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Trouver la permanence dans un plat, avec Nick Younès
URBANIA et La Famille du lait s’associent pour vous présenter les portraits de néo-Québécois et de leurs plats fétiches comportant du yogourt.
Les mains de Nick aplatissent la viande épicée dans le fond d’un moule. Chaque mouvement est lent, précis, comme si c’était un rituel qu’il s’efforçait de reproduire aussi fidèlement que sa mère. Libanais d’origine, Nick Younès prépare le kibbeh bi labban selon la tradition familiale.
Connu pour son côté excentrique et irrévérencieux, le fondateur d’Indecent Xposure semble d’humeur nostalgique. Pendant près de 15 ans, son dédain pour les conventions et son amour sans fin pour la culture pop ont aidé à refaçonner le nightlife montréalais. Les soirées organisées par le magazine Web, où se croisaient sans anicroche fans de heavy métal en manteau de cuir et amateurs de blog house parés des plus éclatantes couleurs fluo, restent une référence dans l’imaginaire collectif de la ville.
«Ça colle à ma personnalité, ou à mes personnalités! Beaucoup de textures, de goûts différents qui peuvent sembler incongrus, jusqu’à ce qu’on l’essaie.»
« Encore aujourd’hui, je trouve que c’est un plat bizarre », dit-il avec un sourire. « J’essaie de réduire ma consommation de viande, mais c’est un plat extrêmement carné. Ça colle à ma personnalité, ou à mes personnalités! Beaucoup de textures, de goûts différents qui peuvent sembler incongrus, jusqu’à ce qu’on l’essaie. »
Pour garnir, Nick prépare un condiment à mi-chemin entre sauce et salade, composé de yogourt nature 3 % et de concombres.
D’ailleurs, quand je lui ai demandé de me préparer un plat qui le décrit bien, il n’a pas hésité deux secondes avant de proposer ce kibbeh quelque peu différent de celui qui est cuisiné dans le reste du Levant. Une première couche de viande de bœuf hachée épicée et mélangée avec des grains de boulgour est tapissée au fond du moule rond. Dans une poêle, on fait brunir une autre préparation de viande, d’oignons, d’ail et de menthe séchée, que l’on ajoute dans le moule, avant de recouvrir d’une deuxième couche de viande hachée et de boulgour. Pour garnir, Nick prépare un condiment à mi-chemin entre sauce et salade, composé de yogourt nature 3 % et de concombres.
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Lorsque Nick Younès naît à Abu Dhabi en 1989, les Émirats arabes unis sont encore très loin du faste et du luxe que l’on associe aujourd’hui à Dubaï. C’est encore un jeune pays, à peine sorti de la guerre du Golfe, qui tente de se reconstruire et de s’imposer comme une nation puissante. Nick grandit dans une enclave confortable et bien rangée d’expatriés, où tous se connaissent, et fréquente le seul lycée français de la ville. Son père travaillant dans le monde des télécommunications, Nick se passionne très jeune pour les ordinateurs, ayant déjà accès à l’Internet haute vitesse chez lui dès les années 90.
À l’âge de 13 ans, il s’installe avec sa famille au centre-ville de Montréal. Nick et sa sœur découvrent le Plateau Mont-Royal, où ils vont à l’école, avec beaucoup d’excitation. « Tout me semblait tellement vrai! Les murs avaient des imperfections, les arbres avaient l’air naturellement placés. On voyait ça dans les films, mais notre vie à Abu Dhabi était très lisse et carrée. »
Très vite, la liberté qu’offre Montréal lui plaît. Dans ses temps libres, son père l’encourage à monter ses propres sites. Il crée notamment un blogue destiné aux fans du groupe My Chemical Romance, qu’il gère en tandem avec une amie britannique rencontrée sur le Web, et qui lui servira de porte d’entrée vers le monde de la musique.
« Après le secondaire, je me suis inscrit à Dawson dans un programme de cinéma et communications. J’ai auditionné pour la radio étudiante, qui faisait jouer beaucoup de métal à cette époque. J’ai eu le poste d’animateur, et l’année suivante, on m’a chargé de redynamiser la station. » Pas du genre à faire les choses à moitié, Nick a entrepris de grandes rénovations dans le studio, et a organisé une soirée pour le lancement. L’engouement du premier événement fut tel que les partys Indecent Xposure sont vite devenus parmi les plus courus de la ville.
Dans le calme de la cuisine, il coupe les oignons et l’ail de manière presque machinale, concentré sur la tâche mais l’effectuant avec une grâce et une sérénité déconcertante.
Dans le calme de la cuisine, il coupe les oignons et l’ail de manière presque machinale, concentré sur la tâche mais l’effectuant avec une grâce et une sérénité déconcertante. Il étale sur la première couche de viande celle qu’il vient de frire à la poêle, la dépose et prend un moment pour respirer, et continue.
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La vie de Nick a été marquée par un moment tragique, lorsqu’il a assisté de manière très personnelle au drame de Dawson. Traumatisé par les événements, il se rend compte qu’il est temps pour lui de suivre sa passion. « Instantanément, je me suis dit que si je ressortais de ça vivant, il fallait que je fasse quelque chose avec ma vie qui ait un impact. »
Et ce pari, il l’a tenu. Pendant près de 10 ans, Indecent Xposure fut une source essentielle d’information pour les Montréalais au fait de ce qui se passe. Où sortir danser, quoi manger, quoi porter : Nick a éventuellement réussi à faire évoluer son projet de cégep en marque internationale comptant des employés dispersés aux quatre coins du globe. Côté musique, il a aidé à propulser les carrières de Lunice, de Jacques Greene et de Sinjin Hawke, par exemple.
Ces réussites, il en parle nonchalamment, sans quitter des yeux la strate finale de viande qu’il appose dans le moule. Il la lisse parfaitement, mouillant le bout de ses doigts dans un bol d’eau froide. D’une main experte, il trace avec la pointe d’un couteau un motif dessus, unique à sa tradition familiale, avant de l’arroser d’un filet d’huile et d’enfourner le moule.
« Ce plat a toujours évoqué pour moi les traditions de ma famille. C’est un sentiment très nostalgique, qui représente bien le côté artistique et créatif de mes proches, qui imprègne tous les aspects de ma vie », explique le jeune trentenaire. « Je le fais rarement pour mes amis, par contre. Ça peut sembler étrange pour beaucoup de gens, car on ne le sert même pas avec du riz ou du pain », explique Younès. « C’est comme une tarte de viande, qui prend son sens seulement quand on y goûte avec le yogourt. »
Nick, qui fait un effort conscient depuis quelques années pour mieux manger, essaie d’intégrer cet aliment central à la cuisine levantine dans son régime. « J’en mange chaque jour, j’en mets dans mes smoothies ou je me fais des bols-déjeuners. C’est un must dans mon frigo! »
il faut y goûter pour comprendre le subtil échange de saveurs entre les différentes textures de viande et l’acidité naturelle du yogourt, qui vole la vedette, rendant le tout aérien et riche à la fois.
Dans le bol de yogourt servi avec le kibbeh, on distingue de gros morceaux de concombre (libanais, évidemment), des herbes séchées, et un peu de sel et de poivre. Et Nick a entièrement raison, il faut y goûter pour comprendre le subtil échange de saveurs entre les différentes textures de viande et l’acidité naturelle du yogourt, qui vole la vedette, rendant le tout aérien et riche à la fois. Les grains de boulgour craquent légèrement sous la dent, et le concombre rafraîchit le tout à la perfection.
« Au Québec, on aime déconstruire les choses et les reconstruire, en cuisine. On prend un mets, on le réinterprète, on en fait quelque chose de nouveau », conclut Nick. « Dans la tradition libanaise, rien ne change. On pourrait dire à ma grand-mère qu’un meilleur produit existe, mais rien ne la fera acheter un autre yogourt que celui qu’elle achète depuis qu’elle est petite. C’est pour ça que j’aime cette recette et que je la fais souvent. Ça fait tellement partie de mes racines que je n’ai jamais eu à demander à ma mère comment on le faisait. Et elle va toujours rester la même. »
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Tout comme il le fait pour le kibbeh de Nick, le yogourt ajoute de la texture et des protéines à vos repas. Pour découvrir d’autres recettes porteuses d’histoire, rendez-vous sur le site des Recettes d’ici!