Alors que les élections fédérales viennent de balayer le Nouveau parti démocratique (NPD) et son chef Jagmeet Singh sur le passage, Rosemont–La Petite-Patrie a une fois de plus tenu le coup, ultime forteresse sur le territoire québécois. Son député Alexandre Boulerice y a été réélu pour un cinquième mandat consécutif, demeurant le seul néo-démocrate au Québec depuis 2019.
« Ici, tu peux voter avec ton cœur, parce que tu sais que tu vas gagner », déclare M. Boulerice, avec ce regard sûr de ceux qui parlent d’expérience.
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LE VILLAGE GAULOIS
Cet avant-midi, le soleil brille sur l’arrondissement Rosemont–La Petite Patrie. Des passants défilent en t-shirt devant des poteaux encore décorés de pancartes orange, vestiges de la lutte qui a connu son dénouement lundi. Assis au café portugais Chiado n°28 sur la rue Beaubien, Alexandre Boulerice sirote un latte.
La semaine du député a été particulièrement mouvementée. Sa formation politique a perdu 17 sièges, son chef, et son statut de parti officiel. Dans l’ensemble du pays, Boulerice est l’un des seuls sept candidats du NPD à avoir été élu.
Pas de temps à perdre : il faut se retrousser les manches.
– Quand Hélène Laverdière était députée du NPD dans Laurier–Sainte-Marie, on se chicanait tout le temps pour savoir quel quartier était le plus à gauche, se souvient avec humour M. Boulerice. Je pense que j’ai gagné.
– L’image du village gaulois, ça vous parle?
– Non seulement ça me parle, répond-il, mais les gens m’en parlent aussi. Même nos téléphonistes qui faisaient des appels pour faire du pointage pendant la campagne nous disaient : « Les gens nous disent : “On est le village gaulois et on en est fier.” » Ça devient un marqueur identitaire. Ici, on est le point orange, à gauche, au Québec.
Le député s’interrompt un instant et sourit.
– Après, il y a des gens qui disent que je suis Astérix. Moi, je dis que je suis plutôt Obélix. C’est une question de perspective, dit-il, en haussant les épaules.
Un Obélix tombé dans la potion orange flash.
AU CŒUR DE L’IDENTITÉ DE ROSEMONT
« Je pense que c’est vraiment ici, l’arrondissement, le lieu le plus progressiste en Amérique du Nord », affirme sans détour le maire de Rosemont–La Petite-Patrie, François Limoges, non sans sourire fier.
Le maire, élu de Projet Montréal, a grandi dans un bloc appartement au cœur de l’arrondissement, qui, se souvient-il, sentait toutes sortes de petites misères. Il est, depuis sa tendre enfance, aux premières loges de la solidarité qui règne dans ce coin de la ville. « On a une population qui est extraordinairement communautaire, engagée. Engagée dans la transition écologique, climatique, puis avec des valeurs profondément progressistes. »
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Une population composée d’écolos, de végétariens, de cyclistes, d’acheteurs de produits locaux, et de défenseurs des droits de la personne.
« C’est beaucoup de jeunes familles qui ont quand même un bon revenu, des études postsecondaires et un mode de vie très urbain. Très BIXI, très course à pied, circuit court, on se fait livrer du Lufa à la maison », illustre pour sa part Vincent Marissal, le député de Québec solidaire dans Rosemont.
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Il souligne que le sentiment d’appartenance est fort parmi les citoyens du quartier.
« Ils sont d’abord Rosemont, ensuite Montréal. »
« Je n’ai honnêtement jamais eu de doute sur la réélection d’Alexandre », affirme par ailleurs M. Marissal, malgré la menace des États-Unis et l’incitation au vote stratégique. « Il connaît son terrain, les gens le connaissent : il n’a plus besoin de se présenter. »
Ici, on vote avec son cœur, coûte que coûte.
DES CITOYENS CONSCIENTISÉS
Si les casquettes Ciele, les bottes Blundstone et les tote bags abondent dans le quartier, il serait faux de croire que ce dernier n’est peuplé que d’adeptes de vin nature et de lait végétal.
« Il y a beaucoup de pauvreté dans Rosemont–La Petite-Patrie », souligne M. Boulerice en pointant, à travers la fenêtre du café, le bloc défraîchi de l’autre côté de la rue. Devant l’immeuble passent des jeunes du coin, une bouteille de fort à la main, avant de traverser la rue pour rejoindre des amis au barber shop, quelques portes plus loin.
« Je suis dans une rare circonscription où il y a des électeurs qui me disent : “S’il vous plaît, montez mes impôts.” Parce qu’ils sont conscients de la nécessité de la redistribution de la richesse et de la lutte à la pauvreté. »
« Ces valeurs-là existent parce que les gens les portent, puis les gens s’installent ici parce qu’ils y trouvent ces valeurs, ajoute le maire Limoges. Donc, c’est un quartier qui devient de plus en plus progressiste, de plus en plus solidaire, et pas au sens du parti politique – au sens d’une solidarité entre les gens qui est extrêmement forte. »
TRIPLEMENT PROGRESSISTE
Cet ancrage à gauche ne date pas d’hier.
Avant l’arrivée de M. Boulerice au pouvoir il y a 14 ans, la circonscription fédérale de Rosemont – qui, à travers les années, à changé de nom et a été redécoupée pour devenir Rosemont–La Petite-Patrie – penchait plutôt pour le Bloc québécois.
Au provincial, Québec solidaire a conquis le cœur de Gouin en 2012 avec son ex-coporte-parole Françoise David, avant que Gabriel Nadeau-Dubois ne prenne sa relève dans la circonscription. Dans Rosemont, Vincent Marissal est député depuis 2018. Avant de passer au orange, cette circonscription a longtemps été un bastion péquiste.
Et au municipal, le maire François Limoges n’est pas le premier à porter les couleurs de Projet Montréal. Son prédécesseur, François Croteau, était aussi affilié à ce parti aux valeurs progressistes.
Comme quoi on ne change pas une recette gagnante.
UN AVENIR INCERTAIN
Alexandre Boulerice prend une gorgée de café. Sa tasse est presque vide.
– Et quelle est la suite pour le NPD?
Le député baisse les yeux pour regarder l’heure.
– J’ai une réunion à 13h, puis une autre à 16h. Elles vont décider des choses pour le futur…
Il marque une pause, l’air pensif.
– Mais là, on n’est plus un parti officiel, continue-t-il. Je n’ai jamais vécu ça. Ça, ça veut dire beaucoup moins de ressources financières.
Il rappelle toutefois que le gouvernement libéral a été élu minoritaire et qu’il aura besoin d’un appui, ce qui pourrait avantager les néo-démocrates dans les négociations à venir.
– Et qu’en est-il du poste de chef? J’imagine que vous avez été sollicité?
– Les gens m’en parlent beaucoup. Mais […] c’est beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail, être chef d’un parti fédéral, et le Canada, c’est très, très, très grand, répond-il, en insistant sur les mots « beaucoup » et « très ». Puis moi, j’aime bien être à la maison, des fois, avec ma conjointe et mes enfants.
Il lâche un rire léger.
– Donc, je ne suis pas vraiment intéressé par le poste de chef, continue-t-il. Chef par intérim, peut-être. Le temps qu’on se revire de bord et qu’on choisisse quelqu’un. Ça, je pourrais faire la job pendant un petit moment.
– Donc, on ne vous verra pas chef du NPD?
M. Boulerice secoue la tête en souriant tendrement. Non.
Bien que l’avenir de sa formation politique reste incertain après une telle déconfiture, une chose est sûre : Rosemont–La Petite-Patrie demeure entre bonnes mains.
Le village gaulois n’a pas dit son dernier mot.