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La petite histoire des réenregistrements d’albums de Taylor Swift

Vous pensez que c'est banal? Ça ne l'est pas.

Par
Benoît Lelièvre
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Début avril, Taylor Swift lançait son album Fearless pour la deuxième fois en treize ans. Il ne s’agissait pas d’une réédition ou remaster, mais d’un réenregistrement complet des mêmes chansons. Elles ne sont pas dans le même ordre et Taylor a décidé d’ajouter six titres venant de ses archives personnelles, mais il est à peu près impossible de percevoir la différence entre les enregistrements des dix-neuf chansons qu’on peut trouver sur la version de Fearless originalement parue en 2008.

Je vous entends déjà vous demander: « c’est quoi l’but? Veut-elle se faire payer deux fois pour la même affaire?»

Excellente question. Il s’agit plutôt d’une question de principe pour la star de la pop et d’un grand moment dans l’histoire du droit d’auteur musical. C’est aussi un énorme fuck you à une industrie qui profite financièrement de ses artistes depuis des lunes. Elle ne fait jamais les choses pour rien, Taylor!

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Posséder sa musique = Posséder ses bandes maîtresses

En 2004, Taylor Swift signait un contrat d’une durée de treize ans avec l’étiquette de disques Big Machine, basée à Nashville. Elle était à l’époque âgée de 15 ans seulement. Le contrat stipulait qu’en échange d’une avance monétaire, la compagnie s’octroyait les droits sur les six premiers albums de la jeune artiste.

Taylor Swift prendra douze ans à enregistrer six albums. C’est d’ailleurs le cinquième 1989 qui fit d’elle la star de renommée mondiale qu’on connait aujourd’hui.

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D’un côté, c’est cool qu’une étiquette de disque avec des moyens investisse à long terme sur une artiste comme ça. De l’autre, le président de Big Machine Scott Borchetta était si convaincu que la jeune Taylor était une star en devenir qu’il a pris soin de se payer à long terme. En s’arrogeant les droits sur les bandes maîtresses de la jeune chanteuse (de manière complètement légale), Borchetta s’assurait de se faire payer chaque fois qu’une station de radio, un film, une émission de télévision ou une vidéo YouTube utilisait une de ses chansons. C’est beaucoup d’argent.

La bande maîtresse, c’est l’enregistrement original d’une chanson. C’est à partir de cet enregistrement-là que toutes les copies sont faites et chaque fois, le.la propriétaire est payé.e. Taylor Swift prendra douze ans à enregistrer six albums. C’est d’ailleurs le cinquième 1989 qui fit d’elle la star de renommée mondiale qu’on connait aujourd’hui. Femme d’affaires aguerrie, Swift n’a pas fait de vagues à propos de ce contrat à sens unique jusqu’à ce que vienne le temps de négocier un nouveau contrat en 2018.

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La chicane du siècle

L’idée de réenregistrer ses six premiers albums est apparue à Taylor Swift, parce que le patron de Big Machine a décidé de vendre les bandes maîtresses à un dénommé Scooter Braun. Ce dernier est l’ex-gérant de Kanye West et, selon les dires de Swift, aurait joué un rôle instrumental dans la parution de la chanson Famous où West se vante (entre autres) d’avoir rendu Swift célèbre.

L’artiste avait plusieurs raisons d’être en colère. Tout d’abord, elle essayait elle-même de racheter ses bandes maîtresses depuis plusieurs années. Borchetta voulait absolument inclure cette requête dans un nouveau contrat de disques, ce qu’elle a toujours refusé. Elle savait aussi qu’il cherchait à vendre sa compagnie et qu’il allait décrocher une fortune si Swift était sous contrat. Elle a aussi qualifié de scénario catastrophe l’idée qu’une personne comme Scooter Braun s’empare de ses bandes maîtresses et fasse de l’argent avec son travail. Elle affirme ne pas avoir été consultée. Braun et Borchetta affirment le contraire. Bref, c’est pas clair… mais le temps et les événements indiquent que Swift disait probablement la vérité.

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… mais ça sert à quoi au juste?

Non, Taylor Swift n’essaie pas de vous vendre deux fois le même album. Elle essaie plutôt d’empêcher les propriétaires de ses bandes maîtresses de faire de l’argent avec. Légalement parlant, lorsque vous possédez les bandes maîtresses d’un artiste… vous ne possédez que le contenant. Pas le contenu. Il n’y a rien qui n’empêche un artiste de réenregistrer ses chansons afin de créer une nouvelle bande maîtresse, mais personne ne l’a fait avant Swift parce qu’il faut quand même recommercialiser toute la patente et expliquer aux gens le but de l’exercice.

Avec l’avènement de Spotify, Apple Music et compagnie, c’est pas grand-chose de simplement demander aux gens de choisir quelle version d’un album écouter. Surtout que les nouveautés sont toujours placées en haut de la discographie d’un.e artiste.

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Ce monumental fuck you à la fondation même de l’industrie du disque n’aurait jamais été possible il y a vingt ou trente ans lorsqu’il fallait acheter ses albums. Personne n’aurait acheté une seconde fois presque toute une discographie. Avec l’avènement de Spotify, Apple Music et compagnie, c’est pas grand-chose de simplement demander aux gens de choisir quelle version d’un album écouter. Surtout que les nouveautés sont toujours placées en haut de la discographie d’un.e artiste. Donc, en réenregistrant et recommercialisant Fearless, Taylor Swift s’assure que l’original tombe dans l’oubli. Ça aussi, c’est complètement légal.

Imaginez si Julie Masse en avait eu plein le cul de se voir manger un corner de crème glacée comme une pin-up dans le clip de Billy et avait juste décidé de ré-enregistrer la toune afin que la compagnie de disques qui l’ait fait faire ça ne touche plus jamais une cenne avec cette chanson? On l’aurait peut-être jamais perdue, notre Julie.

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Fearless est le premier d’une série de six réenregistrements d’albums que Taylor Swift planifie pour les prochaines années. Ça peut avoir l’air excentrique, mais c’est vraiment un coup de maître de sa part de se servir du modèle de distribution digital afin de réclamer ses droits sur son oeuvre. Si vous aimez Taylor Swift (ou même si vous ne l’aimez pas vraiment), c’est important de choisir les albums réenregistrés et non les originaux. En faisait ça, vous contribuez à un créer un important précédent qui aidera des artistes moins connus à se défendre contre une industrie trop souvent prédatrice.