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Une chorale de Girls

Bref, j’ai écriiiiiiiiit avec mes chums de fiiiiiiiiilles!

Par
André Péloquin
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C’est dans l’air…

Sans nécessairement être une (petite ou grande) révolution en soi, j’ai l’impression qu’un certain discours féminin s’élève de la cohue (du moins, assez pour que ça ait jusqu’à atteindre mes oreilles de rustre pas très au fait de tous les tenants et aboutissements du féminisme).

Alors que le cri de ralliement des Riot Grrrls – qui reviennent dans l’actualité via le dévoilement d’un documentaire sur Kathleen Hanna à SXSW – était particulièrement strident, les harmonies des Spice Girls ou encore des dames de Sex & The City, elles, étaient particulièrement rose bonbon et, surtout, au service des produits dérivés… Je sais, je sais, y’avait zéro revendication là-dedans, mais ça demeure des phénomènes culturels rassembleurs, bon.

M’enfin, depuis quelques années, on peut constater une montée d’artistes à la Tina Fey et Amy Poehler qui, sans obligatoirement se cataloguer en tant que féministes pures et dures, se distinguent par la qualité de leur travail, leur audace, leur indépendance ainsi que par leurs oeuvres sans fard et délicieusement crues. La journaliste Helen Faradji soulignera aussi au passage que celles-ci se différencient dans l’humour, un domaine traditionnellement masculin. «Ces filles-là l’investissent avec tellement de verve et de fougue qu’elles me semblent briser le cliché. Elles font donc avancer la cause.»

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Localement, j’ajouterais – bien malgré elles, j’imagine – Lisa LeBlanc ainsi que les Soeurs Boulay. Bien que celles-ci sont assurément aux antipodes du registre folk, ces trois musiciennes se rejoignent – à mon humble avis – dans cette lucidité de leurs strophes; notamment lorsqu’il est question de dépeindre leurs relations avec cet Autre-avec-un-grand-A-et,-parfois,-du-poil-dans-le-dos.

Que ce soit sur Câlisse-moi là ou Mappemonde, on retrouve cette même vulnérabilité sans jamais verser dans le misérabilisme, la démonisation du fautif ou encore dans les images grandiloquentes qui veulent faire brailler sans toutefois vraiment y arriver. Bref, se sentir comme des saules inconsolables; très peu pour elles…

Du côté télévisuel, Lena Dunham – la créatrice de la série Girls – polarise tout particulièrement. Qualifiée de «voix d’une génération» dans l’édition de février de Rolling Stone tout en étant cataloguée d’exhibitionniste par certaines critiques (des deux sexes), l’actrice choque lorsqu’elle se dévêt (disons qu’elle n’a pas un physique qui correspond aux canons de la beauté habituellement véhiculés dans les magazines mode) et surprend par son portrait mordant d’une génération particulièrement complexe et visiblement pas centrée que sur son #moi ou sa petite mort, en dépit de la croyance populaire.

Girls
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L’étudiante en journalisme Noémie C. Adrien m’avise toutefois de ne pas nécessairement mettre en opposition Girls à d’autres émissions phare du genre. «Je suis également une grande fan de Sex and the City et mon sentiment d’appartenance à la gente féminine était tout aussi fort en regardant cette émission, même si les protagonistes livraient certainement leurs batailles de manière moins crue et provocatrice que dans Girls. Je ne suis pas de ceux qui croient que le « rose bonbon » soit incompatible à la cause féministe.»

D’emblée, Girls n’est donc pas une fronde, mais demeure tout de même une émission grand public fichtrement débattue…

Trêve de préliminaires!

Les scènes de sexes – tantôt hilarantes, tantôt pathétiques et souvent réalistes – percutent tout particulièrement. «Elles sont crues et vraies», résume Iris Bélanger Noel, blogueuse mode derrière Paye Ton Style. «On peut s’y identifier et je me dis que même si c’est “in your face”, c’est toujours mieux pour les jeunes filles de voir ça et de savoir à quoi s’attendre que d’idéaliser totalement la chose et d’être déçues après.» La nudité qui accompagne ces moments fait aussi jaser. «Je pense qu’on ne voit pas assez de filles vraies à la télé», martèle la journaliste et chroniqueuse Geneviève Allard. «Des “average guys” oui, mais des filles avec des failles; pas assez.»

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À la mention d’«average guys», des images d’Adam Sandler séduisant Jessica Biel, Jennifer Aniston ou encore Drew Barrymore me reviennent en tête. Des fantasmes qui sont devenus «la norme» pour le public masculin. Pour les cinéphiles femmes? Une méchante déception, j’imagine. Au même moment, Allard y va d’un autre exemple tenant de la science-fiction. “Crisse, Carrie Bradshaw dort avec un fucking soutif’ dans Sex and the City! Tu comprends ce que je veux dire? Ce n’est pas ça, la réalité. La réalité là c’est d’avoir du mou qui dépasse de ton short en jeans.»

Personnellement, plus elle se met à poil, plus je l’admire», poursuit la journaliste Valentine Bourgeois. «Étant une fille qui a toujours eu une certaine relation de haine envers son corps, je suis en complète admiration devant cette fille qui s’accepte totalement comme elle est et qui se fout complètement de ce que les gens pensent!», ajoute-t-elle avant de revenir sur une entrevue récente où Dunham mentionnait que, plus les téléspectateurs se diront choqués de voir ses cuisses dénudées, plus elle les dévoilerait. «Si le monde voyait plus de corps comme le sien à la télé et au cinéma, ils arrêteraient d’en faire tout un plat un moment donné et réaliseraient que la réalité; ben c’est à ça que ça ressemble.»

Girls
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Revenons à Girls. Là où la série se distingue tout particulièrement, c’est lorsqu’elle aborde les tribulations de ses protagonistes aussi charismatiques qu’imparfaites alors qu’elles sont projetées, bien malgré elle, vers la vie adulte. «Avoir leur âge, c’était horrible», confie la chroniqueuse Gabrielle Lisa Collard. «J’faisais n’importe quoi pis je n’étais pas équipée pour être une bonne personne. Cette partie-là, la partie laide pis fuckée de leur espèce de début de vie adulte awkward, je la trouve “réaliste” pis ça n’a jamais été exploré de cette façon-là avant.»

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Le plus surprenant demeure le fait que le portrait des hommes dans Girls est, lui aussi, particulièrement profond, moins unidimensionnel que plusieurs émissions du genre. «Je crois qu’il est aussi réaliste que celui des héroïnes», avance l’ami Jean-René St-Pierre. «On n’y démonise pas les hommes au profit des femmes. Autant les hommes que les femmes ont des travers, des névroses. Ca représente bien où nous en sommes présentement : à la recherche de notre identité. On cherche à se définir dans tout ce que la société nous renvoie : être masculin, mais pas trop…» Faradji abonde dans le même sens. «Je crois que c’est une série plus sur la jeunesse que sur les filles, malgré le titre. Les gars sont aussi paumés que les filles là-dedans, et beaucoup moins caricaturaux que dans d’autres séries qu’on va dire “masculines”». Et là, de vagues souvenirs de Marc Boilard – un homme aux airs encore plus macho que l’alter ego extravagant du lutteur Randy Savage – à l’époque de l’oubliable série Testostérone refont surface… et me donnent un peu le goût de vomir. Tiens, tiens… en parlant de bile…

Et puis après?

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Bien sûr, on peut aussi hausser les épaules et se dire «Bah! Est-ce vraiment pertinent en 2013? Nous sommes tous égaux, maintenant?» Mais non. La réponse est non. Tant mieux si vous le croyez, mais ce n’est pas le cas pour certains de vos ami(e)s ou quelques membres de votre famille. Pire encore, on ne peut même pas se consoler dans l’idée que les sexistes qui demeurent sont d’incroyables imbéciles losers. Oh non. Certains de ses imbéciles sont incroyables, certes, mais sont épanouis… lorsqu’ils ne sont pas carrément enviés ou à la têtes d’entreprises ou de ministères.

«Les féministes étaient – et sont encore – vues par leurs détracteurs comme des hystériques qui rejettent toute “féminité” et qui détestent les hommes», déplore Iris avant d’ajouter que «Même dans ma génération, après toutes ces années, c’est encore mal vu de dire qu’on est féministe.» De son côté, l’imprésario, relationniste et véritable canif suisse Annie Q se fait plus vindicative. «Quand Beyoncé chante ” Who run this motherfucker? Girls! ” j’ai vraiment le goût de lui envoyer les tweets effroyables dirigés contre la victime des multiples viols de Steubenville ou les statistiques récentes sur l’excision. C’est un beau souhait, disons, mais c’est tellement esthétique et si peu ancré dans la réalité.»

CNN
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Esquire

Le petit écran local n’est pas à l’abri. On se rappellera qu’en 2010, on laissait Roger Tabra injurier un paquet de dames à Tout le monde en parle. Déjà là, il y avait matière à pogner les nerfs, mais le plus surréaliste demeure le fait que Jasmin Roy, qui faisait la promotion de son bouquin contre l’intimidation sur ce même plateau, n’est pas intervenu. Au fil des années, ces propos sont devenus «acceptables». Ces générations s’y sont «habituées», mais j’ose espérer que celle des Dunham et compagnie répliquera. Mieux encore, elle s’y affaire en ce moment même.

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En 1970, Gil Scott-Heron déclamait que la révolution ne serait pas télévisée. La sienne ne l’aura pas été, malheureusement. Mais celles des Girls, toutefois? Un peu d’optimisme ne serait pas si déplacé. Après tout, c’est dans l’air…

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