« Je viens d’un milieu comme ça où j’ai vécu beaucoup de violence. C’est pour ça que j’ai accepté de jouer le rôle de Christophe, au départ. C’est important pour moi que le monde comprenne qu’on a encore énormément de chemin à faire à ce propos », me confie Roy Dupuis au téléphone.
À coeur battant tirera sa révérence après deux saisons, et je ressens un certain soulagement chez celui qui continue d’épater par sa polyvalence.
« J’ai besoin d’un break. J’ai une écœurantite du gros drame émotionnel. »
Le légendaire acteur est actuellement au Festival international du film de Toronto pour faire la promotion du film de Guy Maddin, Rumours, dans lequel il interprète le Premier ministre du Canada.
« J’ai tout d’abord dit non au rôle à cause de ça, mais le personnage m’a habité jusqu’à ce que je rappelle pour demander si je pouvais encore le faire. Je suis très content de l’avoir fait, mais pour le futur immédiat, je jouerais plus un genre de cowboy à la Sergio Leone, mettons. »
Pour la créatrice d’À cœur battant (et sa distribution), c’est aussi la fin d’une aventure des plus exigeantes sur le plan émotionnel. Écrire et interpréter une série avec un point de vue qui diverge de la norme à propos de la violence chez les hommes, c’est une énorme responsabilité. Surtout pour les interprètes.
« Chaque semaine, j’étais consciente que des personnes violentes et des victimes de violences allaient regarder l’épisode d’À cœur battant et que ça ferait réagir », explique l’auteure Danielle Trottier.
Même si les réactions sont positives et le public engagé au possible, À cœur battant sera débranchée à la fin de cette nouvelle saison. Ça sera un deuil à faire, mais c’est probablement pour le mieux. Il faut savoir dire au revoir aux séries qu’on aime lorsqu’elles ont encore quelque chose à raconter plutôt que de les étirer jusqu’à ce qu’un diffuseur finisse enfin par abréger leurs souffrances.
À cœur battant fera donc trembler les ondes cet automne pour la dernière fois. Tenez-vous-le pour dit, ça sera plus intense et volatile que jamais.
Le choix au cœur du récit (et au cœur de la guérison)
Dans cette ultime saison, Christophe (Dupuis) et Gabrielle Laflamme (une Ève Landry toujours aussi efficace) sont tous deux rattrapés par le passé. Alors que la procureure se braque dans ses convictions, Christophe, lui, s’écroule et se réfugie dans une vieille relation toxique à laquelle il avait tourné le dos depuis de nombreuses années : la bouteille.
« Christophe est un personnage particulier parce qu’il a un passé violent, mais il a aussi été victime de violence », explique Danielle Trottier (Toute la vie, Unité 9).
« À travers lui, je voulais montrer qu’on peut choisir la non-violence. Qu’on peut décider de faire du monde un endroit meilleur »
À cœur battant emmène Christophe à la croisée des chemins. Trottier met la pédale douce sur la série d’intrigues dramatiques ininterrompues et les interactions d’ensemble qui prenaient beaucoup de place à la fin de la dernière saison et ramène la douleur, la colère et la kyrielle de dommages irréversibles causés par la violence.
On n’est plus exactement dans la relation d’aide aux hommes violents, mais plutôt dans le choix d’emprunter ou de renoncer à ce chemin qui semble tracé dès qu’on devient la victime de quelqu’un. Surtout de quelqu’un qu’on aime. Je vous mets d’ailleurs au défi de rester de glace lorsque le vieil ami de Christophe, Fred (Martin Dubreuil), lui demandera de se libérer du secret qui le ronge pour se faire répondre par ce dernier : « J’ai peur de mourir si j’en parle. »
Cette période douloureuse, mais charnière pour Christophe, est ce qui meuble ce dernier tour de piste.
Démoli et vulnérable, l’intervenant idéaliste devient proie à toutes formes d’agressions, physiques ou émotionnelles. Roy Dupuis interprète avec le doigté qu’on lui connaît cette zone grise entre le contrôle et le chaos. On sent un personnage qui tire sa fierté de sa maîtrise de lui-même glisser vers quelque chose de plus volatile, de plus menaçant envers sa propre personne, mais aussi envers les autres.
J’avais peur qu’À cœur battant ait perdu le nord, à la fin de l’hiver dernier, mais Danielle Trottier et la réalisatrice Louise Archambault ont su ramener au centre de la série cette question qui l’anime : que faire de la violence que l’on vit?
Incarner la violence pour la prévenir
Une série comme À cœur battant, c’est beaucoup de pression sur les épaules d’une équipe de création. Il s’agit d’un problème bien réel et l’incarner de manière stéréotypée pourrait nuire à de réelles victimes. Le sociologue français Daniel Welzer-Lang étudie les hommes violents depuis bientôt 40 ans et il est catégorique : ils ne sont pas des fous dangereux sans aucun contrôle sur leurs gestes. Ils viennent de partout et n’ont pas un profil type.
Danielle Trottier a aussi fait ses recherches auprès d’hommes violents et comprend très bien les dommages que peut causer une mauvaise représentation.
« J’ai tellement entendu d’hommes me dire “je savais pas que j’étais violent”. De leur point de vue, ils se défendent contre une attaque perçue. Que ce soit une attaque physique, psychologique ou émotionnelle. »
J’ai aussi demandé à Roy Dupuis, à la lumière de son interprétation de Christophe, ce que les gens comprennent mal à propos de la violence, tant du point de vue des victimes que de celui des agresseurs. Il m’a redirigé vers une étude de l’Université Harvard à propos de la violence commise envers les enfants.
« La violence, c’est comme un virus. C’est pas toutes les victimes de violences qui deviennent violentes elles-mêmes, mais c’est comme ça qu’on crée des personnes violentes. Quand on en est témoins, on est portés instinctivement à se ranger du côté des victimes et à se braquer contre les agresseurs, mais il faut voir plus loin que ça. »
12 nouveaux épisodes d’À cœur battant seront disponibles cet automne. C’est encore trop rare d’avoir une série qui brasse comme ça au Québec.