos nommée Terre?

Beaucoup de questions hautement philosophiques, auxquelles répondra très certainement le présent article (sauf la dernière peut-être).

Mais avant de donner la parole aux voisins, d’abord une primeur: les gens sont prêts à se montrer conciliants tellement ils ont hâte d’en finir avec la pandémie.

Et bien sûr, ils se doutent bien qu’habiter en haut d’un bar populaire peut offrir un environnement sonore plus riche en décibels que Saint-Lambert. Quoique

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Conciliation terrasse-maison

J’amorce ce pèlerinage dans mon hood sur la chic Promenade Masson, là où le spectre de la Casa Corfu flotte toujours bien bas au-dessus de nos têtes. «Je suis en télétravail, désolé», répond sèchement par le truchement de l’interphone le premier voisin chez qui je sonne, au-dessus du Quai no.4. Pff! Télétravail, je suis sûr qu’il regarde juste de la porn.

«Ça ne me dérange pas du tout. J’aime ça, ça fait de la vie, c’est l’été.»

Enfin, pas grave puisqu’une dame âgée sort de son logement voisin au même moment, traînant un petit chariot pour aller faire ses courses. «Ça ne me dérange pas du tout. J’aime ça, ça fait de la vie, c’est l’été», résume Josée, qui habite son logement depuis la rue Masson depuis 50 ans. «Je ne déménagerais pas mettons», se contente-t-elle de répondre, sourire en coin, lorsque je lui demande le prix de son loyer dans le contexte de crise du logement actuel.

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Si elle ne fréquente pas la terrasse du Quai no.4 (et n’a jamais eu de trouble avec leurs clients), Josée va parfois prendre un verre à La Succursale, à quelques rues de là.

«Sel & Poivre bar-karaoké fête ses 40 ans!», peut-on lire sur l’affiche géante suspendue au mur de briques du populaire temple de la chanson, situé au coin Masson et Iberville.

«Ça crie, ça règle des grosses affaires. C’est une vraie pièce de théâtre. Pas le choix de fermer les fenêtres.»

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Même si l’ouverture de ce type d’établissement (sans nourriture et sans terrasse) est toujours en attente d’un feu vert, Rachid, qui habite la maison de chambres au-dessus, sent que son bonheur tranquille tire à sa fin. «Le problème c’est le karaoké. Même si t’es dans ta chambre, sans micro, t’es dedans pareil. Sinon, ça crie, ça règle des grosses affaires. C’est une vraie pièce de théâtre. Pas le choix de fermer les fenêtres», ventile l’homme en train de griller une cigarette sur son balcon, ajoutant savourer un peu de paix depuis que c’est fermé. Un peu de calme avant la tempête fait de beuglements humains sur Bohemian Rhapsody.

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Rachid estime toutefois que les proprios du bar — les mêmes que la maison de chambres — sont à l’écoute et s’efforcent de ménager leurs locataires. «Le problème c’est pas la petite bière du jour, mais quand les groupes viennent faire chier avec des chansons plates. Ça vibre jusqu’à chez nous!», souligne Rachid, qui supporte en attendant le passage incessant des poids lourds sur les rues achalandées sous sa fenêtre.

«Si tu te plains, t’es pas au bon endroit»

Il y a quelque chose de beau à regarder tous ces gens s’activer pour aménager leur terrasse sur l’avenue Mont-Royal.

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J’emprunte la ruelle et les escaliers serpentins pour grimper au logement de Hana, situé juste au-dessus du bar l’Entrepôt. Cette sous-locataire raconte avoir emménagé en pleine pandémie et n’a donc encore jamais expérimenté la nightlife.

«Je pense juste que ça va être cool d’avoir des bruits festifs, ça fera changement de ceux de la construction.»

Rien pour l’inquiéter, assure-t-elle. «Je pense juste que ça va être cool d’avoir des bruits festifs, ça fera changement de ceux de la construction», raille Hana, surtout enthousiaste à l’idée d’en finir avec la damnée pandémie. «Ma chambre est en arrière au moins, on verra ce que ma colocataire pensera de son bord…», ajoute-t-elle en riant.

Même son de cloche du côté de Maxime, qui vient d’emménager avec vue sur la terrasse du Baptiste. «Au contraire, on est contents que ça bouge enfin un peu et c’est bien insonorisé ici», souligne le jeune homme. Il n’a cependant pas l’intention de fréquenter les terrasses sous sa porte. «On verra dans deux mois si ça va me casser les couilles», ajoute Maxime.

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Un peu plus loin, des employés finalisent l’aménagement de la terrasse de la Taverne Saint-Sacrement. Des sacs de terre reposent sur les tables pour l’aménagement des plates-bandes autour. Dans l’escalier menant aux logements perchés au-dessus, une affiche invite les clients du bar à ne pas encombrer l’espace. «Si tu décides d’habiter sur Mont-Royal et que tu te plains du bruit, t’habites pas au bon endroit», résume Sergio, qui habite son logement depuis 20 ans. «J’en ai vu passer des bars en bas en vingt ans et la Taverne est vraiment tranquille comparée à d’autres endroits», analyse-t-il.

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Le prix à payer

Même branle-bas rue Saint-Denis, dans le Quartier latin, où les terrasses de plusieurs bars vont enfin insuffler un peu de vie dans ce secteur aux airs de vaste chantier de construction. Propriétaire de l’immeuble abritant le pub l’Île noire et quelques logements depuis 35 ans, Jean-Pierre estime que l’heure est surtout à la fébrilité. «Je climatise [les locataires] pour qu’ils n’aient pas à ouvrir leurs fenêtres, mais c’est sûr que si tu vas t’installer sur Saint-Denis, il faut t’attendre à entendre du bruit. C’est le prix à payer», note le proprio.

«C’est sûr que si tu vas t’installer sur Saint-Denis, il faut t’attendre à entendre du bruit.»

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De retour dans Rosemont, Michel grille une cigarette dans un petit enclos en face de son bloc, à quelques mètres de l’immense terrasse sous chapiteau de la micro-brasserie Grozepa, rue Papineau. «Je connais bien les proprios, des gens super cool. On est contents aussi, ça va mettre de l’ambiance dans la ville», se réjouit ce gaillard.

Il explique qu’à part quelques rares voisins, la présence du bar ne dérange personne. «On n’a pas de problème de cohabitation. Le bar bouge et attire une belle clientèle issue de la diversité culturelle aussi. Parfois les clients se dispersent autour et fument ici, mais c’est rien de grave», résume Michel.

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Morale de l’histoire: le voisinage des terrasses n’est pas rabat-joie et ça prendra plus que des conversations un peu chaudaille après quelques pintes pour altérer sa volonté de retrouver un semblant de normalité.