.jpg)
TikTok et ChatGPT ont-ils vraiment détrÎné Google?
Ce soir, et Ă dĂ©faut dâautres options culinaires dans votre frigo, vous dĂ©cidez enfin dâabrĂ©ger les souffrances de ce sachet congelĂ© de brocolis qui gĂźt entrouvert dans votre congĂ©lateur depuis la premiĂšre prĂ©sidence de Donald Trump.
Sauf quâaprĂšs une inspection grimaçante de son contenu, vous nâĂȘtes pas certain que ce qui se trouve sous vos yeux soit encore comestible.
Vers qui se tourner pour en avoir le cĆur net? Google? Mouais. ChatGPT avec photo Ă lâappui? Ah, bien mieux.
.jpg)
Mais mĂȘme avec lâaval dâune intelligence artificielle dont le nombre dâusagers actifs hebdomadaires dĂ©passe la barre des 200 millions, ça ne vous tente pas plus de manger ces brocolis. Pourquoi ne pas se faire un petit resto, Ă la place?
Indien, mexicain, coréen? Vos papilles sont ouvertes à toutes les éventualités de saveurs qui se trouveraient dans un périmÚtre raisonnable de votre appartement.
Toutefois, lâĂąge de la triangulation des avis Google sous les adresses de restaurants listĂ©es par le moteur de recherche est rĂ©volu.
Désormais, deux vidéos TikTok et un reel Instagram de simples humains documentant leur expérience culinaire en temps réel vous aideront à trancher.
Et lorsque vous sortirez du restaurant joyeux, car le ventre plein⊠peut-ĂȘtre un peu trop plein⊠Oups, serait-ce un dĂ©but dâintoxication alimentaire?
Lâesprit et lâestomac en panique, vous vous efforcez de dĂ©crire vos symptĂŽmes dans la barre de recherche Google, tout en prenant soin de terminer votre phrase par « Reddit », question de vous sauver une crise cardiaque. Disons quâentre 13 sites web vous diagnostiquant le cholĂ©ra et la publication Reddit dâun inconnu cernant prĂ©cisĂ©ment votre problĂšme, le choix est assez vite fait.
La chute dâun gĂ©ant
Rien â sauf, peut-ĂȘtre, lâintoxication alimentaire â nâest hypothĂ©tique, ici ; une Ă©tude rĂ©alisĂ©e en mai 2024 par Forbes et Talker Research dĂ©montre que Google nâest plus le rĂ©flexe inconscient quâil Ă©tait pour les gĂ©nĂ©rations plus anciennes.
Pas moins de 46 % des Gen Z et 35 % des millĂ©niaux prĂ©fĂšreraient donc les rĂ©seaux sociaux pour se vĂȘtir, voyager, sâinformer, sâhabiller, voire se diagnostiquer.
Ă tel point quâun Ă©cart de 25 % sĂ©pare dĂ©sormais lâusage de la gĂ©nĂ©ration Z de celui dâune gĂ©nĂ©ration X encore bien friande de Google, mais jamais autant que les baby boomers, qui sont 94 % Ă utiliser Google pour faire des achats.
Rien de surprenant, selon Tarek Riman, professeur de marketing aux universités McGill et Concordia, pour qui ce changement de comportement est avant tout le fruit de notre époque.
« De 2016 Ă aujourdâhui, jâai demandĂ© Ă mes Ă©tudiants combien de temps ils passaient sur leur tĂ©lĂ©phone. En 2016, la moyenne Ă©tait de trois heures et demie. Maintenant, elle est de neuf ou huit heures », me raconte en entrevue celui qui a tournĂ© lâexercice en une mĂ©ticuleuse collecte de donnĂ©es.
« Et en gĂ©nĂ©ral, si nous passons plus de temps au tĂ©lĂ©phone, notre capacitĂ© d’attention devient plus courte, ce qui explique la popularitĂ© de ChatGPT et TikTok », dĂ©duit-il.
Et câest bien lĂ que ChatGPT gagne, car si Google nous donne une information gĂ©nĂ©rale nĂ©cessitant un travail dâesprit critique et de synthĂšse pour lâajuster Ă sa propre situation, lâintelligence artificielle part dâun cadre sur mesure et mĂąche tant et si bien lâinformation quâil ne nous reste plus quâĂ lâavaler telle quelle.
Ce qui explique Ă©galement la prĂ©dilection des jeunes sujets de lâĂ©tude pour le format « rapide et visuel » de TikTok : plus lâĆil est facilement accrochĂ©, plus lâexercice de recherche dâinformations en ligne devient le fun, ce qui semble ĂȘtre un critĂšre tout aussi important que la recherche en elle-mĂȘme.
« En fait, câest nous qui avons changĂ© et ce sont les plateformes capables de sâadapter Ă lâĂ©volution de nos comportements qui sâen sortent le mieux », rĂ©sume Tarek.
Publicités traßtres
Mais, aux yeux du chercheur, un Ă©lĂ©ment en particulier semble avoir contribuĂ© au dĂ©sintĂ©rĂȘt de plus en plus marquĂ© envers Google.
« La plupart du temps, quand on fait une recherche Google, les trois ou quatre premiers rĂ©sultats sont des publicitĂ©s. Il y a donc une certaine mĂ©fiance Ă lâĂ©gard des rĂ©sultats organiques, axĂ©s sur le rĂ©fĂ©rencement, que lâon trouve sur Google », explique-t-il.
« Le fait que ces résultats soient en premier ne signifie pas que ce sont les meilleurs ; ils ont juste un gros budget et de bons experts en référencement derriÚre. »
.png)
Google rendant ces liens commanditĂ©s de moins en moins facilement reconnaissables sur sa page, cliquer accidentellement dessus est aussi facile que dâimaginer la frustration ressentie face Ă cette trahison, justifiant la dĂ©cision de placer « Reddit » Ă chaque fin de requĂȘte pour sâassurer de ne plus tomber dans le panneau.
Ă tout cela sâajoute lâavantage dâĂȘtre doublement gagnant en ayant non seulement la rĂ©ponse recherchĂ©e, mais aussi lâexpĂ©rience dâune personne ayant testĂ© cette solution et partageant son avis sans rien attendre en retour, si ce nâest la satisfaction dâavoir pu aider quelquâun.
Ce qui, selon Tarek Riman, est un bouche-Ă -oreille bien plus convaincant que nâimporte quelle autre technique de marketing dĂ©ployĂ©e par les sites sponsorisĂ©s peuplant les premiers rĂ©sultats de recherche.
« Je ferais plus confiance Ă un ami me disant : âTarek, achĂšte cet ordinateurâ, parce que nous faisons davantage confiance aux autres utilisateurs quâaux entreprises », poursuit-il.
« DĂ©sormais, les gens ne veulent plus juste une rĂ©ponse. Ils veulent aussi lâopinion des utilisateurs avec de lâexpĂ©rience, de vraies discussions. »
En dâautres termes, ils veulent quelque chose qui transcenderait la simple information froidement livrĂ©e en faveur dâun lien permettant de combattre lâextrĂȘme solitude dont sâaccompagne notre hyperconnectivitĂ©.
Dessine-moi un ami
En 2016, le futurologue britannique Ian Pearson affirmait que les femmes auraient « plus de relations sexuelles avec des robots que des hommes » dâici 2025 et quâen 2050, nous aurions plus dâintimitĂ© avec des automates quâavec dâautres humains.
Ce qui, Ă premiĂšre vue, peut sembler complĂštement fou.
Sauf quâen 2024, lâĂ©ventualitĂ© dâune technologie qui dĂ©passerait son rĂŽle utilitaire pour se substituer Ă lâhumain s’observe un peu partout.
On le voit du cĂŽtĂ© des hommes qui seraient en pĂ©nurie dâamitiĂ© ou des femmes qui prĂ©fĂ©reraient ĂȘtre en couple avec le cĂ©libat, donnant lieu Ă un phĂ©nomĂšne de plus en plus commun tristement nommĂ© « épidĂ©mie de solitude ».
On le voit aussi du cĂŽtĂ© de la disparition des cafĂ©s, bars, espaces publics et autres « tiers-lieux » permettant de socialiser en dehors du travail ou de la maison, et dont le dernier exemple dâusage spontanĂ© doit remonter Ă la sĂ©rie Friends.
Tout ça rĂ©sulte en une solitude viscĂ©rale que plusieurs comblent en tĂ©lĂ©chargeant des applications proposant des compagnons dâintelligence artificielle auxquels les utilisateurs sâattachent jusquâĂ les Ă©pouser ou, plus tragiquement, se donner la mort.
Peu offriraient leur cĆur ou leur vie Ă Google ; lâinformation y est livrĂ©e trop froidement pour quâune once de lien parasocial ne puisse naĂźtre.
Tout le contraire de ChatGPT, qui livre toutes ses informations prĂ©facĂ©es dâun « bonjour », accompagnĂ©es de notre prĂ©nom et Ă©noncĂ©es dâune voix dans laquelle on jurerait pouvoir dĂ©cerner une Ăąme.
ChatGPT Ă©coute notre flot libre de pensĂ©es pour ensuite les remettre dans lâordre, comme un thĂ©rapeute le ferait. Il coĂ©crit notre message texte de rupture comme un ami suggĂ©rant une phrase assassine par-dessus notre Ă©paule. Il tempĂšre notre huitiĂšme angoisse dâadulte en pĂ©riode dâessai comme un parent le ferait avec nous par tĂ©lĂ©phone.
.png)
Il peut mĂȘme se faire gourou et deviner des aspects de notre personne auxquels nous sommes Ă©trangers, tandis que Google, ironiquement, ne sait ĂȘtre quâun moteur de recherche.
.jpg)
Joyeuses funérailles
Est-ce donc la fin de Google?
AprĂšs tout, le futur quâon lui prĂ©dit nâest pas trĂšs reluisant : selon la compagnie de recherche et conseil Gartner, on lui prĂ©dit une baisse de trafic de 25 % dâici 2026.
Sans compter que Gemini, lâintelligence artificielle actuellement testĂ©e par Google, sâamuse Ă insulter et Ă souhaiter la mort de ses correspondants.
« Je ne veux pas dire que Google a Ă©chouĂ©, mais il ne sâest pas encore perfectionnĂ©, ce qui lui vaut dâĂȘtre Ă la traĂźne sur certains fronts », reconnaĂźt Tarek.
La fin du monopole de Google au profit dâune pluralitĂ© de sources lui paraĂźt cependant ĂȘtre une avancĂ©e positive Ă ses yeux, en particulier sur le plan de la vĂ©rification de faits.
« Tout doit ĂȘtre vĂ©rifiĂ©, que ce soit sur ChatGPT, sur Google, ou sur les mĂ©dias sociaux. Vous ne pouvez pas vous contenter dâun seul rĂ©sultat; il faut faire des recherches, mĂ©langer les deux », exhorte le professeur.
Quant au sort final de Google, Tarek considĂšre lâĂ©volution du marchĂ© comme trop rapide et changeante pour trancher sur son sort, surtout avec lâarrivĂ©e en trombe de lâintelligence artificielle au cours des derniĂšres annĂ©es.
Ce qui ne lâempĂȘche pas de poser un regard poĂ©tique sur ce futur opaque.
« Nous marchons pas Ă pas, Ă©paule contre Ă©paule, non pas dans lâobscuritĂ©, mais dans lâinconnu, en essayant de comprendre ce qui va se passer. Câest un jeu de longue haleine et il nây a pas encore de gagnants. »