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Un soir, trois partys : dans les coulisses de la nuit électorale montréalaise
Ce que vous n’avez pas vu de la soirée électorale.
Montréal a tranché : quatre ans de plus sous le règne d’une mairesse. Soraya Martinez Ferrada et son parti, Ensemble Montréal, raflent la mise automnale et s’emparent des clés de la ville.
Pendant que la moitié des Montréalais regardaient OD Chypre dans leur 4 et demi hors de prix, nos journalistes, eux, étaient sur le terrain entre cris, bières et espoirs, pour raconter, de l’intérieur, le pouls de cette nuit électorale.
La journaliste Salomé Maari a assisté au rassemblement d’Ensemble Montréal, le parti de la nouvelle mairesse Soraya Martinez Ferrada, tandis qu’Hugo Meunier suivait la soirée avec le parti Projet Montréal de Luc Rabouin, et que Jean Bourbeau assistait à la clôture de la première campagne municipale de Transition Montréal et de son chef, Craig Sauvé.
19h30
Projet Montréal
Peu à peu, le camp de Projet Montréal prend forme, réuni à la Société des arts technologiques (SAT). Une toune de Lydia Képinski joue à plein volume dans la grande salle à peu près déserte, sauf pour les journalistes déjà à pied d’œuvre. « Ça va finir soit très tôt, soit très tard », philosophe un employé de l’équipe Rabouin.
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Bien malin qui saurait deviner l’issue de cette campagne. Mais comme ça m’a pris 45 minutes en char (ta faute, la STM!) abattre 7,3 kilomètres bordés de chantiers, de l’imposant campement de sans-abri sur Notre-Dame et des usagers de l’allée du crack sur Sainte-Catherine, je sais déjà que le ou la vainqueur.e ne manquera pas d’ouvrage.
Transition Montréal
Après quarante-quatre jours d’une campagne n’ayant soulevé nulle passion, rendez-vous sur Saint-Denis, au bar Clébard, à ne pas confondre avec le duo clef-barre, autre réjouissance, plus nasale que canine, pour le party du parti de Craig Sauvé, le candidat à la casquette.
À défaut de coupons de consommation, on remet au personnel des médias un écusson Transition Montréal pour nous identifier. Le bar se divise en deux : d’un côté, un salon pour les amis et la famille, et de l’autre, une piste de danse transformée en war room, où les écrans de RDI déroulent les résultats de la soirée.
À travers la petite foule, un gamin porte fièrement une capette « à la Craig », devenue au fil de la campagne le symbole officieux du parti de gauche.
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Sergio Da Silva, candidat au poste de conseiller dans Ville-Marie, est l’un des premiers arrivés. Il repasse le film d’une campagne mouvementée, celle où le tenancier de bar haut en couleur s’est retrouvé au cœur d’une tempête médiatique, pointé du doigt pour des prises de position jugées trop franches ou trop libres, selon l’œil qui lit les réseaux.
« C’était l’fun. Bon, à part le moment où on m’a traité de terroriste… Mais j’ai beaucoup appris. Tu rencontres plein de monde en dehors de ta bulle, et au fond, on a tous les mêmes inquiétudes. Mais à côté de ça, il y a tellement de bullshit. Des conversations malhonnêtes, des proprios et des gérants d’Airbnb qui veulent juste s’en mettre plein les poches. »
« Avec mille votes, I’ll be happy! », lance-t-il en riant, bouclant une entrevue ponctuée de plusieurs fuck bien sentis, fidèle à lui-même. À la fin de la nuit, le compteur s’arrêtera à 591.
20h30
Ensemble Montréal
C’est à la TOHU – lieu culturel emblématique, mais surtout, ancien lieu de travail de Soraya Martinez Ferrada – qu’Ensemble Montréal a choisi d’élire domicile pour sa soirée électorale.
Au détour d’un corridor, je croise Jean-René Dufort. Sa présence est un bon indicateur : ce soir, je suis dans le camp des gagnants.
Projet Montréal
Le monde commence à entrer à la SAT : quelques candidats de Projet Montréal, mais surtout des bénévoles et membres de la presse. Il y a un bar, mais comme je suis déjà hangover, je me contente d’un jus d’orange à 5$.
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Les premiers résultats, qui placent Ensemble Montréal en avance presque partout, ne plombent pas encore l’ambiance. Il est tôt, dit-on. « Ça peut encore changer, mais je pense qu’Action (Montréal) a divisé le vote », analyse Viviane, qui a été bénévole pour la campagne de Carla Beauvais dans Ahuntsic-Cartierville.
Transition Montréal
Le bar se remplit vite de capettes. Seul un cowboy détonne dans le décor. Les accolades fusent à n’en plus finir. À l’image du chef, ça parle dans les deux langues. Autour des tables, on croise des militants barbus au veston trop grand, des provélos, des défenseurs de la vie nocturne, des anti–Projet Montréal, des universitaires en keffieh et, étrangement, beaucoup d’enfants.
La musique, du house quelconque en trame de fond, se perd sous la cacophonie des partisans. L’ambiance est bonne. C’est, après tout, la soirée de clôture d’une première campagne.
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Manouane Beauchamp, candidat au poste de conseiller dans le district d’Étienne-Desmarteau et l’un des quatre cofondateurs du parti, raconte que, face au spectre politique municipal, le virage à gauche s’est imposé presque naturellement, surtout pour les jeunes.
« J’ai 52 ans. Ce parti, on l’a créé pour l’avenir de la métropole. Le meilleur reste à venir. Transition, ce n’est pas le parti d’une seule élection », affirme-t-il.
21h00
Ensemble Montréal
La grande salle de la TOHU se remplit à vue d’œil et s’anime sous le bruit des bouteilles de mousseux qui sautent derrière le bar. Ça sent le vin blanc et la victoire.
Ce soir, les partisans sont habillés propres. Un simple balayage visuel de la foule permet de dénombrer beaucoup de têtes blanches et d’hommes qui portent une écharpe.
N’empêche, le rassemblement a tout de même attiré plusieurs jeunes, et la crowd est assez diversifiée : plusieurs membres des communautés latino-américaine et noire sont venus soutenir la seule femme à briguer la mairie de Montréal.
« À date, ça regarde très bien », me confie une employée du parti, un verre de vin à la main, sûre que l’avenir jouera en la faveur de son équipe. « On a travaillé très, très fort », dit celle qui a été dans la garde rapprochée de Soraya Martinez Ferrada durant les derniers mois.
Je lui demande si Ensemble Montréal a prévu un after pour célébrer. « Non! Eille, on travaille tellement. On est debout depuis 5h du matin. » Après une campagne qui leur aura volé trop d’heures de sommeil, les membres de l’équipe Soraya iront avec plaisir retrouver leur lit et feront la grasse matinée, demain matin.
Projet Montréal
La soirée s’amorce officiellement avec des discours traduits simultanément par une interprète en langue des signes. On se félicite pour la belle campagne, le moral se porte étonnamment bien malgré la tendance qui se dessine. « Si vous croisez nos bénévoles, n’hésitez pas à leur dire merci et leur faire un câlin consenti », lance une employée de Projet Montréal. Très woke, bravo.
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Je croise la sympathique conseillère de De Lorimier, Laurence Parent, qui achève sa deuxième campagne satisfaite (NDLR Elle a été élue). « Ça s’est bien passé. On a constaté une explosion de la haine sur les réseaux sociaux, ces derniers jours, mais c’est resté respectueux au porte-à-porte », constate celle qui ne perd pas espoir de voir la vapeur se renverser ce soir. « Je connais bien Luc Rabouin, je sais ce qu’il vaut! », louange-t-elle, pendant que les haut-parleurs crachent le Réverbère d’Ariane Moffatt, dont on espérerait les paroles prophétiques en cette soirée.
Oh, l’histoire n’est pas terminée, croyez-moi.
La soirée est encore jeune, abonde à son tour la conseillère du district Étienne-Desmarteau Ericka Alneus, dans les effusions d’une foule de plus en plus gonflée à bloc. En retrait, le journaliste TikTok de La Presse Julien Bouthillier se filme devant la scène, sous le nez d’Yves Poirier de TVA qui attend son direct. Quand deux mondes se côtoient.
Transition Montréal
Malgré les deux écrans au-dessus du bar, personne ne semble vraiment suivre les résultats. Oui, ça pitonne sur les cellulaires, mais l’attention est ailleurs. Il flotte dans l’air quelque chose de léger, presque joyeux, et ce, malgré les chiffres favorables de Soraya, l’ennemie naturelle de cette gauche militante, et l’absence de toute percée en vue.
Le bar, quant à lui, peine à fournir, et les chaises disparaissent aussi vite que les pintes. Dommage qu’il n’y ait aucune grignotine : on finit par m’offrir un biscuit aux pépites de chocolat.
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21h30
Ensemble Montréal
Je serre la main de Claude Pinard, candidat au poste de conseiller de la Ville dans Saint-Jacques. « Désolé, juste une minute, je dois regarder les chiffres. » Le futur numéro deux de Soraya Martinez Ferrada plonge son regard dans son cellulaire.
La lutte entre lui et son opposant de Projet Montréal, Robert Beaudry – responsable de l’itinérance et de l’urbanisme – est sans doute la plus excitante de toute cette campagne, qui elle fut tout sauf excitante. Le combat s’annonce extrêmement serré.
L’ex-PDG de Centraide du Grand Montréal lève les yeux : « 20 votes en avant. »
« La soirée va être longue », prédit-il, d’un calme déconcertant. « Je suis confiant. Ce soir, j’arrive ici, pis j’ai fait tout ce que je devais faire pour gagner. J’ai travaillé très fort. »
Aujourd’hui encore, il a passé sept heures dehors pour convaincre les Montréalais de voter pour lui. Ce sont peut-être ces sept heures au froid qui auront fait toute la différence : Pinard ne le sait pas encore, mais ce soir, il l’emportera avec seulement 13 voix d’avance sur Beaudry.
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Projet Montréal
La foule est de plus en plus compacte et il me faut jouer du coude pour me frayer un chemin au bar pour me réhydrater. À date : un jus d’orange, une bouteille d’eau, un Coke et un Ginger Ale. Avec le parcomètre, cette soirée risque de me coûter plus cher que ce qu’elle va me rapporter. Par chance, LA DÉMOCRATIE N’A PAS DE PRIX.
Anyway, des candidats de plus en plus big défilent sur scène. Le maire de mon arrondissement François Limoges fait un direct à Global, pendant que Gracia Kasoki Katahwa, bras droit désigné de Luc Rabouin, chauffe la ville malgré un retard dans son comté de Notre-Dame-de-Grâce (NDLR Elle n’a pas été élue). « Vous vous dites: “Voyons, elle est en train de perdre, comment ça elle a de l’énergie de même, elle?” »
Une bonne question, en effet.
Transition Montréal
Devant le bar, un char de police campe sur place. Christian Rouleau, candidat au poste de conseiller dans Lachine, tire sur sa cigarette, fixant les chiffres qui défilent sur son écran. « J’ai 26 %! Bon, c’est huit votes, mais je vais prendre un screenshot pareil », rigole-t-il.
Il reprend une bouffée avant d’ajouter : « J’aurais pu te prédire la victoire de Soraya depuis dix jours. La vraie tragédie serait que Thibodeau fasse plus de votes que Craig. » Quelques heures plus tard, le controversé candidat le coiffera par 6 623 voix, assez pour grimper sur le podium.
À l’intérieur, la place est pleine, mais les journalistes, eux, se font rares. Seul un très sérieux reporter de CityNews tient le fort, faisant des lives au milieu des fêtards.
Non loin, Miro Bataille, candidat au poste de conseiller dans Sault-au-Récollet, à Ahuntsic, cégépien de dix-huit ans à peine, le plus jeune de l’île, dévore des tacos achetés au resto d’à côté. Entre deux bouchées, il me raconte avoir adoré sa première expérience. Sur le terrain, il a rencontré des électeurs qui ne votent plus par conviction, mais par dépit. Ses chances étaient minces, il le savait, mais il parle déjà de la prochaine campagne. D’ici là, il veut miser sur un travail de fond : se faire connaître, s’impliquer et aller à la rencontre de la communauté. « Faire de la politique citoyenne, à échelle humaine », ajoute-t-il.
Craig arrive et le félicite pour sa campagne. Les militants se rassemblent autour de lui.
— Transition ? crie-t-il.
— Montréal ! répond la foule.
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22h00
Ensemble Montréal
La nouvelle vient de tomber : Soraya Martinez Ferrada sera la prochaine mairesse de la Ville de Montréal. « MA MÈRE EST MAIRESSE, OH MY GOD! », s’époumone en pleurant de joie sa fille, sous les applaudissements de la foule en extase. « SORAYA, SORAYA, SORAYA », hurlent en cœur les supporteurs.
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« Je suis encore sous le choc, mais pas choquée du tout », me confie la souriante Kayla, qui n’en est pas à sa première campagne aux côtés de sa mère. « Ça fait du bien de voir que les gens apprécient ma mère, qu’ils ont confiance en elle, pis qu’on peut travailler sur Montréal, pis que ça redevienne comme avant. »
Autour de la jeune femme, le public célèbre la victoire à coups de câlins bien serrés et de tapes dans le dos.
Projet Montréal
C’est officiel, Patrice Roy vient d’annoncer la victoire de Soraya Martinez Ferrada. La nouvelle est accueillie comme une douche froide, quelques huées fusent, vite enterrées sous des applaudissements nourris lorsque le porte-parole du parti mentionne que la soirée n’est pas finie, que Projet Montréal demeure en avance dans plusieurs endroits. « C’est la vie, c’est la démocratie », tranche le porte-parole, annonçant l’arrivée prochaine de Luc Rabouin sur scène. À côté de moi, Gracia Kasoki Katahwa refuse de se laisser démonter. « Je suis une fighteuse, je vais continuer à me battre! », lance l’énergique candidate, visiblement appréciée dans la foule.
Décidément, malgré les tuiles qui s’empilent, le moral de l’équipe sortante est stupéfiant.
J’essaye d’arracher des réactions à chaud de François Limoges, maire de mon arrondissement et l’un des rares élus (très) en avance dans Rosemont, un village gaulois résistant à la droite dans tous les paliers du pouvoir. Ce n’est pas le bon moment, me dit-on. Possible que cinq minutes après avoir appris que ta formation se retrouve dans l’opposition, t’as pas full envie de jaser avec un journaliste attriqué d’une tuque orange fluo qui boit beaucoup trop de liqueur. Burp.
Transition Montréal
L’humoriste Christopher Hall, candidat au poste de conseiller dans Saint-Paul–Émard–Saint-Henri-Ouest, fixe son cell et lâche un « oh my God! » bien senti, ponctué d’un signe de tête désapprobateur. Le sourire revient aussitôt quand une montagne de nachos et de quesadillas atterrit devant lui.
Un peu plus loin, Danso, candidat.e au poste de conseiller.ère de ville dans le district de Peter-McGill, revient sur sa première aventure politique, plus habitué.e à l’activisme. « J’ai mené une campagne honnête, sans compromis. » Derrière nous, l’écran annonce la victoire de Soraya, probablement avec une majorité. Danso termine sa pinte de blanche avant de lâcher un long soupir. La déception se lit sans qu’iel n’ait besoin d’en dire plus.
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Personne n’ose dire tout haut que le parti a mordu dans le vote de Projet Montréal. L’éléphant dans le débit de boisson.
La fête n’est pas terminée pour autant : Craig Sauvé entame son discours devant la centaine de militants. Trois mois d’existence, pas de local électoral, mais un parti qui a fait du bruit. « Un parti cool, avec des idées pour défier le statu quo… Ce n’est qu’un début! », lance-t-il sous les acclamations.
Craig porte un veston noir, une chemise blanche et des souliers tout neufs en feutre brun. Son français, juste un peu hésitant par moments, fait sourire la salle : « On a fait quelque chose de belle ensemble ». N’empêche, le message passe. Charismatique, il rayonne de fierté envers tous ceux qui ont mis l’épaule à la roue.
En retour, la foule lui lève sa capette.
22h30
Ensemble Montréal
Denis Pelletier sourit comme un gamin. Il vient d’apprendre, il y a quelques minutes à peine, que si la tendance se maintient, il sera maire de l’arrondissement Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles. « C’est irréaliste », réagit celui qui vient tout juste de faire le saut en politique. « On a plein de projets. On est des visionnaires, pis on a aussi beaucoup d’espoir à donner aux gens de chez nous. Ça fait trop longtemps qu’ils ont été oubliés, dans l’Est. » Sa mission pour les quatre prochaines années : développer ce secteur de la ville « comme il se doit ».
Est-il excité face à l’avenir? « Excité? Vous avez même pas idée! », répond-il, fébrile.
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Projet Montréal
Les partisans attendent Luc Rabouin sur un air entraînant des Cowboys Fringants. Aux premières loges, on reconnaît quelques élus de son parti qui ont conservé leur siège. Le moral demeure très bon, les sourires l’emportent sur les mines basses.
Je recroise Viviane, la bénévole qui a fait campagne avec Carla Beauvais (réélue). Elle prend les choses avec philosophie. « J’espère que les gens élus vont faire leur courbe d’apprentissage et apprendre leurs dossiers. Au municipal, le citoyen a du pouvoir, c’est important de leur rappeler », souligne la jeune femme, qui demeure optimiste quant à l’avenir, malgré la défaite de son parti.
Bref, si on annonce un jour la fin du monde, je veux vivre mes derniers moments avec la gang de Projet Montréal.
23h00
Ensemble Montréal
L’arrivée de la nouvelle mairesse se fait attendre, et les journalistes s’impatientent. Pour passer le temps, une preneuse de son se déhanche sur Superstition de Stevie Wonder, pendant que les partisans s’agglutinent devant la scène.
On nous annonce qu’on s’apprête à nous présenter un montage vidéo avant d’accueillir Martinez Ferrada. Sauf que, problème technique : à l’écran, une roue load dans le silence. « C’est comme avec Projet Montréal, ça tourne en rond! », crie un homme en riant.
Après le visionnement de cette vidéo, Martinez Ferrada fait enfin son entrée triomphale. « ON T’AIME, ON T’AIME, ON T’AIME », hurlent des supporteurs.
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Alors que la cheffe de l’ancien parti de Denis Coderre entame son discours, la soirée fait face à un deuxième problème technique : son micro ne fonctionne pas. Pas de problème, la nouvelle mairesse est une femme de solutions. Elle s’empare du headset de l’animatrice et reprend son allocution. Un peu moins classy, mais ça fera l’affaire.
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Soraya poursuit son discours rassembleur, dans lequel elle promet à ceux qui n’ont pas voté pour elle qu’elle sera leur mairesse à eux aussi. « Pour la première fois de son histoire, Montréal a élu une personne de la diversité pour diriger la plus grande métropole du Québec », dit-elle fièrement devant une foule en délire.
Projet Montréal
« Luc, Luc, Luc! », scande d’une seule voix la foule toujours chauffée à bloc lorsque le chef de Projet Montréal se présente finalement devant ses partisans. D’emblée, il admet que la soirée a été difficile et y va d’une dure introspection. « J’assume pleinement la responsabilité de cette défaite. J’ai donné tout ce que j’avais, mais ça n’a pas suffi! », lance-t-il avec franchise, tandis que sa femme et ses enfants vivent un moment d’émotion au pied de la scène. La foule l’applaudit chaleureusement, refusant de le voir prendre seul le blâme sur ses épaules. Il qualifie d’« honorables » les résultats de son parti, « face à un vent de changement qui soufflait très fort ».
Bon joueur, il a félicité son adversaire Soraya Martinez Ferrada pour sa victoire, qu’il qualifie d’historique pour la communauté latino-montréalaise.
Avant de quitter la scène, il annonce sa démission à la tête de Projet Montréal. Un discours digne, révélant – un peu trop tard – un homme intègre et sincère, qui aurait dû miser là-dessus plutôt que sur des pitreries sur TikTok. S’il est noble de prendre la faute de la défaite, Luc Rabouin se battait aussi contre un adversaire des plus pernicieux : l’usure du pouvoir.
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Pendant que j’écris ces lignes, le maire rosemontois François Limoges accepte enfin de me parler. Malgré la défaite de son parti, il a remporté une victoire convaincante dans son arrondissement, avec 10 564 voix d’avance sur Sandra O’Connor d’Ensemble Montréal. « Projet Montréal est un mouvement citoyen, dans lequel des gens se sont rassemblés derrière des idées grandioses, on va continuer le travail », promet le maire de Rosemont, pressé de se retrousser les manches. En terminant, il avait quelques mots pour ses citoyens qui lui ont refait confiance : « Je suis très touché. On va continuer pour eux, de concert avec l’administration en place. »
Transition Montréal
Accoté au bar, je tombe sur le principal intéressé. Quatrième avec un maigre 8,5 % de la tarte, Craig Sauvé garde le sourire et, bon perdant, il félicite même la nouvelle mairesse. « On a fait une belle campagne. On a réussi à faire bouger les lignes, à changer le ton du débat, surtout sur la question palestinienne. C’est sûr qu’on aurait voulu un plus gros caucus, mais la polarisation est forte à Montréal. On va bâtir là-dessus, rester dans le paysage. »
Craig promet d’ailleurs de demeurer en contact avec chacun de ses candidats, de s’asseoir avec eux et d’organiser un congrès des membres. Bref, ça n’est pas un adieu, mais plutôt une mise au monde.
On se quitte à regret, se serrant les mains dans cette salle où tout le monde se connaît. Une pancarte passe de table en table, chacun y laisse un mot, une signature, un souvenir. La première campagne, ça ne s’oublie jamais.
Je repars en empruntant le REV Saint-Denis, la piste cyclable préférée des Montréalais. Elle, au moins, ne risque rien. C’est plutôt le rêve qu’elle porte qui, ce soir, prend un peu l’eau.
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23h30
Ensemble Montréal
Après son discours victorieux, la mairesse descend de la scène et entreprend de traverser la salle de la TOHU. Les minutes qui suivront relèvent d’un véritable fever dream.
Des dizaines de personnes encerclent la mairesse. Les flashs des Kodaks retentissent, partisans et journalistes se l’arrachent : câlins, mots d’admiration, questions, selfies. L’attroupement grandit et on y est bientôt entassés comme des sardines.
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« Pauvre elle, c’est comme une game de football », commente l’une des sardines en question. Un groupe de juifs hassidiques se fraye un passage jusqu’à la mairesse pour la féliciter.
Après que Soraya se soit éclipsée, j’attrape l’un d’entre eux, Zev Feldman. « Je suis ici pour célébrer la nouvelle mairesse qui a mené une campagne axée sur l’inclusivité, sans haine et sans division, contrairement à d’autres candidats, m’explique-t-il en anglais. On croit très fort qu’elle sera une voix pour nous tous. »
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Minuit passé. Les ballons sont à moitié dégonflés, les bénévoles aussi. Dans les bars comme dans les salles de conférence, il ne reste plus que des miettes et des bribes de conversations enivrées.
Soraya s’endort mairesse, Luc s’éclipse, Craig vide sa dernière pinte. Trois salles, trois ambiances, une même ville à rapiécer dès le lendemain matin. Parce que demain, Montréal reprendra vie avec ses cônes orange, ses pistes cyclables et ses chicanes d’arrondissement.
Les pancartes finiront au recyclage, les slogans aussi. Mais quelque part, entre deux ruelles et trois chantiers, le souffle de la démocratie persiste. Malgré le taux de participation famélique, il s’accroche, obstiné, entre lassitude et foi.
Le peuple a parlé. Un peu morose, mais encore vivant.

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