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La nuit s’installe au cœur du centre-ville de Montréal. Avant que les cercueils ne s’ouvrent, la rue Sainte-Catherine se donne en spectacle : breakers, prêcheurs, ados, toxicos, touristes, troupeaux d’initiations, chars sport. Tout y est.
En retrait de ce capharnaüm aux mille saveurs, chapeaux hauts de forme, oreilles de Nosferatu et ailes de chauve-souris s’agglutinent à l’ombre du Piranha bar. Les trois étages de ce complexe improbable accueillent la traditionnelle soirée du Gothfest, grand rituel alternatif de fin d’été qui souffle cette année ses huit bougies. La foule est encore maigre, mais un party de vampires qui se respecte débute bien après la tombée du jour.
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Petit à petit, d’autres noctambules s’y greffent, agrandissant un attroupement qui ne passe pas inaperçu, causant sourires et moqueries chez les badauds pris de court. Un jeune McGillois découvrant la métropole, les manches fièrement déchirées, s’arrête pour flexer devant ses nouveaux amis à côté d’un maigrelet en corpse paint qui vape. La fracture, aussi souhaitée qu’évidente, désole d’ignorance.
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À l’intérieur de la salle de spectacle, l’homogénéité est reine et les archétypes affichent délicieusement complet : maquillages blafards, boucles d’oreilles en pentagramme, grandes bottes lacées, corsets de cuir, lentilles de couleur, ombrelles et longs pinch. Le choix est vaste, quoique régi par des codes précis.
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Entre ginto, photobooth et musique industrielle, on m’accueille avec la même gentillesse qu’à ma présence au pique-nique de l’été dernier; les vampires sont affables et décomplexés malgré l’audace du décorum. S’il y a bien quelques normies qui accompagnent, on représente l’extrême minorité. En espérant finir la soirée en un seul morceau.
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Au bar, des émules de Bela Lugosi cassent au pool tandis que le sous-sol est occupé par le marché de l’obscurité, où douze artisan.e.s présentent leurs créations : tatouages, piercings, joailleries, jouets pour chat, fouets, chandelles, les classiques gothiques sous toutes leurs déclinaisons.
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Vers 22 h, la place est jam packed sous l’éclairage écarlate. Enrobé dans la nuit, l’événement a nécessairement un côté plus kinky qu’en plein après-midi. « On demande à ses victimes avant de les mordre », avertit l’animatrice de la soirée, Evora Night. Comme quoi les mœurs des morts-vivants évoluent en phase avec ceux de la société.
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Un cabaret burlesque proposant sept performances débute par un théâtre de domination encagée. S’ensuit improvisations, faux-sang au visage et danse du ventre par un satyre.
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Une goule aux dreads blancs démontre son talent au maniement d’un bâton de feu sans feu (bar oblige). Les applaudissements fusent devant une mise en scène cannibale-lesbienne.
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Entre chaque numéro, Miaow, un larbin félin, s’occupe docilement de nettoyer le stage.
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Strip-tease, bout de fesse et séduction des corps, le kink est ludique. L’aspect coquin, à mon avis inhérent au gothisme, s’affiche accessible et de bon goût. Des couples s’embrassent et des rencontres se font, juchées sur des souliers plateformes.
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Le vampirisme n’est qu’un thème, mais son énergie séductrice est manifeste. Créature de la tentation et d’extrême fascination, les nombreuses caractéristiques du vampire, dont sucer le sang, en ont fait l’un des monstres les plus sexus de notre folklore populaire.
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Maquillages raffinés, jupes en latex et fishnet vaporeux, la gente féminine révèle une grande maîtrise des nuances du dévoilement par le travail des couches et l’art du détail. Les choix exprimés par les accoutrements deviennent à la fois une quête d’émancipation et une façon de communiquer.
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Dans l’espace peu éclairé, je dois me résoudre à utiliser un flash pour croquer certains moments, conscient qu’une lumière aussi agressive dans une soirée vampiresque n’a aucun sens. Bien gênant à demander, mais les réponses vont de « Ne sors pas d’ail et c’est cool » à « J’espère ne pas fondre » et « Je serai invisible sur les négatifs ». Une chance que les vampires ont le sens de l’humour et de l’appétit pour la lentille. Par sécurité, il n’y a pas de miroir dans les toilettes.
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Lorsque la foule se déverse dans la rue lors des entractes, la confrontation avec la réalité est inévitable. Un vampire à la noblesse victorienne montre ses canines pointues à une dame terrorisée qui s’enfuit en courant. Les rires éclatent. L’irrévérencieux vit à travers le regard de l’Autre.
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Daniel, comptable longueuillois de jour et bidouilleur de personnages la nuit, explique : « Mon fétiche, c’est les costumes. Me déguiser, c’est pour me sortir de l’ordinaire, me tenir loin de l’ennui et du brun. Que ce soit en monstre de Hell Raiser, sorcier ou Dracula, tout est un théâtre assumé », raconte celui qui dessine tous ses costumes, aidé d’une couturière à la confection.
Si quelques-un.e.s sont des initié.e.s de longue date, comme Marc, nostalgique de sa jeunesse gothique dans les années 80, d’autres sont à leur premier événement, visiblement moins confortables avec leur reflet en public, mais les compliments mordent de partout.
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Sylvain m’exhibe gentiment ses crocs acérés. Professionnel de la démolition et ancien mannequin alternatif, il se rendait jadis au pique-nique gothique dans le parc du château de Versailles avant qu’il n’entre en contact avec la scène montréalaise, dont il fait partie depuis une dizaine d’années.
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Claudia, étudiante en graphisme au cégep, est venue seule. « Mon chum est trop gêné pour se maquiller », me confie-t-elle en promettant de ne pas écrire son nom. On salue le courage de ses convictions.
Philosophie de vie pour certain.e.s, follerie d’un soir pour d’autres, l’apparat peut définir bien plus qu’une simple esthétique, comme le rappelle Axel, l’une des personnes responsables de l’organisation de l’événement : « La musique et le vêtement sont les portes d’entrée dans l’univers gothique, mais ce n’est qu’un premier pas dans la communauté. »
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La scène est par la suite prise d’assaut par un band de screamo au look épouvantail-squelettique-joker. La foule galvanisée répond par du headbang et des sauts enivrés.
Un groupe de nu-métal poursuit la mascarade alors que mes tympans semblent avoir bel et bien explosé pour de bon.
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Au moment de quitter, bien après minuit, le barman ne s’est pas encore fait empaler et Blade semble être en congé. « Un terrible succès », me confie Axel en riant, épuisé.e, mais satisfait.e de la magie qui se déploie devant nous.
Une communauté avec le vent dans les capes, attirant des enthousiastes de tous les origines, genres et âges, rassemblé.e.s sous le signe décadent de l’extase costumée et de la différence, somme toute, d’un plaisir honnête, presque banal.
La nuit des vampires est immortelle, le dance floor est plein, la fête doit continuer.
Et j’ai survécu.