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« The Bear » et le plaisir de s’investir

Vous rappelez-vous l’époque où il fallait regarder deux ou trois saisons d’une série « avant que ça devienne bon »?

Par
Benoît Lelièvre
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J’ai une confession à vous faire. Malgré la pluie de critiques positives, je n’ai pas TANT trippé sur la première saison de la série américaine The Bear.

C’était bon, là. Une série originale à propos de la microsociété des cuisines de restaurants sans antagoniste principal, ça ne court pas les rues. Sauf que c’était un peu manipulateur, aussi. Le montage claustrophobe était capable à lui seul de nous mettre sur les nerfs sans qu’il ne se passe rien d’important. Il y a beaucoup d’engueulades et de sandwiches au bœuf, mais mettons qu’il fallait être patient à outrance.

Sauf que c’est stimulant de s’investir avec The Bear. La deuxième saison aura suffi à pardonner la grande majorité des fautes de la première grâce à un rythme plus mesuré, un approfondissement de la dynamique de groupe entre les personnages et quelques surprises impeccablement synchronisées (l’épisode de Richie). Bref, j’attendais cette nouvelle saison à bras ouverts. Bon, OK. Y a pas grand-chose d’autre à la télé non plus par les temps qui courent.

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La troisième saison de The Bear est disponible dans son entièreté sur Disney+ et j’vous jure que ça en vaut encore plus la peine!

Cette poésie qui se mérite

Le premier épisode de la nouvelle saison de The Bear est à la fois des plus abstraits et extraordinaires. Il faut avoir vu les deux premières saisons (et se rappeler de la finale) afin de comprendre ce qui se passe. Pour vous faire un récapitulatif sans divulgâcheurs, ladite dernière saison se conclut sur le triomphe du nouveau restaurant de Carmy (interprété par l’homme de l’heure Jeremy Allen White) qui se trouve également à être une des pires soirées de sa vie.

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Cette nouvelle saison s’ouvre sur Carmy au lendemain de cette soirée fatidique. Perdu dans ses pensées, quelque part entre le passé qui le dévore et un présent encore et toujours à créer, Carmy essaie de faire amende honorable et d’utiliser les leçons de son passé afin de mieux façonner son avenir. On nage dans le flashback. Ça prend plusieurs minutes avant de comprendre ce qui se passe.

Plusieurs minutes à se laisser bercer par Together, une magnifique pièce instrumentale signée Trent Reznor.

Je ne me rappelle pas d’avoir déjà vu un épisode de télévision (ou ne serait-ce même qu’un segment) qui exprime si bien comment on se sent lorsqu’on est perdu dans nos pensées. Lorsqu’on essaie de fuir le présent, mais que chaque souvenir qui resurface nous y ramène. C’est une expérience à la fois intime, inconfortable et à la limite inspirante. On est témoin du processus où une personne essaie de donner une direction à sa vie. Et ça donne le goût de faire pareil.

La poésie de ce premier épisode ne pourrait pas exister sans la relation déjà existante qu’on entretient depuis deux ans avec Carmy et son équipe.

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Le ton mélancolique et la bande sonore minimaliste nous invitent à investir notre propre charge émotionnelle que l’on a bâtie envers les personnages depuis déjà deux saisons. On s’identifie au mal d’un jeune homme performant, talentueux, mais profondément imparfait. Le genre de moment de transcendance artistique qu’on peut s’offrir dans une troisième saison, mais jamais dans une première.

On replonge dans l’atmosphère émotive de The Bear avec douceur et doigté. Le plaisir croît avec l’usage. J’aurais voulu en avoir pour trois heures.

La rançon de l’excellence

Fidèle à son historique, The Bear change radicalement de ton dès le deuxième épisode.

De retour sur Terre et dans son nouveau restaurant, Carmy décide unilatéralement de tout changer pour se lancer à la poursuite d’une étoile Michelin (l’équivalent pour un restaurateur de se faire repêcher dans les ligues majeures) et d’imposer un nouveau code de conduite « non-négociable » à ses partenaires et employés.

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Si vous êtes familier avec la série (et je vous conseille de le devenir avant de commencer cette nouvelle saison), vous vous doutez bien que l’exercice a vite dégringolé en engueulade aux proportions bibliques, mais le créateur de The Bear Christopher Storer ne se contente pas de pointer du doigt la nature dysfonctionnelle de l’industrie de la restauration comme il l’a fait par le passé. À travers les sacres, on décèle aussi de la fierté, une éthique de travail irréprochable et l’admission implicite par tous les membres du groupe que le projet de Carmy pourrait bel et bien déboucher sur quelque chose.

La tension qui traverse non seulement la cuisine, mais aussi les vies de chacun des employés du restaurant, c’est la rançon qu’exige leur objectif.

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Afin d’offrir une expérience unique et supérieure, les membres de l’équipe doivent s’investir dans ladite cuisine. Moins de vie, plus de plats. Les personnages s’investissent dans leur succès tout comme on s’investit dans leur vie.

The Bear demeure une machine à créer de l’anxiété (après tout, c’est pour ça qu’on la regarde, hein?), mais avec le temps et les saisons, elle commence à refléter une anxiété qui nous ressemble de plus en plus. La série présente un microcosme concentré d’un monde axé sur la performance et une étude sur l’impossibilité grandissante de garder le cap sur des standards de plus en plus inatteignables. C’est néanmoins ce défi que l’équipe de passionnés balafrés par la vie se propose de relever et c’est pour ça qu’on les aime.