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Une vingtaine d’emplois en restauration en une petite heure de marche

La pénurie de main-d’oeuvre s'affiche partout partout partout.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Le déconfinement ramène sur la sellette la pénurie de main-d’œuvre, qui menaçait déjà plusieurs secteurs d’emploi partout au pays avant la pandémie. J’avais d’ailleurs mené à la fin de l’Ancien Monde une petite expérience pour témoigner de cette crise de l’intérieur, en postulant à 25 endroits au cours d’un trajet à pied jusqu’au bureau.

Alors que la COVID-19 était à son plus fort, on a maintes fois entendu parler de ces employeurs qui peinent à recruter du personnel, en raison de la PCU, puisqu’elle offrait un revenu supérieur ou presque équivalent à celui d’un boulot au salaire minimum.

Avec le retour des terrasses et de la zone orange, cette pénurie frappe aussi durement le milieu de la restauration — grandement affaibli par des mois de fermeture — qui doit maintenant faire des pieds et des mains pour être prêt à accueillir leur clientèle.

pas besoin d’une longue enquête pour se rendre compte que les besoins sont criants.

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J’ai donc à nouveau tenté une petite expérience pour en rendre compte de manière concrète en faisant une recension du nombre d’emplois offerts dans les restaurants et cafés de mon quartier en une petite heure de marche (soit un aller-retour sur la promenade Masson entre les boulevards Pie-IX et Iberville).

Cuisinier.ère, plongeur.se, serveur.se, barista et même tourier.ère (en pâtisserie): j’ai donc facilement identifié une vingtaine d’emplois disponibles et pas besoin d’une longue enquête pour se rendre compte que les besoins sont criants.

En plus, j’ai seulement ciblé les endroits qui affichent une offre d’emploi dans la vitrine. Possible que certains endroits tentent plutôt de recruter du personnel par le truchement des réseaux sociaux ou sur des pages comme Staff de bar & resto Montréal (l’un n’empêche pas l’autre).

«On met une affiche ou une annonce sur les réseaux sociaux, on reçoit plein de cv pour le plancher».

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J’ai fait un premier arrêt au populaire restaurant Pot-Masson, où on cherche un.e cuisinier.ère et un serveur.euse. «Le problème, c’est dans les cuisines, parce que dès qu’on met une affiche ou une annonce sur les réseaux sociaux, on reçoit plein de cv pour le plancher», constate l’assistant-gérant Mathieu Boulanger, dont l’établissement est néanmoins capable de fonctionner dans les circonstances. «On a du staff qui fait beaucoup d’heures, mais ça ne nuit pas aux opérations», résume-t-il, pendant que plusieurs clients profitent du soleil sur la terrasse un lundi après-midi.

À l’heure actuelle, seules les terrasses sont ouvertes dans la grande région de Montréal. Le vrai test débutera lorsque les salles à manger accueilleront à leur tour des clients, puis ensuite lors de la levée des restrictions limitant le nombre de personnes (dans le resto et à une table).

Cette idée de fonctionner à plein régime risque de donner des maux de tête à certains restaurateurs. «Ce qu’on anticipe, c’est une réduction dans les horaires. La capacité d’accueil réduite durant la pandémie risque aussi d’être maintenue. Ça donne rien d’ouvrir à pleine capacité ainsi, si t’es pas en mesure de servir tout le monde», affirme le vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ), François Meunier.

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Ce dernier confirme aussi la difficulté d’embaucher du personnel en cuisine pour les restaurateurs. Une raison bien simple explique ce déséquilibre: le pourboire. «On pense que toute l’équipe (et pas seulement les serveurs.euses) devrait profiter de la performance de l’entreprise et de la qualité du service», explique François Meunier, d’avis qu’il faudrait modifier la Loi sur les normes du travail pour réduire l’écart entre le salaire des employé.e.s sur le plancher et ceux en cuisine (environ 10$ de l’heure). À l’heure actuelle, la redistribution du pourboire avec les employé.e.s des cuisines demeure à la discrétion des serveurs.euses.

«En restauration, 50% de nos travailleurs ont moins de 25 ans et ce groupe d’âge se réduit d’année en année.»

Dans ce contexte, pas évident d’attirer des employés en cuisine, surtout en sachant que les offres d’emplois pullulent dans pratiquement tous les domaines. «Il y a entre 13 et 15 000 emplois à combler en restauration, mais environ 150 000 postes vacants un peu partout au Québec», calcule le VP de l’ARQ, qui impute d’abord le phénomène à un enjeu démographique. «En restauration, 50% de nos travailleurs ont moins de 25 ans et ce groupe d’âge se réduit d’année en année. Il y a plus de gens qui quittent que de gens qui entrent dans le marché de l’emploi», résume François Meunier.

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Ceux qui décident d’enfiler un tablier ont l’embarras du choix et le bon bout du bâton. Les employeurs doivent se montrer très attrayants pour les séduire, encore plus pour les retenir. «Il y a du maraudage, de la surenchère. Des gens se font voler des travailleurs pour quelques centaines de dollars par année. Les gens sont très sollicités, mais il faut composer avec la réalité. Les employeurs ne peuvent pas juste offrir du 9 à 5», souligne François Meunier.

Devant l’opulence des jobs disponibles, ce dernier observe un exode du personnel en restauration vers des secteurs plus payants. «On voit beaucoup de monde partir en construction ou dans les assurances. On ne peut pas reprocher ça à des gens qui ont passé des mois dans l’incertitude. On ramasse les pots cassés de la pire crise sanitaire de l’histoire et celle de la main-d’œuvre est la prochaine», prévient François Meunier.

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Derrière le comptoir de l’emblématique casse-croûte La Corvette, le proprio peste contre son sort. Tous les écueils énumérés plus haut, il les vit au quotidien. «Tout le monde a le même problème. Les gens magasinent des jobs ou ne sont pas fiables. Une fille vient de me laisser tomber avant même de commencer…», soupire le patron, qui cherche quelqu’un en cuisine et une serveuse avec de l’expérience. «On parvient à fonctionner parce que mon gars, ma femme et moi travaillons plus», soupire l’homme derrière son comptoir depuis près de 25 ans.

Inutile de marcher longtemps sur Masson pour s’enfarger dans les emplois disponibles.

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Inutile de marcher longtemps sur Masson pour s’enfarger dans les emplois disponibles. Un.e plongeur.se et un cuisiner.ère au Copain d’abord, une serveuse au Pizza 2 pour 1, plusieurs postes chez McDo, une serveuse d’expérience au Planète Oeuf, du staff en cuisine au Quai no.4, sans oublier des «personnes fantastiques» chez Subway. Rien de moins.

Je ne sais pas si la brasserie artisanale La succursale embauche présentement, mais j’aimerais travailler là juste pour profiter de la qualité de leur jeu de mots.

—Hey, tartare encore à matin mon Hugo!

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La vie est courte et je vois d’ici un monde de possibilités s’ouvrir devant moi.

Bref. La fin des classes risque d’attirer quelques étudiant.e.s, qui de toute évidence n’auront pas à mettre leur CV à jour pour rien encore cette année. La balle est dans leur camp en tout cas. «Pour plusieurs, juste le fait d’aller travailler c’est surtout une question de santé mentale», note François Meunier.

En attendant, soyons au moins indulgents avec le staff en restauration cet été. Parce que si nous voyons enfin la lumière au bout du tunnel, leur milieu est encore loin d’être sorti du bois.