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Un homme, ça demande de l’aide (en ligne)

On parle de ces offres de santé mentale masculine sur le web avec un expert.

Par
Benoît Lelièvre
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Tout a commencé lorsque je me suis fait cibler sur Facebook par cette publicité.

Étant moi-même intervenant en santé mentale à mes heures, je suis familier avec la détresse au masculin. On a beau remettre en question les notions de genre depuis une décennie, certains stéréotypes sont encodés profondément dans le subconscient collectif. Et l’un des stéréotypes qui cause beaucoup de dommages est celui qu’un homme, ça demande pas d’aide. Ça règle ses problèmes tout seul. J’y suis confronté continuellement en première ligne. Même quand un homme demande de l’aide, c’est difficile d’être vulnérable et de simplement se laisser aider.

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Une trousse de soin en santé mentale m’apparaissait d’entrée de jeu comme quelque chose de productif. Sauf que, lorsque j’ai visité le site en question, j’ai eu des doutes. La trousse en question comprend quatres services :

Un questionnaire d’autoévaluation pour l’anxiété et la dépression (à la suite duquel il est clairement expliqué que l’information fournie n’a aucune valeur médicale)

Une offre de téléthérapie en partenariat avec TELUS (expirée en date du 30 juin)

Un ASMR de tondeuse à gazon (WTF)

Des liens vers d’autres ressources plus spécialisées.

Ça aide-tu vraiment quelqu’un, ça, ou bien est-ce que ça incite à continuer d’essayer de régler ses problèmes tout seul?

Curieux de comprendre à quel genre d’aide un homme en détresse pourrait s’attendre sur internet, j’ai fait la démarche par moi-même.

Masculinité et détresse 101

La trousse CerveauForme de la Fondation pour la santé des hommes au Canada est l’une des rares offres d’aide en santé mentale pour hommes qui fait la promotion de son service sur les réseaux sociaux à l’heure actuelle, mais elle ne fait pas cavalière seule sur le web. Parmi la multitude de services, j’en ai recensé quatre majeures et par « majeures », j’entends les offres faciles à trouver (première ou deuxième page de résultats sur Google) et venant d’une source crédible, comme une fondation ou un regroupement sérieux dédié à la santé. Une offre que j’estimerais solide si j’étais en détresse.

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J’en ai donc recensé quatre : celles de la Fondation pour la santé des hommes au Canada, Movember, l’Association Canadienne pour la Santé Mentale et Hommes Québec. Il en existe plusieurs autres, mais d’un point de vue d’utilisateur, ce sont les quatre auxquelles j’aurais fait instinctivement confiance.

Le premier point de contact

« La recherche d’aide chez les hommes, ça commence souvent par une recherche sur Internet. Alors oui, c’est très important d’avoir des points de contact sur le web », m’explique Jean-Martin Deslauriers, professeur et chercheur à l’école de travail social de l’Université d’Ottawa spécialisé en santé mentale masculine.

« C’est vrai que les hommes ont moins tendance à demander de l’aide. Ceux qui en demandent attendent souvent très longtemps avant de le faire. Il va y avoir des signaux d’alarme inquiétants : de la difficulté à se lever le matin, à se raser, à faire les petites choses. J’ai déjà entendu des phrases comme : “Je pensais à me suicider, mais je me suis dit que j’essaierais quelque chose avant ça”. Des offres d’aide en santé mentale comme ça, c’est souvent un premier point de contact avec des hommes qui n’ont pas encore signalé leur détresse », continue-t-il.

Oui, mais encore? Les outils proposés ont-ils une utilité réelle ou un impact quelconque dans la vie d’un homme en détresse?

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À première vue, le formulaire d’autoévaluation pour l’anxiété et la dépression de la Fondation pour la santé des hommes au Canada m’apparaît particulièrement contreproductif. Après avoir répondu à une série de questions très imprécises à propos de nos propres humeurs et lu un non-diagnostic qui nous invite à consulter un médecin en cas d’inquiétude, qu’est-ce qui se passe? C’est déjà assez difficile et vulnérabilisant de demander de l’aide. Est-ce que ce ne serait pas un peu invalidant de faire tout ce processus pour finalement se faire dire d’aller consulter?

Jean-Martin Deslauriers apporte un bémol à mes inquiétudes : « Lorsqu’on parle d’une clientèle masculine, il faut garder en tête qu’on parle de gens qui partent de loin. Certains n’ont même pas encore réfléchi à leur détresse. Oui, il y a un danger d’autodiagnostic et de fermeture à une demande d’aide, mais ces points de contacts ont aussi un usage éducatif. C’est important de mettre des mots sur une condition afin de pouvoir comprendre ce qui nous arrive. Un formulaire d’autoévaluation, ça sert en partie à ça. À confronter quelqu’un en détresse au fait que ce qui lui arrive, ça a un nom et ça peut se traiter. Ceci dit, une offre en ligne d’aide de service en santé mentale doit servir d’abord et avant tout de passerelle vers des organismes et des services appropriés. C’est la porte d’entrée vers un processus de soins », m’assure-t-il.

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Les problèmes des hommes et les problèmes que causent les hommes

C’est en s’intéressant aux causes de la violence conjugale, de l’inceste, des agressions sexuelles et autres crimes plus couramment commis par des hommes que Jean-Martin Deslauriers s’est aussi intéressé à leur santé mentale.

« Si on définit une crise comme une période de changements. On pourrait dire que la masculinité est en crise, oui », me répond-il lorsque je lui demande son opinion sur l’affirmation favorite de Jordan Peterson. « Ceci dit, les femmes ont connu aussi leur période de changements. Quand on leur a finalement dit “allez-y, vous êtes bonnes, foncez”, elles se sont redéfinies elles-mêmes ainsi que leur place dans la société. Elles se sont beaucoup posé de questions sur les idées établies, mais ces questions-là, ce sont les hommes qui doivent y répondre. C’est toujours plus difficile de répondre aux questions plutôt que de les poser. »

« Un gars, ça a beau être fort, mais même un tank a besoin d’un check up au garage une fois de temps en temps, » illustre M. Deslauriers.

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Jean-Martin Deslauriers croit qu’il est important d’altérer l’approche lorsqu’on s’adresse à des hommes en crise, surtout au sens large, comme dans le cadre d’une offre d’aide en ligne. « C’est important de prendre un vocabulaire qui n’est pas culpabilisant et qui prend en considération le parcours de l’homme en détresse. Tu peux pas aider quelqu’un s’il se braque et se referme », précise-t-il en me suggérant d’aller consulter allume.org, une référence qui utilise un langage automobile pour faire des parallèles avec celui de la santé mentale masculine.

Le verdict

Ce qu’on doit comprendre du marché en ligne de l’aide en santé mentale pour hommes, c’est qu’il est à l’image d’une réalité encore trop répandue : les hommes ne demandent pas d’aide. Les offres se veulent toutes bienveillantes, mais leur caractère souvent générique est le reflet d’un auditoire élusif et encore mystérieux à bien des égards.

Pour avoir de l’aide adaptée à diverses problématiques à portée de main, il faudrait avoir une meilleure idée de ce que vivent une plus grande majorité d’hommes en crise et pour ça… eh bien, il faut demander de l’aide.

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Si j’avais une médaille d’or à décerner à la suite de ma conversation avec Jean-Martin Deslauriers, elle irait à celle d’Hommes Québec, une offre en ligne qui traite en amont de plusieurs thématiques susceptibles de causer des problèmes dans la vie d’un homme, comme l’impulsivité et le désir. Le format vidéo dans la section À propos de nous emmène aussi de façon plus claire et nuancée les services d’aide mis de l’avant. C’est plus facile de se sentir concerné et de comprendre comment le regroupement peut nous venir en aide en situation de détresse.

Mais bon, ce n’est pas une compétition. Si Jean-Martin Deslauriers m’a rassuré sur une chose, c’est que tout point de contact est positif s’il fournit aux hommes le vocabulaire nécessaire pour comprendre ce qui leur arrive et fait le relai vers les ressources appropriés aux différents besoins.

Donc si ça ne va pas et que vous ne comprenez pas trop qu’est-ce qui se passe avec vous, commencez ici.

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