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« The Vow » et le problème des documentaires « true crime »
L’homme d’affaires déchu et gourou corporatif Keith Raniere a été condamné à 120 ans d’incarcération pour une kyrielle de transgressions allant de la fraude au trafic humain. On pourrait donc techniquement jeter la proverbiale clé de sa cellule et oublier son existence jusqu’à l’annonce de son décès.
Mais plus le temps passe, plus on obsède collectivement à propos de lui et de l’entreprise l’ayant rendu célèbre, NXIVM.
Keith Raniere est en prison depuis 2019, mais la culture populaire n’a pas fini d’en découdre avec lui.
Ça a commencé avec la première saison de la série documentaire The Vow, il y a maintenant deux ans. Il y a aussi eu Seduced: Inside the NXIVM Cult deux mois plus tard, un regard beaucoup plus acerbe sur les pratiques de la compagnie. L’an dernier, l’autrice Sarah Berman publiait Don’t Call It a Cult, une autre exploration en profondeur de l’héritage de Keith Raniere. Il y a quelques semaines, The Vow revenait sur les ondes de HBO pour une deuxième saison avec la promesse de mettre à l’écran la lieutenante principale de Raniere Nancy Salzman.
C’est beaucoup de contenu, mais c’est aussi beaucoup de points de vue sur l’organisation. C’est rare qu’on ait autant d’accès à un dossier judiciaire par le truchement des médias, et cet accès est motivé par un désir de comprendre un phénomène unique que beaucoup de gens ont encore de la difficulté à qualifier de culte… et un peu aussi par la volonté de certains ex-membres de contrôler le discours pour se dédouaner de leurs torts.
On s’en rend compte un peu (beaucoup) dans cette nouvelle saison de The Vow.
Aujourd’hui, Nancy s’en c**sse
Pour ceux et celles qui auraient miraculeusement évité l’histoire de NXIVM depuis trois ans, il s’agit d’une affaire judiciaire plutôt particulière.
La compagnie qu’on croyait au départ axée autour du développement personnel et de l’optimisation du potentiel humain dans un dessein corporatif a toujours attisé la suspicion du commun des mortels avec ses coutumes quasi religieuses : le port du foulard cérémonial dans les cours, le titre ésotérique de Vanguard attribué à Keith Raniere, etc. Les observateur.trice.s ont cependant été pris de court lorsque des accusations de crimes sexuels se sont mises à tournoyer autour de NXIVM, provoquant une série d’arrestations, dont celle de son fondateur.
Tout le monde savait qu’il s’y passait quelque chose de louche, mais personne ne s’attendait à ce que ce soit aussi violent et saisissant. Des femmes y étaient entraînées en esclaves sexuelles et marquées au fer rouge.
Bien sûr, la question qui s’impose à la découverte d’une telle horreur est : mais, comment diable est-ce qu’un.e adulte intelligent.e se laisse entraîner dans pareil bourbier?
Salzman est de loin la personne qui parle le plus candidement de NXIVM.
Alors que la première saison de The Vow nous avait laissé.e.s sur notre faim à ce propos (alimentant ainsi la mystique autour de Raniere), le deuxième volet de la série documentaire tente un peu plus courageusement de répondre à la question, et beaucoup des réponses qu’il offre viennent de l’invitée-vedette Nancy Salzman, co-fondatrice de NXIVM.
L’évidence fait surface lorsqu’elle commence à raconter sa version des faits au deuxième épisode. Salzman est de loin la personne qui parle le plus candidement de NXIVM. Elle a déjà tout perdu : sa compagnie, ses filles, sa liberté, alors elle explique en détail son historique personnel l’ayant menée sous le joug de Raniere. Elle décrit la lente dérive d’un projet idéaliste vers une prise de contrôle plus autoritaire et même, en quelque sorte, son propre aveuglement volontaire. « Keith avait une idée, pas une science. Notre projet fonctionnait, on était juste pas rendus là où on aurait dû être » explique-t-elle avec conviction.
En écoutant parler dans la deuxième saison de The Vow, ça devient évident que certains protagonistes se donnent le beau rôle dans cette histoire et personne n’en est plus coupable que le protagoniste de la première saison Mark Vicente.
Le karma de Mark Vicente
Dans la première saison de The Vow, on suit notamment le parcours de l’ex-membre de haut niveau Mark Vicente, qui tente d’exfiltrer le plus de fidèles possibles avec l’aide de sa femme Bonnie et d’autres ancien.ne.s employé.e.s de NXIVM.
On y présente la démarche de Vicente et son expérience (dans ses mots), mais les points de vue externes sur son parcours sont limités à ceux de Bonnie, Sarah et Nippy, qui partagent sa quête de rédemption. Si on creuse au-delà des paramètres présentés par The Vow, on découvre un portrait beaucoup moins flatteur du bonhomme.
Ce à quoi on n’avait pas accès, c’est un regard sur le fonctionnement de l’organisation, et surtout, la raison pour laquelle les gens y restent.
On découvre à travers l’ouvrage de Sarah Berman que Mark Vincente a quitté NXIVM très tard et qu’il n’a pas du tout été le premier à le faire. Ce qu’on ne raconte pas (ou très peu) dans la première saison de The Vow, c’est que Vicente a fait partie du conseil d’administration de NXIVM et qu’une partie de son boulot consistait à appeler les récalcitrant.e.s pour faire du chantage émotif et parfois même des menaces. La survivante India Oxenberg émet le même son de cloche dans sa version des faits. Plus on creuse, moins les gens autour de lui ont l’air de l’aimer.
Si on est tous et toutes restés accrochés au mystère NXIVM à la fin 2020, c’est parce qu’on n’avait pas le portrait complet. Keith Raniere nous était présenté comme étant le mal incarné. Un gourou sadique et un manipulateur fini. Ce à quoi on n’avait pas accès, c’est un regard sur le fonctionnement de l’organisation, et surtout, la raison pour laquelle les gens y restent. Cette deuxième saison vient élargir ce regard sur l’organisation à l’aide de témoignages de gens qui y croient encore.
Oui, NXIVM était une organisation ultimement dévouée à la satisfaction des désirs de Keith Raniere, mais c’est tout d’abord en aidant les gens avec sa compréhension de l’esprit humain qu’il a réussi à les attirer vers lui.
Vous n’avez peut-être pas, comme moi, obsessivement cherché des informations sur NXIVM depuis deux ans, mais si cette histoire vous intrigue encore ou si vous êtes simplement fans de documentaire true crime, faites-vous un devoir de regarder cette deuxième saison. Elle démontre toute l’importance de la pluralité des points de vue sur une situation. Pas seulement pour offrir une vision équilibrée, mais aussi parce que lorsqu’on est soumis à un seul point de vue, la personne qui le partage a peut-être des squelettes dans son placard.
Le trois premiers épisodes de la deuxième saison de The Vow sont disponible sur Crave. Trois autres vous attendront chaque lundi jusqu’à la fin novembre.