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Vivre dans son VR, d’un stationnement de Walmart à l’autre
« Il n’y a pas de problème, mais vous devez vous stationner dans le fond du stationnement », mentionne au bout du fil une sympathique employée -que dis-je associée! – du Walmart de Sainte-Agathe-des-Monts, lorsque j’ai appelé pour demander s’il était possible d’utiliser leur asphalte comme terrain de camping pour mon VR imaginaire. « Oui, oui, il y a toujours du monde! », lance-t-elle avant de raccrocher.
L’affluence observée il y a quelques jours dans le stationnement du Walmart de Rivière-du-Loup n’était donc pas un phénomène isolé. C’est ce que je voulais vérifier avant d’aller plus loin, en pleine période de vacances de la construction, à l’heure où les campings débordent et où la plupart des voyageurs sont coincés dans la Belle Province à cause des restrictions toujours en vigueur.
Au volant de ma rutilante Matrix 2006, je suis parti à la chasse aux véhicules récréatifs (VR) dans des stationnements de Walmart ou autres endroits permettant d’y passer la nuit gratuitement. Une façon économique de voyager, à condition d’être constamment sur la route, puisque l’hébergement temporaire des VR ne semble permis que pour une nuit ou deux maximum au même endroit.
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J’ai d’abord mis le cap au Walmart de Sainte-Agathe-des-Monts dans les Laurentides mardi matin, pendant qu’un crachin se mêlait au smog des derniers jours.
« T’arrives trop tard, il y en avait six ce matin! », m’informe Nicole au bout de ces 110 kilomètres de route, au moment même où un VR quitte le stationnement avec une petite famille à bord.
Pas de panique, Nicole m’invite à prendre place sur une banquette coussinée dans celui qu’elle partage avec son mari Alonzo. Le couple voyage en compagnie de leur amie Francine et le petit équipage se prépare à reprendre la route. « Pas juste notre amie, notre ange-gardienne! Quand on a des désaccords, elle tempère! », louange Alonzo au sujet de l’amie Francine.
Le trio parti de Québec revient d’Amos, où ils ont rendu visite à plusieurs membres de la famille nombreuse de Nicole. « J’ai 13 petits-enfants que je n’avais pas vu à cause de la pandémie », confie la grand-mère maintenant comblée, qui a l’habitude des parkings de Walmart avec son mari.
Mais ce que le couple préfère, c’est écumer en VR les festivals country de la province. « On aime faire des petits arrêts et bouger, mais la pandémie va peut-être modifier nos destinations, puisque voir notre famille est la priorité », souligne Nicole.
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Le périple en cours a mené le petit groupe à Ottawa, Maniwaki, au réservoir Baskatong, à Amos et Sainte-Agathe. Le motorisé devrait passer la prochaine nuit dans le stationnement du Walmart de Terrebonne ou Mascouche, après avoir d’abord fait un arrêt chez une amie à Saint-Jovite.
Pour les petits déplacements, le VR trimballe à l’arrière une voiture, en plus des vélos. En dehors des espaces asphaltés de la famille Walton, ces adeptes connaissent plusieurs destinations où abandonner légalement leur VR. « Il y a toujours moyen de moyenner », résume Alonzo, pour qui la clé demeure le savoir-vivre. « Il faut avoir du respect envers ces commerces ou endroits qui ont l’amabilité de nous héberger », plaide-t-il.
Sa femme déplore que certains laissent trainer leurs déchets avant de repartir (allo les touristes en Gaspésie l’an dernier!), ce qui a pour effet de ternir la réputation de l’ensemble des adeptes de VR. « C’est rare, mais on a constaté ça en arrivant hier soir et je vais aller ramasser avant de partir », soupire Nicole, en pointant à travers la fenêtre une pile de déchets abandonnés sur le seul bout de pelouse du stationnement.
Le couple estime sinon faire sa part pour encourager l’économie des endroits visités. La preuve, Nicole se préparait à aller « consommer un peu » au Walmart avant mon arrivée. La coquine!
Dormir derrière l’hôtel de ville
Les parkings du géant mondial du commerce au détail n’ont pas le monopole de l’escale VR.
En jasant avec des membres de cette communauté tissée serrée, on découvre un monde fait d’adresses et de secrets bien gardés. On réalise que les possibilités pour éviter les campings sont légion. Il y a les villages-relais, les gares/terminus, les haltes routières, les stationnements de plusieurs commerces et l’arrière-cour de certains hôtels de ville.
Celle de Saint-Sauveur était particulièrement achalandée à mon passage en fin d’avant-midi.
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À l’ombre de deux VR, la Sherbrookoise Johanne Paré boit son café relax sur une chaise de camping, en furetant sur sa tablette électronique. « On est sur le retour, mon mari a de la famille à Mont-Laurier et on aime beaucoup Saint-Sauveur », raconte cette retraitée qui sillonne les routes en VR depuis une vingtaine d’années, pour justifier son escale ici.
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«J’aime pas les campings, je préfère passer une nuit ou deux à un endroit et voir du pays»
Elle explique que la pandémie et les campings pleins n‘ont rien à voir avec sa façon de voyager. « J’aime pas les campings, je préfère passer une nuit ou deux à un endroit et voir du pays », souligne la grand-mère de sept petits-enfants, qui a aussi souvent garé son VR dans des stationnements de Walmart, aux États-Unis notamment. « On a deux réservoirs pour l’eau potable, la douche et la toilette. On arrête dans des stations de vidange sur la route et on n’a pas besoin d’aller dans des campings, on est autonomes! », résume Johanne, qui prévoit aller se promener à pied dans le village de Saint-Sauveur à un jet de pierre de l’endroit. « Les gens qui dorment ici jasent entre eux et sont très respectueux. Quand on part, il n’y a aucune trace de notre passage », assure-t-elle.
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Son mari Marcel Lafantaisie (ouaip!) insiste sur la notion de respect, la clé selon lui pour survivre dans l’univers du VR. « La vente de VR est en hausse et on passe parfois pour une gang de cochons pour quelques exceptions. C’est mon neuvième VR et je fais toujours très attention. Je viens d’une famille de treize enfants et mes parents nous ont appris le respect des autres », explique Marcel, qui se fait un point d’honneur de dépenser dans la ville qui l’héberge gratuitement. « J’achète de l’essence, je mange dans les restos, je dépense environ 100-150$ par escale, c’est comme une taxe », illustre-t-il.
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«On est allés à Gatineau, Mont-Laurier, on est nomades, on change de places aux 2-3 jours»
Un peu plus loin, Francine fait sa toilette entre deux VR (dont le sien), pendant que son mari Rolland se prépare à l’intérieur. Ils partiront ensuite à vélo (comme d’habitude) se balader dans les environs. « Ça fait neuf jours qu’on est partis de Québec. On est allés à Gatineau, Mont-Laurier, on est nomades, on change de places aux 2-3 jours », raconte Francine, qui préfère se tenir loin des campings où tout le monde est «trop collé».
Ironiquement, son VR est à quelques pieds de celui du voisin, arrivé en pleine nuit. « On l’a à peine entendu. On jase entre nous parfois, mais on revient surtout ici pour dormir », explique Rolland, qui a soupé la veille dans une brasserie du coin pour encourager à sa façon la ville qui lui offre le gîte gratis.
« C’est trop bruyant ici. »
Je m’apprête à partir lorsque les Drummondvillois Roger et Lise Comtois s’amènent à leur tour à bord de leur gros VR. Eux aussi couraillent d’ordinaire les festivals country et préfèrent dormir ailleurs que dans des parkings de Walmart. « On connaît les spots. En six semaines dans l’ouest canadien, on a juste fait trois campings. On se déplace à vélo et on préfère les petits villages », souligne le gaillard de 72 ans, qui pose les pieds pour la première fois à Saint-Sauveur. « Il parait que c’est beau! », lance-t-il, avant de partir découvrir ce classique des Laurentides avec sa femme.
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Sur le chemin du retour, je fais un dernier arrêt au Walmart de Saint-Jérôme, où Germain et Rachèle Roy viennent de passer la nuit en revenant d’Amos. Une escale mouvementée, admet cette dernière. « C’est trop bruyant ici, on n’a pas bien dormi », soupire-t-elle. On la croit sur parole. Le vacarme de l’autoroute 15 à quelques mètres est assourdissant, on est à des années-lumières du son bucolique des criquets et du crépitement d’un feu de camp.
Le couple ira peut-être chercher un peu de quiétude du côté de Sainte-Véronique la nuit prochaine. Peut-être parce que leur trajet n’est pas coulé dans le béton. « On aime ça improviser, on est autonome et on va à l’aventure!», résume Rachèle.
Mais avant de se lancer, elle ira d’abord faire quelques emplettes chez Walmart à l’autre extrémité du stationnement.