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Taylor Swift ou l’art de ne jamais perdre

L'histoire d'un phoenix voué à renaître de ses cendres. 

Par
Malia Kounkou
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La nuit, pendant que le commun des mortels dort, la chanteuse Taylor Swift, elle, élabore de terribles scénarios de vengeance. Certains d’entre eux donneront même corps à Midnights, son dixième album sorti le 21 octobre et qui accumule depuis des records phénoménaux – 24 heures plus tôt, par exemple, dix de ses titres occupaient les dix premières places du Billboard Hot 100. Sur des airs de synthé made in Jack Antonoff, le producteur que tout le monde s’arrache telle une carte Pokémon rare en ce moment, la chanteuse revisite son passé, mais avec une certitude ferme : celle d’un karma qui agit à son avantage.

L’évolution de sa carrière et de son image en est la preuve. D’abord publicisée comme un modèle de pureté américaine en couettes blondes et guitare acoustique, Taylor Swift a été ardemment détestée par une société qui ne voyait en elle que cinq pieds dix pouces de cringe. La faute à des mélodies perçues comme trop niaises ou trop mesquines, à une vie amoureuse scrutée à la loupe du slut-shaming et à des scandales qui pourraient enterrer n’importe quelle carrière.

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Mais pas celle de Taylor Swift. Dans ce combat perpétuel contre le monde entier, c’est toujours elle qui se tient debout la dernière.

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Taylor Swift vs Kanye West

Ici, la pièce se déroule en trois actes. Le premier se joue en 2009, sur la scène des MTV Video Music Awards. Taylor Swift accepte le trophée de la meilleure vidéo féminine pour You Belong To Me quand Kanye West fait soudain irruption sur scène pour lui voler son micro puis son moment. « Je vais te laisser finir, mais Beyoncé avait l’une des meilleures vidéos de tous les temps », déclare-t-il alors devant tout le monde. L’humiliation est plus cuisante qu’un La La Land annoncé à la place d’un Moonlight aux Oscars, et laisse sur l’estrade une Taylor Swift mortifiée. Elle est celle que l’Amérique déteste et ce dernier acte semble en être la preuve ultime.

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Sauf que, pour une première fois historique, l’opinion publique comme l’industrie musicale prennent aussitôt son parti et condamnent fermement Kanye West. L’ex-président des États-Unis Barack Obama sort même de son rôle pour le traiter de « crétin ». Avec l’ampleur mondiale que prend l’incident, le vent tourne petit à petit et la popularité comme le capital sympathie de Taylor Swift grimpent soudain en flèche. 1-0 pour Miss Americana.

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Second acte. Nous sommes en 2016, de l’eau a coulé sous les ponts et dans un appel filmé avec la chanteuse, Kanye West discute d’une future chanson abordant ironiquement les événements de 2009 et lui demande son autorisation. Taylor Swift accepte, mais découvre trop tard le couplet dans lequel Kanye West se vante d’avoir rendu célèbre la « bitch » qu’elle est. La popstar s’insurge alors, mais Kim Kardashian (oui, cette histoire a beaucoup de ramifications) publie la vidéo de l’appel filmé, la traitant de menteuse. Taylor Swift se retrouve alors ensevelie sous les #TaylorSwiftIsOver accompagnés d’émojis de serpent jusqu’à disparaître une année entière.

Et en 2017, la résurrection. La chanteuse revient de nulle part avec un album nommé Reputation centré entièrement sur son image récemment ternie. Cette fois-ci, elle accepte volontiers de jouer la méchante de service, s’en délecte même et, maligne, reprend les serpents avec lesquels de si nombreux internautes l’ont harcelée pour en faire la symbolique phare de son titre Look What You Made Me Do. Puis, en 2020, le troisième acte : une version non éditée de la vidéo de son appel avec Kanye West est publiée, révélant que la chanteuse disait vrai depuis le début. 3-0.

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Taylor Swift vs Scooter Braun

Cette affaire est un si phénoménal doigt d’honneur que nous en avions déjà retracé la petite histoire l’an dernier. Toutefois, il est impossible de ne pas la citer à nouveau ici.

Imaginez-vous consacrer du temps et de l’énergie à une magnifique œuvre d’art et que celle-ci soit subtilisée par votre pire ennemi sans possibilité d’être récupérée. C’est précisément ce qui se passe en 2019 lorsque l’entrepreneur et agent artistique Scooter Braun rachète l’ancien label de Taylor Swift, Big Machine Records, et met la main sur les bandes maîtresses (ou enregistrements originaux) de ses six premiers albums ainsi que sur les redevances qui vont avec.

Cerise sur le cheesecake : à l’époque, Scooter Braun compte parmi ses clients Justin Bieber et Kanye West qui, en 2016, se servent régulièrement d’Instagram pour ridiculiser ouvertement la chanteuse. Dans un long communiqué suivant l’acquisition de ses droits, Taylor Swift qualifie cette situation de « pire cauchemar » et de « pire scénario possible » orchestré par un homme d’affaires aux méthodes « d’intimidation incessante et manipulatrices », des mots forts choisis avec soin.

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Et la situation aurait pu s’arrêter là. D’autant plus qu’entre-temps, Scooter Braun revend les fameuses bandes maîtresses à une autre compagnie pour un plus grand profit encore. Sauf qu’une Taylor Swift furieuse est une Taylor Swift hyperproductive. C’est pourquoi, au lieu de baisser les bras, la chanteuse annonce dans la foulée réenregistrer un à un ses six albums perdus. De cette façon, non seulement les droits lui reviennent, mais les précédentes versions qui ne lui appartiennent plus sont enterrées sous les nouvelles, et donc moins rentables pour l’entreprise qui les possède. Une revanche Taylor’s Version.

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Taylor Swift vs le monde entier

Chez Taylor Swift, la rancune est un sport olympique et la vengeance se déguste congelée; deux habiletés qui la rendent douée pour tourner chaque situation à son avantage. Une crasse faite en 2009 pourra encore faire l’objet d’une chanson en 2022 et c’est précisément ce qu’est en train de vivre le chanteur John Mayer avec qui la chanteuse, alors âgée de 19 ans, a partagé une romance brève et toxique. « Je ne peux pas abandonner, revendique-t-elle désormais à 32 ans dans la chanson Could’ve Would’ve Should’ve de son nouvel album Midnights. Je vis pour le frisson de te frapper là où ça fait mal. »

Taylor Swift est également très patiente – son troisième superpouvoir. Pour avoir vu le même scénario se répéter tant de fois dans le passé, elle sait que l’histoire finira toujours par lui donner raison. Toujours. Cela a été le cas en 2020, lorsque la véritable vidéo de son appel avec Kanye West a été révélée, puis aujourd’hui, en 2022, lorsque la plaie d’une jeune femme humiliée dans Could’ve Would’ve Should’ve a enfin été prise au sérieux. En 2009, une telle chanson aurait été considérée comme un simple caprice d’ado.

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Mais si le karma semble œuvrer de son côté, cela n’empêche pas la chanteuse de lui donner quelques coups de pouce. Ainsi, en 2009, elle invite tous les bullies de sa classe à une éminente cérémonie musicale pour qu’ils la voient être récompensée; une sorte de fuck you bien à elle. Même en perdant, Taylor Swift gagne toujours.