C’est le 18 février que s’est produit le premier féminicide de 2022. Au moment où ces étaient écrites lignes, treize noms figuraient désormais au compteur annuel. Des noms qui, au terme de l’année, seront représentés par une simple statistique qui ne détonnera probablement pas avec les plus récents bilans annuels de féminicides.
Ces noms sont ceux de Patrizia Rao, Maria Cristovao, Madeleine Desormeaux, Louise Avon, Monique Landry, Audrey-Sabrina Gratton, Kamila Rodriguez Vital de Queiroz, Gisèle Gale Betondi, Viergemene Toussaint, Synthia Bussière, Karine Bélanger, Annie Di Lauro et Donna Callahan. En ligne, ils sont répertoriés à travers le compte Instagram de SOS violence conjugale.
C’est pour attirer l’attention sur ce grave enjeu de société que la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et le Secrétariat à la condition féminine ont lancé, il y a onze ans, les 12 jours d’action contre la violence faite aux femmes, qui s’amorcent aujourd’hui. « On fait tous partie de la solution. Et si on ne fait pas partie de la solution, on fait partie du problème », lance Claudine Thibodeau, intervenante chez SOS violence conjugale.
Un chiffre élevé et impossible à quantifier
2021 marquait une année sombre pour les féminicides : 26 ont été recensés, soit le plus haut nombre depuis 2008. Pour plusieurs expert.e.s, des mesures liées à la pandémie comme le confinement et le couvre-feu ont exacerbé les comportements conjugaux violents. À pareille date, l’an dernier, 18 féminicides avaient ébranlé le Québec, soit 5 de plus qu’en date d’aujourd’hui.
Depuis l’an dernier, le nombre de demandes à SOS violence conjugale n’a pas subi un changement marqué. En date du 23 novembre 2021, on dénombrait 50 391 demandes (toutes plateformes confondues) depuis le début de l’année. Le 23 novembre 2022, 48 317 demandes avaient été comptabilisées depuis le 1er janvier.
Il est difficile, voire impossible, de quantifier le nombre de victimes de violence conjugale. Claudine Thibodeau mentionne que près de 20 000 plaintes de violence conjugale sont portées à la police chaque année, mais Statistique Canada estime que ce chiffre ne correspond qu’à environ 20 % de la réalité. Et c’est sans parler des cas de violence non criminelle, comme certaines formes de violence psychologique.
Les dommages collatéraux de la pandémie
Malgré les chiffres alarmants de de l’an dernier, les expertes consultées s’entendent pour dire que depuis la pandémie (et la résurgence du mouvement #MeToo), les femmes ont tendance à être plus conscientes des façons dont la violence peut se manifester. Les ressources d’aides ont également gagné en visibilité, encourageant les femmes et les victimes de violence à demander de l’aide.
L’augmentation de demandes à travers les années (125 % en cinq ans, selon Claudine Thibodeau) ne signifie donc pas forcément une hausse de la violence, mais témoigne de l’acceptabilité sociale grandissante des appels à l’aide. « Plus on en parle [de la violence], plus on reçoit de demandes », atteste Mathilde Trou, coresponsable des dossiers politiques au sein du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, qui abrite 46 maisons membres.
Les formes de violences conjugales et sexuelles évoluent à travers le temps et leurs manifestations prennent plusieurs formes, parfois plus sournoises. La violence physique est plus évidente à remarquer que la coercition, le contrôle de l’argent, le cyberharcèlement et la surveillance abusive via les médias sociaux, mentionne en exemples Mathilde Trou, mais ces comportements ne doivent pas être acceptés pour autant.
Ce qu’il reste à faire, pour Claudine Thibodeau, c’est de continuer d’encourager les femmes à demander de l’aide rapidement. « On est encore pris dans des mentalités où les déséquilibres de pouvoir sont normalisés », remarque-t-elle.
Douze jours de sensibilisation
Cette année, les 12 jours d’action ont pour thème « Guérir pour transformer, transformer pour guérir ». Taïna Mueth, agente de projets à la FFQ, souhaite utiliser l’art comme vecteur de changement, et les activités proposées s’ancrent dans cette volonté. Oeuvre collective, projection du film Je vous salue salope et conférences avec des expertes du milieu figurent notamment dans le calendrier des événements.
L’objectif de la campagne est de faire gagner en visibilité la violence subies par les femme auprès du grand public.Taïna Mueth souhaite que tout le monde se sente concerné : pour elle, la culture est le meilleur moyen de rejoindre les gens. « Il faut “rebrand” le féminisme pour montrer à tout le monde qu’on en a encore besoin. […] Il y a encore une stigmatisation autour du mot », soutient-elle.
« Pouvez-vous rappeler plus tard? »
Chez SOS violence conjugale, le nombre d’appels est passé d’une moyenne de 25 000 appels par année à 58 000 appels l’an passé.
Il y a plus de demandes, mais pas proportionnellement plus de ressources. « À SOS, on est une porte d’entrée, et des fois, il y a un embouteillage dans l’entrée », illustre Claudine Thibodeau. Plusieurs fois par jour, les intervenant.e.s doivent annoncer aux demandeur.euse.s qu’il n’y aucune ressource disponible, une tâche « difficile », regrette l’intervenante. Celle-ci souhaite davantage de subventions pour développer le secteur numérique des plateformes d’aide, comme les services de clavardage d’urgence.
Taïna Mueth plaide pour un plus grand financement des organismes communautaires. Claudine Thibodeau abonde en ce sens : les maisons d’hébergement doivent démontrer qu’elles sont occupées en tout temps pour obtenir leur subvention. C’est plutôt irréaliste lorsqu’on souhaite que l’idéal, c’est qu’il y ait de la place disponible en tout temps pour les femmes en situation d’urgence.
Nouvelles approches
Le Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes mise sur une approche de sensibilisation auprès de divers acteurs et actrices de la société. Policier.ère.se, juges, avocat.e.s et professionnel.le.s de la santé sont formé.e.s par le Regroupement sur les signes et enjeux de la violence conjugale auprès des femmes, afin de mieux accompagner et guider celles-ci vers des intervenantes du milieu, notamment celles présentes dans les maisons d’hébergement. « Depuis quelques années, il y a une vraie ouverture pour mieux comprendre et aider les femmes et les enfants », affirme Mathilde Trou.
Elle mentionne aussi que dans la dernière année, le Regroupement a mené des rencontres mensuelles avec le Secrétariat à la condition féminine. « Ça nous fait un canal de communication plus établi sur une base régulière », se réjouit-elle.
Il faut beaucoup de courage pour demander de l’aide pour sortir d’un cycle de violence. Nombreuses sont les ressources d’aide pour les personnes qui sont prêtes à le faire : Claudine Thibodeau rappelle qu’on n’a pas à attendre d’être rendu.e « au bout du bout » pour lancer un SOS.
Pour demander de l’aide, contactez SOS Violence conjugale, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, au 1 800 363-9010.