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Hugo Meunier : un autre qui a «tout quitté» pour faire le tour du monde

Odyssée en pantalon à zip.

Par
Hugo Meunier
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MUMBAI – « La seule chose que je ne veux pas lire, c’est que les enfants, même s’ils sont pauvres, sont heureux pareils parce qu’ils ont l’essentiel. »

Je paraphrase, mais c’est en gros la seule consigne que m’a donnée la rédactrice en chef d’URBANIA Barbara, avant de m’adouber « envoyé spécial » en Asie, où je vais documenter un périple en famille de plusieurs mois.

Bref, j’ai carte blanche.

Tel un jeune Bruno Blanchet moins expatrié, mais plus encombré, j’entame donc ces récits de voyage dans un café qui essaye de se prendre pour Starbucks, dans le quartier Colaba à Mumbai.

Leur latté est infect, mais ça m’apprendra à snober le chai, en vente dans les étals érigés sur chaque coin de rue.

C’est le Jour de la République aujourd’hui, une fête nationale importante. Plusieurs commerces semblent fermés. Les klaxons des voitures, qui rugissent sans relâche dès les premières lueurs du jour, font relâche aussi on dirait.

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On crève. Je ne vous ferai pas chier avec ça souvent, promis, mais on parle ici de chaleur moite de catégorie « spots en d’sour des bras en permanence ». Et encore, c’est l’hiver.

On crève. Je ne vous ferai pas chier avec ça souvent, promis, mais on parle ici de chaleur moite de catégorie « spots en d’sour des bras en permanence ». Et encore, c’est l’hiver.

Un bébé, mignon à croquer, titube pieds nus vers ma table en m’implorant de ses grands yeux noirs. Sa mère, frêle adolescente en sari, mime la faim depuis le trottoir, en pointant l’enfant. L’employée du café, même âge que la mère environ, sort aussitôt enguirlander la maman, qui remballe son bébé en le levant de terre d’un seul bras.

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On ne dérange pas les clients. Encore moins s’ils sont blancs.

Je me console de ce spectacle crève-cœur en me disant qu’au moins ce bébé a une maman qui s’occupe de lui et du soleil (ok j’arrête Barbara).

Un joueur de flûte prend le relais. « Cheap cheap », répète-t-il en me pointant ses instruments à vendre, qu’il trimballe dans un sac en plastique transparent.

« Sorry no no », que je réponds avec un haussement d’épaules de gars désolé. Il n’insiste pas. Même lui ne doit pas trouver que j’ai l’air d’un flûtiste.

De l’autre côté de la rue, une dizaine d’ouvriers jouent bruyamment de la drille, de la pioche et de la pelle dans une maison en ruine aux façades jaunes. L’employée du café monte drastiquement le son de sa musique hindi-pop. Les haut-parleurs grichent. J’en profite pour rejoindre ma famille à l’hôtel, en train de faire l’école. C’est samedi, mais les enfants ont une journée à reprendre, après s’être frauduleusement octroyés un congé cette semaine, à cause de la tempête au Québec.

L’école « à la maison ».

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Qui sommes-nous?

Au fait, un peu de contexte s’impose avant d’aller plus loin.

Nous sommes une famille montréalaise plutôt sympathique, ayant décidé de tout sacrer là pour faire le tour de l’Asie durant environ sept mois.

Notre parcours n’est pas encore arrêté (nous avons pris un aller simple), mais il devrait traverser l’Inde, le Sri Lanka, le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, le Japon et même Hawaï s’il nous reste de l’argent ou si une tribu primitive non-évangélisable ne nous a pas criblés de flèches quelque part.

Nous ne sommes pas des hippies (sauf ma blonde qui porte encore des bijoux en bois), ni des gens riches, nous avons seulement décrété que ce projet supplantait en importance tous les autres.

Il y a d’abord Simone, six ans, dont les moments forts jusqu’ici sont nos cinq jours d’escale à Paris en trottinette avec sa cousine Margot et la piscine de notre hôtel indien. Elle a été très excitée de voir des singes, mais bouleversée chaque fois qu’on traverse la rue où on se sent comme dans le jeu Frogger (Google!). Tout le monde veut se faire photographier avec elle aussi.

Très instagrammable.

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Victor, dix ans, impressionne. Il est curieux, se débrouille en anglais et ose la bouffe locale. Par contre, le sevrage en Wifi s’annonce difficile pour cet esclave de Fortnite.

Martine a démissionné d’un poste d’enseignante au primaire, mais elle garde la main en donnant environ deux heures d’école par jour aux enfants. On est un couple depuis l’époque où Bruce Willis et Demi Moore sortaient encore ensemble, mais on s’endure pareil.

Cette force de la nature au rire insupportable a terrassé un cancer il n’y a pas si longtemps. Ce voyage était dans les cartons depuis toujours, mais cet épisode merdique l’a coulé dans le béton.

Cette force de la nature au rire insupportable a terrassé un cancer il n’y a pas si longtemps. Ce voyage était dans les cartons depuis toujours, mais cet épisode merdique l’a coulé dans le béton. Comme une manière d’avoir le dessus sur la maladie et lui dire : « je pisse sur ta tombe. » Nous avons voyagé une première fois en Inde quelques mois il y a quinze ans, au nord du pays. C’est son idée de revenir, après avoir eu autant de fun que Julia Robert dans Eat, Pray, Love.

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J’étais pour ma part reparti en faisant des fingers au peuple indien, excédé par la sollicitation permanente, les foules, la pollution et les mots « I have a cousin in Toronto » ou « Just looking is free ».

Parce que non viarge, just looking is NEVER free!

Mais bon, on a passé une journée avec le compatriote, auteur et un peu ami Frédérick Lavoie – qui habite Mumbai depuis plusieurs années – et il nous a raconté que l’ambiance du sud était moins étouffante.

Les nouveaux arrivants, avec Frédérick Lavoie.

Jusqu’ici, c’est vrai.

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En plus d’avoir traumatisé mes enfants avec la véritable histoire du dieu Ganesh, Fred m’a aussi encouragé à lire les journaux locaux, dont la couverture insolite regorge de bijoux. Mercredi, par exemple, le journal DNA consacrait sa manchette (avec photos) à deux samaritains qui ont sauvé un singe électrocuté d’une mort certaine.

C’est quand même toujours dépaysant l’Inde. Les odeurs (immondes ou parfumées), les sons, les couleurs : la vibe m’est revenue en pleine face dès l’atterrissage. Et cette fois, j’ai aimé ça.

Danger : passage introspectif

Avant de partir, j’ai aussi démissionné de ma job, dans un média. Un poste pas pire payant même. J’étais juste pas sur mon X et ce projet tombait à point. Oui c’est cliché d’avoir 40 ans et se remettre en question, mais c’est quand même ça qui est ça. Ce pas de recul m’aidera à reclasser hiérarchiquement ce qui est insignifiant et ce qui l’est moins.

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Dans cinq ans, mon fils fumera en cachette et le trainer dans un chalet une fin de semaine représentera sans doute à ses yeux un supplice pire que l’écartèlement de Mel Gibson dans Braveheart. C’était donc maintenant ou jamais qu’il fallait mettre notre projet à exécution.

Oui c’est cliché d’avoir 40 ans et se remettre en question, mais c’est quand même ça qui est ça. Ce pas de recul m’aidera à reclasser hiérarchiquement ce qui est insignifiant et ce qui l’est moins.

Ah et je veux en profiter pour me désintoxiquer un peu aussi. De Facebook entre autres. Je dois d’ailleurs me faire violence pour pas inonder mes Instagram et Facebook des merveilles qui m’entourent ou d’aller flâner sur les vôtres quand je fais de l’insomnie à cause du décalage. Les photos d’activités hivernales MALGRÉ LE COCKTAIL MÉTÉO, les commentaires de gens fâchés parce que Catherine Dorion fait quoi que ce soit ou les éloges sur District 31 : la tentation est forte.

Ça change des intrigues de Luc Dionne.

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Mais comme dit l’adage hindou, admettre notre impuissance et la perte de contrôle devant le problème est la première étape menant à la guérison. C’est peut-être un truc des AA finalement.

À ma défense, c’est mon premier voyage du genre avec de la technologie et j’avoue que la facilité avec laquelle je peux rester connecté me sidère.

«Pis, fait chaud?», me demandait hier avec désinvolture une amie, sans le moindre égard pour les onze fuseaux horaires qui nous séparent. J’ai même reçu de ma belle-sœur Mimi 40 secondes de Summer of 69, pendant le show de Brian Adams à Québec.

Comme si cet accès facile diminuait la teneur ou la richesse d’un moment que t’es censé avoir mérité après t’être tapé quinze heures d’avion.

Enfin, je vais m’ajuster et cesser bientôt de raisonner comme une vieille personne encore mêlée devant un guichet automatique, juré.

C’est déjà super bien parti pour nous en plus.

Comme dit l’adage hindou, admettre notre impuissance et la perte de contrôle devant le problème est la première étape menant à la guérison. C’est peut-être un truc des AA finalement.

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Hier, on a visité le bidonville en vedette dans le film Slumdog millionnaire, où s’entassent plus d’un million de personnes (deuxième plus grand en Asie). C’était fascinant de voir les gens s’organiser et survivre dans de telles conditions. La résilience dans toute sa splendeur, prenant racine entre des murs de tôle et les dédales de ruelles boueuses.

Surtout que le meilleur s’en vient pour nous, un work in progress d’imprévus et de points d’interrogation. Le luxe d’entamer la seconde moitié de ma vie sans voir plus loin que le prochain chai ou ma prochaine confrontation avec fiston, qui a spotté son premier McDo.

Point de repère.

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Pour faire diversion, j’ai rebaptisé le jeu « Jean-dit » en « Gandhi ». Je me lâche lousse, le débat sur l’appropriation culturelle n’est pas encore rendu ici.

Namaste.

*

Même si ça fait 2005, nous avons un blogue. En fait, nous y laissons surtout la parole aux enfants à qui nous corrigeons simplement les fautes, puisqu’ils écrivent encore comme des sympathisants de La Meute. C’est ici si ça vous intéresse.