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«Nous embauchons»: j’ai postulé pour 25 emplois en une semaine
5,5 kilomètres. C’est la distance entre le bureau d’URBANIA et mon manoir rosemontois. Une marche d’un peu plus d’une heure, via l’avenue du Mont-Royal et l’intemporelle promenade Masson.
Bref, mon terrain de jeu pour mener une petite expérience sur la pénurie de main-d’œuvre qui frappe durement le pays (incluant le Québec) : combien de jobs pourrais-je potentiellement me trouver durant ce court trajet?
Ma démarche : distribuer un CV (un peu falsifié) dans tous les commerces où j’apercevais une offre d’emploi placardée bien en évidence dans la vitrine.
J’ai donc abandonné vingt-cinq CV (sur une trentaine d’endroits qui embauchaient) et attendu que la magie opère.
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En l’espace d’une semaine, j’ai eu sept demandes d’entrevues.
En l’espace d’une semaine, j’ai eu sept demandes d’entrevues : dans une boulangerie, un dépanneur, deux épiceries, un quincaillier, une boucherie et un McDo, sans compter plusieurs promesses d’embauche on the spot en allant poser ma candidature.
C’est le quincaillier Rona de la rue Masson qui se mérite la palme de l’employeur le plus enthousiaste, pour m’avoir téléphoné quelques secondes à peine après avoir abandonné un CV dans sa succursale. « On aimerait te rencontrer en entrevue lundi à 14h », m’a dit un sympathique gérant, en quête d’un conseiller-vendeur à temps plein dans le département de la plomberie.
Salaire annuel : 26 à 32 000$, selon mon expérience.
Pas mal, mais disons que j’ai l’embarras du choix, à l’heure où 140 420 postes sont vacants au Québec, selon les dernières données disponibles de l’Enquête sur les postes vacants et les salaires de Statistique Canada. Des emplois disponibles dans pratiquement tous les domaines, dont environ 35% ne requièrent aucune scolarité.
Mais ça, on en parlera une autre fois. Laissez-moi vous raconter comment ma recherche d’emploi s’est déroulée.
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Quelques entrevues, quelques remords
Sur les sept retours d’appels reçus, je me suis présenté à trois entrevues formelles, armé de ma légendaire soif de vivre et de quelques remords à l’idée de faire perdre leur temps aux commerçants ciblés malgré eux pour cette enquête.
C’était, à mon sens, le prix à payer pour comprendre un peu comment se vit la pénurie de l’intérieur.
« Énormément! C’est l’enfer! », tranche-t-elle lorsque je lui demande si elle a de la misère à recruter du personnel.
Difficilement, à en juger par les yeux écarquillés de la gérante d’une boulangerie Première Moisson qui me rencontrait pour un poste de commis-vendeur. « Énormément! C’est l’enfer! », tranche-t-elle lorsque je lui demande si elle a de la misère à recruter du personnel.
Elle mentionne avoir eu vent d’études affirmant que la situation devrait s’étirer encore au moins cinq ans, le temps que la génération du mini baby-boom (née entre 2006 et 2010 environ) débarque en renfort sur le marché du travail.
C’est sans compter « l’hécatombe démographique » qui amputerait d’environ 400 000 le nombre de Québécois âgés de moins de 45 ans depuis trois décennies.
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Bref, pas étonnant dans de telles circonstances que la gérante de la boulangerie peine tant à pourvoir plusieurs postes, dont le temps complet à 12,44$ (salaire minimum) de l’heure pour lequel j’ai postulé.
Elle m’explique même avoir dû réduire ses heures d’activités tellement la situation est critique. « Avant on fermait à 21h les samedis et dimanches, mais là c’est plus tôt », souligne-t-elle, avant de me poser une liste de questions sur mes disponibilités. Soirs? Fin de semaine? Noël (la journée la plus achalandée de l’année)?
Elle me demande si je suis prêt à commencer mon training le lendemain matin. Pris de court, on deale pour un premier shift dimanche. Quelques heures plus tard, je reçois mon horaire détaillé de 40 heures par courriel.
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La tournée du magasin
J’ai laissé le premier CV de cette expérience au marché Tradition qui se trouve juste à côté des bureaux d’URBANIA. J’aurais dû me garder une gêne, puisque je n’ai pas osé remettre les pieds sur place pour m’acheter un respectable croissant jambon-fromage depuis la longue entrevue d’embauche que m’a généreusement accordée le chaleureux propriétaire de l’endroit.
« J’ai une bonne pile de CV pour du temps partiel, mais je cherche quelqu’un de solide qui a de l’expérience. »
Dans son bureau au sous-sol, au fond d’un dédale de boîtes et de marchandises, il m’avait alors vanté le côté « petite entreprise », avec une équipe d’employés loyaux (un des commis est là depuis 44 ans) et de l’esprit de famille qui règne. « J’ai une bonne pile de CV pour du temps partiel, mais je cherche quelqu’un de solide qui a de l’expérience. »
Après une visite complète des lieux, il me demande quand je peux commencer.
Il me donne rendez-vous le lendemain matin pour quelques jours d’essai. « Ensuite, on verra, mais on va te trouver des heures si tu veux travailler ».
Je quitte en me sentant comme de la marde. Je l’appelle en fin de journée pour lui dire avoir trouvé autre chose.
« Pas de problème Hugo, merci d’avoir appelé. »
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Expédition de CV
Pour le reste, voici en rafale un résumé de mon pèlerinage de CV, qui s’était déroulé par un après-midi pluvieux.
Si un jeu pour boire de type « cale un shooter chaque fois que tu vois une offre d’emploi » existait, je serais ivre rapidement.
Premier constat : plusieurs commerces avec des affiches « Nous embauchons » se trouvent côte à côte. Si un jeu pour boire de type « cale un shooter chaque fois que tu vois une offre d’emploi » existait, je serais ivre rapidement.
La première boutique, Cool & simple, semble avoir des besoins à temps plein et partiel dans ses cinq adresses à Montréal, selon un jeune employé.
« Donne-moi ton CV », me dit sèchement le gérant du restaurant Sushi voisin, où un serveur(se) est demandé.
T’sais, ce feeling quand tu sais que t’auras pas la job.
Au magasin d’électronique où un commis-vendeur est demandé, l’employé s’engage – entre deux bouchées d’une pizza qui sent terriblement bon – à remettre mon CV à son gérant le lendemain.
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Même chose au magasin de cuir, à La Soupière et au café voisin. « Bonne chance! », me lance l’ado du café Bébé là là, ajoutant que l’endroit est l’fun à travailler.
Pour le poste d’assistant-gérant de l’Aubainerie, le gars sur le plancher semble confiant de me donner des nouvelles d’ici la fin du mois.
Au magasin de chaussures Rubino, la gérante me demande si je parle anglais et si j’habite dans le coin. « Es-tu prêt à commencer maintenant? », ajoute-t-elle.
Plusieurs commerçants m’ont demandé la même chose d’ailleurs.
À la boutique de chaussures Jona Chloe, on me fait passer une entrevue on the spot. « Es-tu Canadien? », me demande la gérante avant de partir, sans s’étendre sur le sujet.
« Euh… j’ai grandi à Saint-Eustache… »
De l’autre côté, à La maison du rôti, un gérant me rappellera quelques jours plus tard pour une job à la réception.
J’attends toujours un retour de l’épicerie Valmont par contre, où jouait la chanson La vallée de Dana à mon passage, ce qui est clairement une invitation.
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À la lunetterie Milot de la rue Masson, l’employée au comptoir promet de remettre mon CV entre de bonnes mains, pour le poste d’assistant/optométriste.
Inspiré par Donald Brashear, je me présente ensuite au Tim Hortons voisin, où plusieurs postes sont à combler. Dans un français approximatif, l’employée va voir son gérant, revient me demander mes disponibilités, repart, puis revient. « Parfait, il va vous appeler rapidement. » STLL WAITING!
« Nous embauchons », peut-on lire sur la grosse enseigne laissant miroiter plusieurs postes chez Rona, où je me suis présenté en entrevue quelques jours plus tard. Pour décrocher le poste dans le département de la plomberie, on m’a remis deux tests, un avec des situations et un à choix multiples.
Au moment de publier, je n’ai pas eu de nouvelles.
J’aurais peut-être dû moins botcher les tests.
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« Peux-tu venir tantôt avec ton # d’assurance sociale », m’a texté le gérant.
De l’autre côté de la rue, la fruiterie Citron que c’est bon m’a rappelé deux jours plus tard pour le poste à temps partiel dans la charcuterie. Même chose pour le Provi-soir qui a besoin d’un caissier pour le shift de soir (16h à minuit) et fin de semaine, au salaire minimum, un horaire de schnoutte n’ayons pas peur des mots. « Peux-tu venir tantôt avec ton # d ’assurance sociale », m’a texté le gérant.
Pas de nouvelles encore du Planète œuf, mais la succursale McDonald’s au coin de la rue Iberville, où plusieurs employés sont demandés, s’est finalement manifestée à la veille de publier ce texte. « Êtes-vous disponible en tout temps? », m’avait demandé le gérant sur place.
« C’est sûr qu’on va vous appeler », me dit sinon avec aplomb l’employée du magasin à un dollar, en quête d’un commis étalagiste.
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Malgré plusieurs options intéressantes, je vais rester encore un peu chez URBANIA, d’abord parce qu’ils me donnent un salaire dans les six chiffres.
Mais disons que ça enlève un stress quand même de savoir que je pourrais me trouver sept jobs en aussi peu de temps.
La semaine prochaine – Du client-roi à l’employé-roi : comment les entreprises s’adaptent à la pénurie de main-d’œuvre.