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Un cake au yogourt, de la vanille et de l’amour

Comment un gâteau français prend des airs de Madagascar lorsqu’il arrive au Québec.

Par
Billy Eff
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URBANIA et La Famille du lait s’associent pour vous présenter les portraits de néo-Québécois et de la place qu’occupe le yogourt dans leurs recettes quotidiennes.

Après avoir été transporté vers le Levant avec une recette de kibbeh bi labban, et en Algérie avec un matlouh réinventé, j’ai envie de dépayser Will, mon ami et photographe, une dernière fois. Bien que je sois né à Madagascar, j’ai grandi au Québec avec relativement peu de proximité culturelle avec mon pays d’origine. J’ai donc demandé à une maman malgache de nous préparer un plat phare de son répertoire.

la cuisine exsude une odeur intense, presque sensuelle, de vanille. «Je voulais être certaine que tout serait parfait, donc j’en ai préparé d’avance!», dit-elle en riant.

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Lorsqu’on arrive chez Lalaina le matin de la Saint-Valentin, la cuisine exsude une odeur intense, presque sensuelle, de vanille. « Je voulais être certaine que tout serait parfait, donc j’en ai préparé d’avance! », dit-elle en riant. Sur le comptoir de la cuisine, de magnifiques gâteaux fraîchement sortis du four reposent dans un plat. En les regardant, je me dis que c’est curieux, qu’ils n’ont pas l’air d’avoir grand-chose d’exotique ou de malgache.

Crédit photo: William Goulet
Crédit photo: William Goulet

J’ai connu Lalaina lorsqu’elle est arrivée au Québec avec sa famille, en 2004. Nos familles se sont liées d’amitié, j’ai souvent gardé ses deux plus vieux, et elle me récompensait de sa cuisine généreuse et de ses desserts gourmands. Mais c’est la première fois de ma vie adulte qu’on se revoit, et j’avais toujours, à tort, supposé que cette infirmière de profession était autodidacte en cuisine.

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« Avant de quitter Madagascar, j’ai suivi une formation en pâtisserie dans une école hôtelière », m’explique-t-elle. « Je me suis dit que ça pourrait me servir en arrivant ici. Le cake au yogourt est une des premières recettes que j’ai apprises. » Depuis, c’est une collation qu’elle prépare souvent pour ses trois enfants, qui ne s’en lassent pas.

«Le cake au yogourt est une des premières recettes que j’ai apprises.»

Très simples à préparer et prêts en moins d’une heure, les gâteaux de Lalaina se composent de peu. Farine, œufs, sucre, levure, comme une base de gâteau générique. Même principe que pour les gâteaux que l’on préparait lorsqu’on était enfant : on mélange d’un côté les ingrédients secs, de l’autre, les ingrédients liquides, puis on combine le tout pour avoir une pâte bien homogène. On enfourne à 360 degrés Fahrenheit, une quarantaine de minutes.

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Côté ingrédients liquides, ce qui sublime vraiment ce dessert, c’est d’une part le yogourt, qui donne au gâteau une richesse onctueuse et une texture où le moelleux et le croustillant flirtent brillamment. Un autre ingrédient clé qui donne à ce gâteau son passeport malgache trône près du batteur une petite bouteille de rhum, dans laquelle baignent de magnifiques gousses de vanille. Plutôt que d’avoir recours à un extrait de vanille, Lalaina verse quelques gouttes de rhum vanillé dans son mélange.

ce qui sublime vraiment ce dessert, c’est d’une part le yogourt, qui donne au gâteau une richesse onctueuse.

« Normalement, on peut prendre un yogourt à saveur de vanille. Mais comme Madagascar fait la meilleure vanille et qu’il m’en reste, je l’utilise! », dit-elle en demi-blague. « Rien ne la remplace pour moi. Chaque fois qu’un membre de la communauté retourne à Madagascar, je lui demande de m’en rapporter. »

Crédit photo: William Goulet
Crédit photo: William Goulet
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S’il serait chauvin de dire que Madagascar produit la meilleure vanille du monde, c’est vrai qu’elle en est le plus grand producteur. Son arôme fait partie de la vie des Malgaches dès leur plus jeune âge. Et de la nôtre aussi, étant donné la variété grandissante de produits aromatisés à la vanille de Madagascar qu’on trouve chez nous, de la crème glacée au yogourt en passant par le café. Si vous en voyez, il vaut la peine d’y goûter, c’est une expérience de vanille totalement différente.

Néanmoins, dans sa forme naturelle, elle reste un produit de luxe pour de nombreux habitants de l’île, qui continuent de se retrouver dans le palmarès des nations les plus pauvres d’Afrique. Madagascar jouit par contre d’un héritage culinaire très riche, qui s’apparente un peu aux cuisines créoles des DOM-TOM (les départements et territoires français d’outre-mer), avec des influences marquées de la France, de l’Asie du Sud-Est et des pays arabes. Les marins les plus aventureux de tous ces pays se sont retrouvés là, et le melting pot de la cuisine malgache garde toujours la porte ouverte à de nouvelles saveurs et odeurs. Le gâteau est une claire influence de la France, alors que le yogourt est fort probablement venu des marchands arabes. Encore aujourd’hui, c’est un aliment essentiel à la diète malgache. Il est préparé artisanalement et vendu dans les marchés.

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« C’est un aliment qu’on achète tous les jours, un peu comme le pain ici. Il y a encore beaucoup de gens qui n’ont pas de réfrigérateur, mais le yogourt doit se consommer frais », m’apprend Lalaina. « Les marchands ont de grandes glacières, et on en prend un comme collation en après-midi, ou sur le chemin vers la maison. Surtout si on a un bébé, on essaie de lui donner du yogourt chaque jour, parce que c’est nourrissant et plein de calcium. »

«C’est un aliment [le yogourt] qu’on achète tous les jours, un peu comme le pain ici.»

Une nouvelle fournée de gâteaux vient tout juste de sortir et embaume la cuisine. Il me faut toute ma décence pour ne pas m’en couper une grosse part et me brûler le palais avec. Malgré les protestations de Lalaina, qui voudrait que je prenne un morceau du centre, plus moelleux et tendre, je subtilise une des extrémités, bien cuite et croustillante.

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Je la brise sous le nez et les arômes lactés sont intenses. Dans le kibbeh de Nick, le yogourt était un rehausseur de saveur et de texture, et dans le matlouh d’Assia, il servait à ajouter du moelleux. Mais le yogourt est ici le goût principal de la recette de Lalaina. On n’a pas à se poser de question, c’est l’arôme et surtout la sensation ronde, pleine et nourricière qu’il laisse en bouche, avec une petite touche aigrelette sur le finale, qui donne toute sa légitimité à la recette. Au goût substantiel du yogourt s’ajoute l’essence épicée et réconfortante du rhum vanillé, qui nous fait oublier le temps moche et froid qu’il fait dehors. C’est un dessert parfaitement régressif sans être trop sucré.

Au goût substantiel du yogourt s’ajoute l’essence épicée et réconfortante du rhum vanillé, qui nous fait oublier le temps moche et froid qu’il fait dehors.

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« On n’a pas une grande tradition de pâtisserie à Madagascar. Le sucre se retrouve dans les beignets que les marchands de rue vendent ou dans la canne à sucre que les certaines personnes mâchent », conclut Lalaina. « La plupart du temps, les gens terminent leur repas avec des fruits ou du yogourt, des choses plutôt rafraîchissantes. »

Finalement, je me dis que j’avais peut-être mal jugé le gâteau, au premier abord, et qu’il est en fait parfaitement représentatif de Madagascar et de l’héritage culturel de Lalaina. Il raconte une histoire riche de migrations, d’adaptation, d’échange de saveurs et d’ingrédients. Il nourrit autant qu’il alimente la curiosité pour l’Autre.

C’est fou jusqu’où le yogourt peut nous mener.

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Vous aussi, vous voulez faire des gâteaux aussi simples que sains? Ajoutez-y du yogourt! Pour découvrir d’autres recettes réinventées, rendez-vous sur le site des Recettes d’ici!