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Une Gen Z va voir Black Flag aux Foufs avec son collègue de 40 ans

D’Adele à Black Flag, Jade a complètement changé de répertoire.

Par
Jade Giovane
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Les cris s’intensifient — « Black Flag! BLACK FLAG! » —, les gens commencent à se bousculer pour s’approcher de la scène et les lumières s’allument. Ça y est, mon premier concert punk aux Foufounes Électriques commence. Le groupe arrive tranquillement alors que la foule s’impatiente. Dès les premières notes, je me demande ce que je fais là.

Tout a commencé la semaine dernière, quand mon collègue Ben a demandé en réunion éditoriale : « Black Flag vient aux Foufounes Électriques, qui vient avec moi? » Il avait de telles étoiles dans les yeux qu’on aurait dit un enfant qui s’en va à Walt Disney! Des étoiles qui se retrouvent même à l’écrit, dans son compte-rendu de cette même soirée paru la semaine dernière.

Aussitôt après sa question, tous les regards se tournent vers moi. « Jade, la musique punk, est-ce que tu connais ça, toi? » Il fallait s’y attendre que ça tombe sur moi, la nouvelle stagiaire URBANIA de 19 ans qui ne comprend même pas la différence entre la musique punk et le metal.

ACDC, c’est punk, non?

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On me fait comprendre assez rapidement que ça va brasser, qu’il faut que je me tienne loin du mosh pit et qu’amener des bouchons d’oreille peut être une bonne idée! Je m’attends au pire, je me fais tous les scénarios catastrophes possibles et imaginables… Il se passe quoi, si je me fais piétiner dans le mosh pit?

Ben, pourtant bien intentionné, ne m’aide pas du tout en insistant sur le fait que ça va être intense, comme soirée. Il m’envoie une vidéo du chanteur qui met K.O. quatre hommes à mains nues dans une petite rue louche, en 2003. Oui, je suis aussi vieille que cette pépite. J’avoue que je panique. J’ai vraiment peur que ça dégénère.

Pour moi, on s’en va à un concert où il y aura juste des hommes dans la quarantaine motivés à revivre les soirées qu’ils ont connues dans leur vingtaine. Un peu comme Ben, quoi!

Le matin même, je suis clouée devant le miroir. On s’habille comment pour aller voir un show punk? Est-ce qu’il faut que je sorte mes pantalons en cuir et ma veste en jeans?

Je ne veux pas avoir l’air d’un imposteur et qu’on me lance des regards du genre « qu’est-ce qu’elle fait là, celle-là? »

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Pour faire descendre mon stress, j’écoute le dernier album de Lomepal. Beaucoup plus tranquille comme ambiance!

En nous rendant au spectacle, Ben me fait un petit cours 101 sur l’histoire de la musique punk. Il me sort des noms de groupes imprononçables qu’il écoutait quand il avait mon âge, me raconte l’histoire des Black Flag et me conte des anecdotes sur les Foufounes.

« Donc je voulais qu’on mange là », me dit-il en pointant un restaurant tout délabré et visiblement fermé à tout jamais. « Ce n’était pas la meilleure bouffe, mais comme c’était en face des Foufs, on y allait tous à la fin de la soirée. Quand les gens se faisaient sortir parce qu’ils se battaient, ils finissaient souvent leur bataille ici », m’explique-t-il en parlant de la rue. « Quand j’étais jeune, je me suis déjà fait courser et je suis venu me cacher un peu plus loin, là-bas! »

C’est là qu’il réalise que la première fois qu’il y est allé, je n’étais même pas née… Je pense que ça lui a donné un petit coup de vieux. Pendant ce temps, moi, je me demande si je vais finir la soirée en un morceau.

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C’est l’heure! On rentre dans la bâtisse devant laquelle je suis passée tellement de fois en me demandant ce qui se tramait à l’intérieur. Dans la file, première bonne nouvelle : je m’aperçois que ce ne sont pas que des hommes du double de mon âge! Je suis surprise de voir beaucoup de femmes et même des filles de ma génération. Ça me rassure tout de suite, même si j’ai l’impression d’être dans Retour vers le Futur et de m’incruster aux soirées que mes parents ont pu vivre dans leur vingtaine.

En montant l’escalier vers la salle encore vide, une odeur similaire à la poche de hockey d’un ado en puberté me frappe en plein visage. J’ai l’impression de sentir un fond de tonne subtilement camouflé derrière un fort effluve de chlore, ce qui témoigne de l’effort mis pour masquer les traces des soirées rock’n’roll des Foufs.

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On fait un petit tour rapide de l’endroit et je découvre que la déco est juste composée de quelques affiches accrochées aux murs de groupes dont j’ignorais l’existence. GHB, c’est pas de la drogue? Les minutes défilent et la salle se remplit de toute sorte de gens, autant de trentenaires vêtus de leur plus belle veste en jean et déjà bien avancés dans leur soirée que de plus jeunes déjà collés à la scène pour ne pas en rater une miette et faire leur meilleur headband!

Excusez, je voulais dire headbang! Ben m’a expliqué que c’est un mouvement phare dans la culture punk et metal qui consiste à bouger violemment la tête de haut en bas sur de la musique au rythme agressif.

Une fois l’heure du show arrivée, toujours pas de nouvelle du groupe! Ben m’assure que le spectacle aura lieu, mais que c’est juste cool de commencer en retard. Donc on attend, mais je sens que la foule commence à se densifier, les gens se faufilant pour être au-devant de la scène. Nous, on se retrouve sous une enceinte, tout à droite.

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Sur le coup, je voulais être plus au centre, jusqu’au moment où les musiciens sont arrivés et que le mosh pit a commencé à prendre forme. On aurait dit un tsunami de personnes! Les gens se poussent, se rentrent dedans et le cercle s’agrandit. On recule comme on peut pour ne pas se faire prendre dans la vague et par peur de se faire démolir.

« Peur », c’est faible pour qualifier à quel point j’étais pétrifiée, mais je garde le sourire tout en me disant que tant qu’à être ici, autant en profiter!

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Une chose est sûre, les fans de Black Flag sont un peu plus intenses que les Daydreamers (les fans d’Adèle). D’ailleurs, on n’a clairement pas la même notion du mot « profiter »; tu ne verras jamais des gens monter sur la scène pour se lancer dans la foule en espérant se faire attraper à un concert d’Adele, par exemple. En revanche, ici, c’est monnaie courante et les musiciens continuent même à jouer sans rien dire alors que certains s’éclatent par terre en emportant dans leur chute d’autres spectateurs qui n’ont rien demandé.

Malgré le chaos, les gens restent super respectueux, ne forcent personne à rentrer dans la vague et si quelqu’un tombe, on l’aide à se relever directement.

Je ne m’attendais pas à une solidarité aussi forte entre eux!

Et puis la musique, là-dedans? Les morceaux durent à peu près le temps de prendre deux gorgées de bière et j’ai facilement appris les paroles de Six Pack, l’une des chansons les plus connues de Black Flag. C’est simple, il suffit de crier « Six! Pack! » avec un air fâché, le poing en l’air.

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J’ai entendu des sons que je n’avais jamais encore entendus et j’ai cru que mes tympans allaient percer pendant les solos de guitare. Sous l’intensité du rythme joué, j’étais persuadée que les cordes de l’instrument allaient céder!

Le chanteur Mike Vallely se donnait corps et âme à son public, si bien qu’à un moment, j’ai même cru que la veine de son front allait exploser tellement sa performance était physique! Pour que je l’entende malgré la musique, Ben m’a crié dans l’oreille que le chanteur a 52 ans et qu’il est propriétaire d’une marque de skate!

Je n’en revenais pas et je souhaite à tout le monde d’être en forme comme lui, à cet âge-là!

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Le bassiste Raymond Pettibon (je ne vais pas faire mon Joe connaissant, j’ai totalement googlé leurs noms) m’a marqué avec son sourire sans palette. Il a aussi réussi à me donner le tournis à force de secouer sa tête dans tous les sens. Je ne peux pas croire qu’il n’ait pas eu de torticolis le lendemain.

La chanson s’enchaîne et je regarde de temps en temps Ben, à qui je ne peux pas parler étant donné qu’on est juste en dessous du speaker. Il a l’air dans son élément et heureux d’être là!

Je commence également à remarquer une vraie camaraderie entre les gens qui se rentrent dedans dans le mosh pit, ce qui me fait comprendre que l’agressivité… les rend heureux? En tout cas, quand on crie « Fix me! Fix my head! Fix me, please, I don’t wanna be dead! », ça a l’effet d’une thérapie de groupe et j’ai l’impression que tout le monde extériorise sa frustration.

Je n’aurais jamais vu ça dans un show de Vance Joy au MTelus!

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Plus on approche de la fin du spectacle, plus l’odeur de sueur est importante et la chaleur humaine, palpable. Certains se mettent torse nu tellement le mosh pit est rendu sportif. Les fans sont encore plus agités, parfois complètement saouls, ça se rentre dedans de tout bord tout côté, mais tout le monde aime ça, même moi qui suis spectatrice.

Une femme s’est même faufilée devant nous pour s’agiter comme si on était dans le mosh pit… Avec Ben, on se regarde l’air de dire « ouin, elle n’a pas compris que ça se passe deux mètres plus loin ». Mais rendu là, tout le monde donne le peu d’énergie qu’il leur reste, donc ça brasse un peu partout dans la salle!

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Après toutes ces sensations fortes, mes oreilles sont encore sous le choc. En partant, Ben me demande de décrire mon expérience en trois mots et instinctivement, je réponds : « convivial, intense, mais surtout étourdissant ». Parce qu’aux Foufs, tout le monde est le bienvenu et j’aurais clairement pu être habillé n’importe comment; on s’en fout! J’ai compris que le but, c’est d’avoir du plaisir dans une ambiance euphorique.

J’ai essayé de vivre la soirée comme si j’étais un personnage omniscient, mais rapidement, je me suis vraiment prêtée au jeu. J’ai découvert un univers qui est à l’opposé de ce que je connaissais et j’ai adoré ça. Je ne peux pas dire que je suis devenue une fan de musique punk et je n’abandonnerais jamais Adele, Lomepal, Angèle, Orelsan, Tyler, the Creator ou Steve Lacy pour Black Flag, mais j’ai ajouté deux chansons que j’ai bien aimées, Rise Above et Six Pack, à mes listes de lecture! Donc si vous me croisez en train de faire de grands coups de tête dans le vide de manière frénétique, c’est que j’ai ces mélodies dans les oreilles.

Une chose est sûre, je reviendrai aux Foufounes Électrique malgré l’odeur, qui fait presque partit du charme de l’endroit, et le sentiment d’imposteur qui s’étampera avec le temps!

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Je suis quelqu’un qui overthink beaucoup, mais le contexte m’a fait décrocher : j’étais obligée de vivre le moment présent, ne pouvant pas deviner ce qui allait se passer vu que j’étais dans l’inconnu. Ça m’a prouvé que je pouvais avoir du plaisir même si je sautais les yeux fermés dans un milieu que je ne connaissais pas. Suffit de se faire confiance!

Et puis sans cette soirée-là, je n’aurais pas découvert Ben! À la base, c’est un collègue avec qui je n’aurais pas discuté sur l’heure du dîner, car la différence d’âge semblait être une barrière à toute discussion intéressante. Il devait me voir comme la nouvelle stagiaire super « gen Z », pas très dégourdie, et moi, je le voyais comme le monsieur que je croisais au bureau et qui venait de casser ses lunettes. Il a passé la semaine à 2 pouces de son écran d’ordi pour y voir quelque chose (le pauvre)!

Mais il m’a fait rentrer dans son univers sans me juger, malgré l’écart de génération.

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Bon, il m’a insulté une fois en me demandant si je connaissais Nirvana! La réponse est oui; ok, j’ai 19 ans, mais j’ai quand même un papa qui a son âge et qui m’a fait écouter ses musiques d’adolescence! Mais Ben, si jamais un autre groupe de ta jeunesse se produit aux Foufs, appelle-moi!