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Une virée chez Robin Aubert

Conversation à 2km avec son père : se changer les idées plus de trois minutes et quart.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Tu dîneras avec nous autres si t’as le temps. Tu repartiras avec des oeufs frais. Tu me le feras penser, j’oublie toute. »

Robin Aubert m’écrit à la veille de mon départ vers ses terres à Ham-Nord, dans la région des Bois-Francs. Il accepte de me recevoir pour jaser un peu des savoureuses conversations téléphoniques avec son père à deux kilomètres de distance, qu’il publie depuis mars sur sa page Facebook.

Il a jusqu’ici partagé une vingtaine de ces haïkus du quotidien, devenus mon feuilleton pandémique favori.

En voici un au hasard, pour donner le ton.

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Ces conversations anodines faites de frigidaire à défroster, de la moustache rasée du proprio de la Coop ou de jour des poubelles manqué dissimulent – derrière le paravent de la banalité crasse – une tendre affection.

Et même si ces publications cartonnent moins qu’une vidéo de couple de Saint-Louis, armé d’estifis de guns pour chasser des manifestants qui déambulent devant leur manoir, elles fédèrent toutefois plusieurs dizaines d’assidus, avides de simplicité virtuelle tranquille.

La toute première conversation publiée en mars m’avait conquis davantage qu’une saison complète de La Petite Séduction.

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Le réalisateur d’À l’origine d’un cri me trouve bien motivé de me taper toute cette route pour parler des conversations avec son «pop».

Le réalisateur d’À l’origine d’un cri me trouve bien motivé de me taper toute cette route pour parler des conversations avec son «pop».

Il ignore évidemment qu’il s’agit là d’un habile prétexte pour sortir de la Ville, loin des débats sur le port du masque et du joug tyrannique de ma boss Barbara. Et tant qu’à faire du char, aussi bien me rendre chez quelqu’un dont j’admire le travail.

Je ne passerais quand même pas cinq heures au volant de ma rutilante Matrix 2008 pour aller papoter de statuts Facebook avec n’importe qui, sauf Lucie Laurier peut-être, si elle m’invite. Je ne sais pas si Lucie a des oeufs, mais si oui, elle doit les manger sur le plat.

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Premier constat: c’est loin Ham-Nord, une bourgade d’à peine 1000 habitants. La pancarte soulignant les 150 ans de la municipalité est encore visible à l’entrée, même si l’anniversaire remonte à 2014.

Au moins, la route est magnifique, sous un plafond bas de nuages gris. Parfois, au détour d’une route perdue de Saint-Christophe-d’Arthabaska, on débouche en pleine carte postale.

Je m’arrête deux-trois fois pour prendre des photos.

À la radio locale, l’animateur souligne les 20 ans du segment-vedette sur les avis de décès et annonce la création d’une nouvelle application pour amener le trépas au 21e siècle. Longue vie à vous, Info Décès!

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Mon GPS est possédé par Satan et me fait faire plusieurs détours. Il y a de la construction sur la 161, m’écrit à peu près au même moment Robin Aubert, qui me suggère de passer par Warwick ou Saint-Rémi-de-Tingwick. Je n’ai jamais entendu ces noms, sans doute des personnages du film Willow.

Voir Robin Aubert en chemise de chasse, c’est à peu près aussi surprenant que voir Dan Bigras en camisole en 1992 ou une fille de 21 ans au bras de Leonardo DiCaprio.

Je suis déjà allé à Ham-Nord par contre, une fois, justement pour documenter le tournage de l’excellent Les affamés, présentement sur Netflix côtoyant The Last Dance et Cliffhanger. J’étais tombé sous le charme de cette région vallonnée ou les tapis de tourbe d’un vert luxuriant poussent à l’ombre des forêts d’épinettes.

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La grange de Robin Aubert se dresse au bout d’une route en terre. Depuis mars, il a transformé cette écurie rustique qui lui sert d’ordinaire de studio d’écriture en refuge familial. Deux chevaux vivent leur vie dans leur enclos en bois, pendant que les poules caquètent en liberté sur le terrain.

Mon hôte m’envoie la main, vêtu d’une chemise de chasse. Voir Robin Aubert en chemise de chasse, c’est à peu près aussi surprenant que voir Dan Bigras en camisole en 1992 ou une fille de 21 ans au bras de Leonardo DiCaprio.

Canards et plants de tomates

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« Ça sera pas long, je dois nourrir les canards », me lance d’emblée Robin, avant de pitcher des graines à Capitaine Hulk, Ti-Fesse et Guépard, les volailles palmées baptisées ainsi par ses deux enfants.

Ces derniers, âgés de sept et trois ans, viennent de commencer le camp de jour et la garderie. Le plus jeune a fait une crise ce matin, ce qui stresse un peu les parents. Après trois mois de confinement, briser ce cocon familial doit être rough sur le petit. Leur fille, elle, n’a pas braillé, mais s’emmerde un peu au camp.

Les parents essayent de profiter de leur absence pour travailler sur leurs affaires. Julie Roy, la blonde de Robin, est aussi réalisatrice. Elle est d’ailleurs en pleine rencontre Zoom dans la roulotte garée près du bois.

Robin Aubert me fait faire le tour du proprio. Comme il ne court pas après les Kodaks et invite rarement les journalistes dans son antre de création, je me sens aussi important que lorsque Marie-Chantal Toupin m’a appelé « mon ami » à son show au Saint-Hub de Sorel-Tracy.

Comme il ne court pas après les Kodaks et invite rarement les journalistes dans son antre de création, je me sens aussi important que lorsque Marie-Chantal Toupin m’a appelé « mon ami » à son show au Saint-Hub de Sorel-Tracy.

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Robin Aubert a des miettes de je-ne-sais-quoi dans sa barbe très hirsute, mais je ne suis pas encore assez à l’aise pour lui en faire part. Il m’entraine dans son vieux bureau/véranda où se trouvent un vieux poêle et plusieurs plants de tomates sur un comptoir près de la fenêtre. « Je fais ça avec ma fille, elle prend ça vraiment à coeur », raconte fièrement le père, qui me guide ensuite à l’étage, où se trouve le « chaos familial ».

L’appartement consiste en une salle à manger, une cuisine et une pièce ouverte où trois matelas sont posés à même le sol (en ordre de grandeur, ce qui est très cute). Il y a une impressionnante collection de DVD aussi. La toilette est séparée par un paravent d’environ quatre pieds, ce qui m’aide à rapidement briser la glace.

Pendant que mon urine improvise le son d’une douce cascade, Robin Aubert me prépare un café sur le rond. « Quin, pour se rappeler qu’ils ont déjà eu de bons présidents », lance-t-il en me tendant une tasse à l’effigie de Lincoln.

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Une carte du monde géante trône sur le mur de la salle à manger. Robin adore voyager. Il s’est rendu plusieurs fois en Inde et aimerait faire un voyage en famille comme nous. Il est déjà vendu à l’idée, mais il doit convaincre sa blonde.

Pas de pression Julie, mais CE SERAIT LA PLUS BELLE CHOSE QUE TU RÉALISERAIS DE TOUTE TA VIE DE RÉALISATRICE.

Parfois, la petite famille retourne dans sa « vraie » maison à Pointe-Saint-Charles, le temps de faire quelques brassées de lavage. « Ici, on a juste le bain sur pattes », justifie Robin, qui trouve chaque fois un peu weird de faire des courses avec sa famille masquée sur la rue Wellington. Aucune file d’attente ne s’allonge devant les quelques commerces d’Ham-Nord, où la COVID demeure un concept flou.

Se changer les idées 3 secondes

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Pas le choix de lui parler un peu des conversations téléphoniques avec son père, la présumée raison de ma venue.

Robin Aubert n’a pas grand-chose à dire là-dessus. Il écrit ça pour passer le temps, garder la main ou avoir un peu de répit après avoir eu les enfants dans les pattes durant des mois. Il parle sinon avec son père chaque jour ou presque, mais ne rapporte pas toutes leurs discussions. Il ne déforme jamais la réalité non plus non plus pour avoir des clics. C’est pas mal ça.

«La semaine passée, une fille m’a écrit: hey, mon père s’est suicidé pis lire ça, ça me fait du bien», raconte-t-il.

C’est plus que ça en fait. « La semaine passée, une fille m’a écrit: hey, mon père s’est suicidé pis lire ça, ça me fait du bien », raconte-t-il, ajoutant avoir sinon de bien modestes intentions avec ces conversations. « Je ne veux rien faire avec ça, juste changer les idées du monde trois secondes et quart, c’est tout. »

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Son plan fonctionne. Nous sommes assurément plusieurs à lire ces correspondances épisodiques avec un sourire étampé dans la face.

Plusieurs à se réjouir pour Lise.

Pour le reste, le réalisateur de Saints-Martyrs-des-Damnés ne se berce pas d’illusions. Malgré de bonnes intentions et une certaine candeur observée au début de la pandémie, rien ne changera vraiment. Les avions seront à nouveau remplis, la vie reprendra comme avant. « Sauf peut-être tes câlisses de fraises, achète-les donc au Québec! », rugit-il, fondant quelques espoirs dans cet appel à la consommation locale.

Si le monde ne change pas, Robin Aubert a entrepris de changer un peu le sien. Il a commencé à faire les sucres, cultiver des semis, en plus des rides en quatre roues avec sa fille à la recherche de nouveaux terriers.

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Si le monde ne change pas, Robin Aubert a entrepris de changer un peu le sien. Il a commencé à faire les sucres, cultiver des semis, en plus des rides en quatre roues avec sa fille à la recherche de nouveaux terriers. Il se qualifie lui-même de « jardinier du dimanche» et de «gentleman farmer», mais ne s’empêche pas d’essayer des affaires.

Il travaille aussi, sur un nouveau projet, mais il refuse que j’en parle ici pour ne pas jinxer la patente. Faites-moi boire et je vous révèle tout.

Paradoxalement, Robin Aubert vient d’une fratrie de cinq et se considère peut-être le moins proche du paternel Jacques, l’autre protagoniste des conversations téléphoniques à 2km de distance. « Le fait d’avoir des enfants m’a rapproché de lui. Ces conversations, c’est toujours du sous-texte », souligne Aubert, qui confie adorer le small-talk.

Au-delà des histoires de Coop et de lointaines parentes mortes de la grippe espagnole, on devine facilement la tendresse qu’il ressent envers son père, qui habite à deux kilomètres (peut-être 3 finalement, ajuste Robin).

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Une conversation live avec son père

Le cinéaste décide de m’offrir une version live de leur conversation en invitant son père à venir dîner, une grande première depuis mars. « Oui? Veux-tu venir faire un tour? J’ai mis des saucisses sur le grill et une papillote de choux-fleurs », explique le fils au bout du fil, pendant qu’une poule tourne autour du BBQ.

En raccrochant, il m’offre un verre de La Fourche fourchue, une rousse locale. L’alcool me donne envie de fumer des clopes. Bonne nouvelle, Robin aussi, des Marlboro Light en plus. Ça commence à nous faire pas mal de points en commun, en plus du fait qu’on est nés tous les deux un 13 mai et qu’on est parmi les plus beaux hommes du Québec.

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Robin l’ignore, mais j’ai déjà pris rendez-vous pour nous faire tatouer «namaste» sur l’avant-bras, avant d’aller à la rivière «néyer» pour le fun des portées de mulots dans des sacs de jutes comme le font assurément les gens du coin.

Chaque chose en son temps. Là, on sirote une bière en attendant son pop et Julie vient de finir son interminable meeting Zoom. « Moi je suis full Rive-Nord, mais j’adore ça ici. Je trippe sur les animaux », raconte cette native de Rosemère, qui pleure encore le départ de leur chat « Deux-oeufs-bacon », disparu dans le bois il y a plusieurs semaines déjà.

«Je suis un gars de la campagne à Montréal et un gars de la Ville ici.», résume-t-il

Robin aussi adore sa vie ici. Et même s’il a grandi dans le « chalet familial », il sait aussi qu’il ne sera jamais vraiment considéré un gars de la place. « Je suis un gars de la campagne à Montréal et un gars de la Ville ici », résume-t-il, en citant un passage de Saints-Martyrs-des-Damnés.

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Jacques Aubert débarque enfin, coiffé d’une casquette beige et avec des lunettes soleil qu’il ne retirera pas souvent. Des problèmes avec ses yeux me dit-on.

Cet homme d’affaires prospère à la retraite, qui a énormément voyagé avec sa famille, mais aussi pour le travail, n’a pas grand-chose à raconter sur son premier rôle dans les épisodes virtuels de fiston. Il est au courant, note-t-il. « C’est exactement ce qu’on se dit, on se parle de même. Mais on se parle plus souvent que ça quand même », analyse-t-il, en s’ouvrant une canette de Pilsner.

Le dîner est servi. On mange, avec Julie. On rit un peu des choux-fleurs al dente de Robin. J’ai jamais vu l’accord choux-fleurs/saucisse mis de l’avant avec autant d’amour dans une assiette. Robin me ressert des choux-fleurs, en y allant au passage d’un commentaire grossophobe du genre: quin baquet, ça te fera pas de tort.

Je passe l’éponge, prêt à lui pardonner ben des affaires pour ses rôles-cultes dans les Invincibles et Radio Enfer.

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Après le lunch, on fume une cigarette sur le balcon. La vue est superbe avec les arbres qui s’étendent à perte de vue. Le père et le fils échangent quelques souvenirs, notamment de la fois où Jacques a fait entrer son fils dans une compagnie comme psychologue industriel. « J’étais un imposteur », admet l’usurpateur. Jacques parle de sa soupe aussi, la meilleure au monde, parait-il.

Le paternel termine sa bière. Il doit y aller. Il a des choses à faire. Moi aussi, je dois rentrer.

En sortant, on croise Serge, le palefrenier qui s’occupe de la grange en l’absence de Robin et Julie. Un autre gars doit passer en après-midi pour faire les sabots des chevaux.

Avant de partir, Robin me donne trois plants de tomate et une douzaine d’oeufs frais de grosseurs variables pondus par ses poules. Il n’a pas oublié finalement.

Je me suis fait trois sandwiches avec le lendemain, savourant encore cette courte escapade à Ham-Nord, mais surtout la satisfaction d’avoir transformé des conversations téléphoniques à deux kilomètres de distance en une visite autour d’une bière et d’une papillote de choux-fleurs.