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L’urbanisme éphémère nuit-il à un développement plus durable?

De l'importance d'être propriétaire.

Par
Camille Dauphinais-Pelletier
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Éphémère, temporaire, transitoire. Ces mots, on les entend de plus en plus dans le jargon de l’urbanisme, notamment pour trouver des usages aux terrains ou bâtiments vacants répartis dans les villes.

Difficile d’être contre le principe : en attendant qu’un propriétaire mette la main sur un endroit à l’abandon, il vaut aussi bien l’occuper. C’est pour ça que la mairesse Valérie Plante a annoncé l’an dernier que dix incubateurs d’entreprises seraient créés dans autant de bâtiments publics vacants. C’est aussi pour ça que l’organisme Entremise se spécialise dans ce type d’usages transitoires.

Mais comme collectivité, est-ce vraiment ainsi que l’on a intérêt à ce que les subventions pour valoriser les bâtiments vacants soient dépensées ?

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Posséder Bâtiment 7

C’est une question que se pose Gabrielle Gérin, l’une des membres du collectif derrière Bâtiment 7, un centre de services autogéré dans Pointe-Saint-Charles. Après une lutte de 10 ans, un groupe de citoyens de PSC a réussi à remettre la main sur un vieux bâtiment vacant du CN, essentiellement parce qu’ils croyaient que celui-ci leur revenait, et qu’ils ont fait une excellente job pour plaider leur cause. La microbrasserie des Sans-Taverne vient d’y ouvrir, et l’épicerie, les ateliers d’artistes, de mécanique, de réparation de vélo et une arcade roulent déjà depuis un bout. Pas mal différent du projet de casino qui y était prévu à la base !

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Pas besoin d’appliquer et d’être sélectionné pour profiter du bâtiment : on entre, on s’installe dans la salle commune et on se sent déjà chez soi. Si on veut s’impliquer, on le dit, tout simplement. « On est contents que le bar soit ouvert, parce qu’il joue vraiment un rôle. L’autre fois, un gars est venu prendre un verre et a dit comme ça qu’il voulait s’impliquer. Lui, ce qu’il aime, c’est travailler le bois. Justement, on a reçu du plywood et il nous faut des volets. Et voilà ! Il n’a pas eu besoin de se positionner dans une structure », raconte Gabrielle Gérin.

« Une chose qui nous tenait particulièrement à cœur, c’était d’être propriétaires du bâtiment, qu’il sorte du marché et qu’il devienne commun. Pour nous, l’aspect communautaire, ce n’est pas juste un principe, c’est réel. »

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Celle-ci n’est pas « contre » les projets éphémères ; elle souligne plutôt toute l’importance d’être propriétaire d’un lieu pour y monter un projet durable, d’envergure. Et souligne que ces bâtiments vacants, propriété du public, pourraient bien servir au public pour monter des projets autogérés. Pas juste attendre qu’un promoteur privé ait un projet pour pratiquement lui donner la bâtisse.

« Une chose qui nous tenait particulièrement à cœur, c’était d’être propriétaires du bâtiment, qu’il sorte du marché et qu’il devienne commun. Pour nous, l’aspect communautaire, ce n’est pas juste un principe, c’est réel », lance Gabrielle Gérin. « On fait vraiment de l’autogestion, c’est très différent d’une consultation publique suivie d’un mandat donné à une firme. On a tout fait nous-mêmes, on est chez nous. Les gens ont beaucoup appris dans ce projet, et sont devenus complices. »

C’est peut-être pour ça que tout le monde semble en amour avec le bâtiment là-bas. Et qu’on parle des projets futurs — un centre de naissances, un CPE, une ferme — avec enthousiasme, et ambition. « Tu ne peux pas penser à des trucs comme ça quand tu n’es pas propriétaire », résume Gabrielle Gérin. « Quand j’étais dans la vingtaine, j’avais envie d’immédiat, je voulais qu’en six mois ça ouvre. Là, on parle d’un processus qui s’étale sur longtemps, mais ça me fait plaisir de me dire que dans 20 ans mon flo va être capable de continuer ce qu’on a commencé. »

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Ça vaut aussi pour les terrains vagues. Gabrielle Gérin donne comme exemple un jardin de la rue Sébastopol, que la Ville s’est engagée à laisser public, et qui est entretenu par les citoyens sans fin à l’horizon. Comme ils savent que le terrain ne sera pas repris pour y construire des logements, ça leur donne bien plus envie de l’investir et d’y développer un aménagement original.

« Et pour ce qui est des projets temporaires, rien n’empêche d’en faire dans un bâtiment qui appartient à la collectivité », précise-t-elle aussi.

Mais en attendant ?

Reste que les projets éphémères ont leur raison d’être, selon Mallory Wilson, de chez Entremise. Entre le moment où le collectif de citoyens de PSC a réclamé le bâtiment et celui où il a reçu les clés 10 ans plus tard, le bâtiment est resté vacant, et a continué à se détériorer. Un usage transitoire aurait été pertinent à ce moment-là, dit-elle.

«Les usages éphémères peuvent aussi servir à révéler le potentiel d’un immeuble, et à le rendre accessible à des gens qui ne seraient pas prêts à militer sur le long terme pour ce genre d’accès.»

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« Quand on nous demande pourquoi investir dans quelque chose de courte durée, la réponse qu’on donne souvent est que si on attend toujours le meilleur projet, on va toujours tout repousser dans le temps. Ça peut prendre 15 ans pour élaborer le projet parfait pour des bâtiments comme ceux du Royal Victoria, par exemple. Mais si on investit dans les équipements et qu’on permet aux gens de les utiliser entre-temps, cet argent va servir, parce que ce qui est à changer en ce moment sera encore à changer dans 10 ans si on ne fait rien », souligne-t-elle.

«Les usages éphémères peuvent aussi servir à révéler le potentiel d’un immeuble, et à le rendre accessible à des gens qui ne seraient pas prêts à militer sur le long terme pour ce genre d’accès comme ça s’est vu à PSC», ajoute-t-elle.

De toute façon, il ne faudrait pas voir les usages éphémères, transitoires et permanents comme étant en rivalité l’un contre l’autre : après tout, rien n’empêche qu’un bâtiment soit utilisé de manière transitoire avant qu’un collectif en hérite s’il vient à être donné.

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