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Il faut qu’on se parle de «The Vow» (maintenant que c’est fini)

Vous pensez que vous auriez pu résister au gourou Keith Raniere? Cette série documentaire vous fera voir les choses autrement.

Par
Benoît Lelièvre
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Le verdict tombait le 27 octobre dernier: le fondateur de NXIVM Keith Raniere était condamné à passer les 120 prochaines années en prison. Notamment pour avoir créé un « sex-cult » (un réseau d’esclaves sexuelles) au sein de sa propre compagnie, mais pour plein d’autres choses aussi. Comme par exemple fraude, corruption, traite de personnes, traite d’enfants et complot en vue d’encourager des travaux forcés. Rien que ça.

C’est wild comme histoire, mais ça soulève des réactions somme toute assez typiques.

Quand on parle de sectes, on se rabat souvent sur les mêmes observations détachées : «Où c’que l’monde s’en va, hein?», «Quand t’es pas heureux là…» ou encore la sempiternelle «l’argent pis le succès, c’pas toute dans’ vie.»

On ne parle pas ici de gens qui se regroupent autour d’une croyance mystique ou aux accents vaguement religieux. Et c’est probablement ce qui rend NXIVM encore plus terrifiante.

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La twist avec NXIVM, c’est que ce n’est pas exactement une secte « classique ». On ne parle pas ici de gens qui se regroupent autour d’une croyance mystique ou aux accents vaguement religieux. Et c’est probablement ce qui la rend encore plus terrifiante. Comme la série documentaire The Vow l’explique bien, les adeptes croyaient d’abord assister à un séminaire de croissance personnelle, ensuite ils croyaient avoir trouvé une carrière pour finalement se rendre compte qu’ils s’étaient fait endoctriner par un féroce manipulateur.

En gros, les adeptes de NXIVM étaient des gens qui cherchaient un sens à leur vie. Et qui croyaient l’avoir trouvé dans le travail. Comme nous.

C’est pour ça qu’il faut qu’on en parle.

«Où c’que l’monde s’en va, hein?»

À la base, NXIVM se voulait être une compagnie spécialisée en développement personnel et professionnel offrant des services de séminaires aux entreprises. Du moins, c’était leur pitch de ventes.

Mark Vicente et Sarah Edmondson, d’anciens membres haut placés de l’entreprise, décrivent plutôt une expérience déstructurée à mi-chemin entre une série de conférences corporatives et des cours d’arts martiaux pour l’esprit avec des foulards de soie à la place de ceintures. Après avoir payé pour une série de cours (5 000$ US), les participants reçoivent un foulard de soie d’une couleur différente et le titre d’entraineur. C’est maintenant leur job de former les prochains candidats.

Surprise! Vous travaillez maintenant pour NXIVM!

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Les participants sont tout d’abord flattés. Ils acceptent le défi avec plaisir. Ils sont accueillis par une communauté de gens chaleureux, souriants et passionnés par le développement personnel. La hiérarchie y est cependant très rigide. Si les entraineurs souhaitent continuer à évoluer au sein de NXIVM, ils doivent payer pour de nouveaux cours. J’vous entends déjà dire: «c’est pas un culte, ça. C’est une entreprise de vente pyramidale». Vous avez partiellement raison, mais ce n’est pas terminé!

Plus les membres de NXIVM montent en grade, plus ils se rapprochent du fondateur Keith Raniere et plus NXIVM devient une espèce de vague programme de mentorat sans vraiment de structure.

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Plus les membres de NXIVM montent en grade, plus ils se rapprochent du fondateur Keith Raniere et plus NXIVM devient une espèce de vague programme de mentorat sans vraiment de structure. Le curriculum de NXIVM est basé autour de l’idée que Raniere est l’une des trois personnes les plus intelligentes au monde (évidemment c’est n’importe quoi) et avoir son attention est vue comme un énorme privilège à l’intérieur des rangs. Un petit groupe d’élite se réunit chaque soir autour de Raniere pour l’écouter parler et « recevoir sa sagesse ». Ça devient très difficile de quitter sans s’exposer à la colère des autres membres du cercle privilégié. On y contrôle fermement l’information et on menace de représailles judiciaires ceux qui planifient dévier du curriculum.

C’est déjà plus sectaire, vous trouvez pas? C’est pas encore fini. Lorsqu’on arrive au sommet de la pyramide NXIVM, un groupe secret pour les plus grands initiés seulement devient accessible. Le DOS ou Dominus Obsequious Sororium, aussi appelé Le Voeu. Uniquement accessible aux femmes, elles doivent y faire voeu de dévouement envers leur leader. Physiquement, intellectuellement (ce qui est pas mal déjà fait une fois rendu à ce niveau) et sexuellement. C’était déjà weird, mais là ça devient carrément criminel.

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Comment peut-on passer d’un séminaire de développement personnel à de l’exploitation sexuelle en quelques années? C’est pas aussi clair qu’on puisse le croire.

«Quand t’es pas heureux là…»

Le théologien Walter Wink affirmait dans son ouvrage The Powers That Be que le besoin de vénération n’est jamais disparu de la société. Il s’est simplement sécularisé. Les gens ont largement quitté les églises, mais se sont tournés vers d’autres sources pour leurs besoins spirituels.

Les stars de cinéma.

Les musiciens

Les vedettes sportives.

Les politiciens.

Les entrepreneurs à succès.

Tous des leaders charismatiques qui vivent «la vie qu’on souhaiterait vivre». Des gens qui existent en chair et en os, mais qui semblent avoir compris le grand secret de l’univers menant vers la richesse et la célébrité, les deux unités de mesure du bonheur de la société occidentale. Le bonheur est un concept qu’on n’arrive pas à définir pour nous-mêmes et tous les entrepreneurs misent là-dessus. Tim Cook vous vend un statut social avec ses iPhone, Nike vous vend l’idée de devenir un athlète avec ses chaussures et Keith Raniere vend l’idée d’une vie plus épanouissante avec NXIVM en ajoutant en « prime » une couche épaisse de manipulation perverse et criminelle.

En tout cas, vendait.

Tim Cook vous vend un statut social avec ses iPhone, Nike vous vendent l’idée de devenir un athlète avec ses chaussures et Keith Raniere vend l’idée d’une vie plus épanouissante avec NXIVM.

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Le produit qu’offrait NXIVM n’était pas totalement différent que celui de Deepak Chopra, Tony Robbins ou même Simon Sinek (que j’aime beaucoup). Ces conférenciers ont tous un différent niveau de légitimité, mais leur offre est basée sur un instinct qui nous habite tous: cette idée qu’on est incomplets. Qu’il manque invariablement quelque chose à notre vie. Que le bonheur se trouve juste par-delà notre prochaine décision. Le personnage de Matthew McConaughey dans True Detective avait un délicieux monologue à ce sujet:

We all got what I call a life trap, this gene-deep certainty that things will be different, that you’ll move to another city and meet the people that’ll be the friends for the rest of your life, that you’ll fall in love and be fulfilled. F*cking fulfillment and closure, whatever the f*ck those two… F*cking empty jars to hold this shitstorm, and nothing is ever fulfilled until the very end, and closure… No. No, no. Nothing is ever over.

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Si vous n’avez jamais ressenti ce que je viens d’expliquer, tant mieux pour vous… mais la plupart d’entre vous savent de quoi je parle.

«L’argent pis le succès, c’pas toute dans’ vie»

Si la série The Vow est aussi dérangeante, c’est qu’elle nous confronte à cet instinct qu’on a de croire que quelqu’un d’autre possède la clé de notre épanouissement.

C’est pour ça qu’on allait à l’Église dans le temps. La vie était pas super le fun, fait qu’on allait s’acheter des grâces pour la prochaine. C’est pour ça qu’on tripe sur Elon Musk aujourd’hui et qu’on investit nos économies dans sa compagnie. Il va nous rendre riches. C’est peut-être un peu pour ça que des gens comme vous et moi, sans grande tragédie ou manque matériel dans leur vie, ont fait confiance à Keith Raniere.

Je vous conseille fortement de vous claquer The Vow en rafale, en fin de semaine. C’est inconfortable pour plein de bonnes raisons.

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Depuis qu’on est petit, on nous canarde qu’il faut écouter cette petite voix intérieure. Celle qui nous dit qu’on est spéciaux et qu’on mérite mieux. Cette petite voix ne vous ment pas nécessairement. C’est le p’tit moteur qui vous pousse à vous améliorer. Il faut cependant être conscient que notre p’tit moteur, beaucoup de monde cherche à l’exploiter. Et quand des désaxés comme Raniere s’en mêlent, ces genres de personnes expertes pour identifier les failles et les zones de vulnérabilités et qui prennent un malin plaisir à s’en servir à leur avantage, ça donne le désastre que l’on connait maintenant.

Je vous conseille fortement de vous claquer The Vow en rafale, en fin de semaine. C’est inconfortable pour plein de bonnes raisons.